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qu'il étoit inutile de chercher plus loin des secours que nous pouvions nous procurer sans pénétrer dans le Païs. On commença le travail avec beaucoup d'ardeur. Mais quel moyen de refuser à une partie de l'Équipage la liberté de chasser sur la Côte? Quoique cette permission ne fut accordée qu'avec beaucoup de réserve pendant les premiers jours, elle devint plus facile à obtenir lorsqu'on vit rapporter aux Chasseurs le meilleur & le plus beau gibier du monde. Ceux qui s'écartoient le plus du rivage, nous assurérent qu'ils avoient vû des cédres d'une beauté admirable, & d'autres arbres odoriférans. Ils avoient pris vifs quelques oiseaux, qui étoient tombés à terre au bruit de leurs fusils, & un petit animal de la grosseur d'une belette, dont la peau étoit mouchetée de diverses couleurs. Pendant quatre jours que l'ardeur de la chasse alloit en augmentant, nous nous trouvâmes assez de venaison de toutes sortes d'espéces pour nourrir les trois Équipages pendant plusieurs mois. Aussi ne prenions-nous plus cet exercice que pour notre amusement. Mais le bruit de tant de coups de fusils n'ayant pû manquer de se faire entendre, quelques Chasseurs nous avertirent, le cinquiéme jour, qu'après avoir observé d'abord un nuage de poussiere dans une vaste campagne qu'ils avoient parcouruë, ils avoient été surpris de découvrir un corps considérable d'hommes armés, qui marchoient vers la Mer, & qui ne devoient pas être éloignés de plus d'une lieuë. Il étoit clair qu'ils nous cherchoient. Les Capitaines se hâtérent de faire tirer un coup de canon pour rassembler tout leur monde. Ils auraient souhaité que chacun pût regagner son Bord avant l'arrivée des Nègres: mais perdant cette espérance dans une allarme si subite, ils ne voulurent point abandonner à la discrétion des Sauvages quantité d'honnêtes gens qui étoient encore dispersés. Le Capitaine du Vaisseau de Midelbourg, brave & prudent Officier, fut d'avis de nous ranger tous derriere les arbres qu'on avoit apportés sur le rivage, & que nos Charpentiers commençoient à mettre en œuvre. Il donna ordre en même-tems que les Vaisseaux eussent le flanc tourné vers la terre, pour être en état de faire leur décharge au premier signe. Les trois Équipages montant ensemble au nombre de cent dix hommes, nous étions à terre environ soixante, qui n'avions point d'autres armes que nos fusils & des bayonettes. Mais quoique le signal du canon eut ramené les moins éloignés, il nous en manquoit encore huit ou dix qui couroienr grand danger d'avoir été coupés par les Nègres. Cependant nous découvrimes bien-tôt la petite Armée qui sembloit nous menacer. Quoiqu'au fond notre frayeur fut médiocre, parce que les Hollandois sont aimés de la plûpart de ces Peuples, avec lesquels ils entretiennent continuellement quelque commerce, nous ne négligeâmes aucune précaution pour notre défense. En peu de momens les arbres avoient été croisés les uns sur les autres, & rangés avec assez d'habileté pour faire une barricade fort difficile à forcer. La facilité d'ajuster nos coups, en tirant à bout posé, nous rendoit presque sûrs de l'effet de toutes nos décharges; & nous ne doutions point que le bruit d'environ quarante pièces de canon n'augmentât beaucoup la frayeur de nos ennemis.

      Notre agitation n'empêchoit point que nous n'eussions l'œil ouvert sur tous leurs mouvemens. Ils s'arrêterent à cinq cens pas de nous. Leur nombre nous parut d'environ trois cens. Ayant connu que nous les attendions de pied ferme, & la vûe des trois Vaisseaux servant peut-être à les refroidir, ils détachérent vers nous quatre hommes, que nous reconnûmes ensuite pour quatre de leurs Officiers. Nous nous disposâmes à les recevoir honnêtement, & l'un de nos trois Capitaines s'avança de quelques pas au devant d'eux, suivi d'un même nombre de nos gens. Ces quatre Nègres étoient de belle taille. Ils portoient des bonnets quarrés, qui étoient ornés de plumes de Paon & d'Autruches. Ils avoient le corps nud, mais ils portoient des chaînes de fer qui se croisoient sur l'estomac & sur le dos. Leurs armes étoient l'arc & la fléche, avec une hache & un poignard, suspendus à leur ceinture. Ils avoient aussi sur le dos, à côté du carquois, une sorte de bouclier, garni d'une peau de bufle.

      Ils nous saluerent d'un air fier. Le Capitaine leur rendit leur salut, & ne comprenant rien à quelques discours qu'ils prononçoient dans leur Langue, il leur montra, pour réponse, nos Vaisseaux, & notre Troupe, qui faisoit fort bonne contenance derriere les arbres. Les Nègres, voyant qu'ils n'étoient point entendus, prononcerent fort distinctement quelques mots Hollandois, sans liaison à la vérité, mais capables de nous faire juger aussi-tôt qu'ils avoient déja reçû des visites de cette Nation. Le mot d'ia, par lequel nous applaudimes d'abord à ce que nous entendions, fut un nouveau signe par lequel ils nous reconnurent aussi. Ils firent d'une main dans l'autre le mouvement par lequel ils expriment les échanges du commerce; & nous nous figurâmes qu'ils vouloient nous marquer que nous étions des Marchands, ou qu'ils espéroient de faire quelques affaires de négoce avec nous. Notre manière de répondre ayant été propre à les confirmer dans cette idée, ils ne penserent plus qu'à nous accabler de caresses.

      Nos Capitaines leur offrirent alors un verre d'eau-de-vie, qu'ils accepterent avec les témoignages d'une joie fort vive. Ils ne se firent pas presser davantage pour entrer dans une Chaloupe, & se laisser conduire aux Vaisseaux. On leur y donna des rafraîchissemens. Ils les prirent avec avidité; & quoiqu'ils parussent moins touchés de quelques petits présens que les Capitaines joignirent à la bonne chere, ils les reçûrent aussi avec différentes marques de reconnoissance.

      Leurs gens avoient fait si peu de mouvement dans cet intervalle, que nous les jugeâmes plus accoutumés à la discipline militaire que le commun de ces Barbares. Ils attendirent le retour de leurs Chefs, qui reprirent en nous quittant le même air de fierté avec lequel ils nous avoient abordés. Toute leur Troupe s'éloigna aussi-tôt, comme s'ils ne leur étoit plus resté la moindre défiance de notre amitié. Nous raisonnâmes beaucoup sur le Païs où nous étions, & les Capitaines croyant en pouvoir juger par les armes des Nègres, s'imaginerent que ce devoit être quelque partie du Royaume de Carlevan. Nous n'avions aucun interêt présent qui nous portât à profiter de leur bonne volonté. Mais il nous restoit de l'inquiétude pour les huit personnes de l'Équipage qui ne s'étoient pas rendus au signal du canon. Le jour entier se passa sans qu'on les vit paroître. Le lendemain dans l'après midi, nous fûmes surpris de les voir descendre sur la Rivière dans une Barque assez ornée, qui étoit suivie de deux autres Barques remplies de Nègres. Ils nous rejoignirent d'un air fort satisfait. Étant tombés la veille dans le corps des Sauvages, ils avoient été arrêtés, & conduits aussi-tôt par un détachement à la Ville voisine où passoit le Fleuve qui les avoit apportés. Ils nous firent une description fort confuse de mille choses qu'ils avoient observées avec d'autant moins d'attention, que tout leur esprit avoit été d'abord occupé par la crainte. Cependant il s'étoit trouvé dans la Ville un Nègre qui entendoit & qui parloit même assez clairement la langue Hollandoise. Ils avoient été traités civilement aussi-tôt qu'ils avoient été reconnus; & dans la crainte que nous ne reçussions quelque insulte de la Milice qui s'étoit avancée vers la Mer au bruit de nos mousquetades, ils avoient eu la liberté de partir, avec le Nègre qui leur avoit servi d'Interprete, & quelques autres Nègres, qui avoient ordre de nous faire toutes sortes de caresses. La Ville, qu'ils nommerent Pemba, n'étoit qu'à sept ou huit lieuës par eau; mais à cause de quelques marais impraticables, autour desquels il falloit prendre pour gagner le bord de la Mer, on y comptoit plus de douze lieuës par terre.

      Ce que l'interpréte Nègre joignit à ce récit, nous fit connoître que nous étions sur la cote d'Estrila, qui sans appartenir au Roi de Carlevan, est tributaire de ce Prince, & fait un commerce assez considérable avec les Hollandois & les Portugais, qui entrent dans le Païs sans y avoir encore aucun Comptoir. Entre plusieurs marchandises qu'ils en tirent, telles que des gommes & du tamarin, ils en rapportent des dents d'une espece de Sanglier, qui les ont plus belles que les Elephans.

      Le Nègre qui nous faisoit ce récit, nous invita d'une manière pressante à remonter la Rivière jusqu'à Pemba, en nous assurant que nous y trouverions toutes sortes de commodités & d'ouvriers pour le radoubement de nos Vaisseaux. Mais en l'entendant raisonner sur ses propres intentions, nous comprimes que servant au commerce du Païs avec les Européens, il y trouvoit des avantages qu'il vouloit aussi se procurer avec nous. Il avoit été vendu dans sa jeunesse à des Marchands d'Esclaves, & son aversion pour l'esclavage lui avoit inspiré le courage de se jetter dans la Mer, à la vûe d'un Vaisseau Hollandois, qu'il avoit eu le bonheur de joindre, après avoir nagé pendant plus de deux heures.

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