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Espagnols y trouvoient encore plus de profit. Non-seulement ils évitoient par-là de payer les droits, qui sont excessifs dans leur Païs, mais ils achetoient les marchandises des Chaloupes beaucoup moins cher qu'ils ne les auroient achetées des Gallions à Porto-bello, ou des Marchands à Carthagène, ce qui n'empêchoit pas que celles des Chaloupes ne se vendissent à fort bon prix.

      Cette forte de commerce devint également pernicieuse au revenu du Roi d'Espagne, & aux intérêts des Marchands de bonne foi. La Cour d'Espagne n'y apportant aucun reméde, quoiqu'elle n'ignorât point la grandeur du mal, il fut bien-tôt impossible au Gouverneur de Carthagène de soutenir l'intérêt de sa Nation. On vit paroître les Hollandois avec des Vaisseaux de vingt, de trente & de trente-six Canons. Les Anglois se présentoient de leur côté avec de grandes Chaloupes, & des Brigantins de huit, de dix, de seize Canons, & quelquefois même avec des Vaisseaux de la première force; de sorte qu'ils se trouverent en état de protéger les Canots contre les Chaloupes Espagnoles lorsqu'elles entreprirent de les surprendre. À la fin même il auroit été difficile aux Espagnols de se saisir des Canots quand ils n'auroient trouvé personne pour les défendre; car les Contrebandiers, informés par les espions qu'ils avoient sur le rivage, ne faisoient pas difficulté de résister aux Officiers du Roi, & les maltraitérent dans plusieurs occasions. Ainsi la contrebande s'exerçoit ouvertement à la vûë de la Ville, & fut portée si loin, qu'elle diminua beaucoup le commerce des Gallions, sur-tout pour les Provinces de Carthagène, de Santa Marta, Papagan, Grenade & Venezuela, qui se trouverent fournies par ces voies indirectes de toutes les marchandises d'Europe dont elles avoient besoin.

      Enfin le Gouvernement d'Espagne se déterminant à réprimer tant d'abus, fit partir trois bons Vaisseaux de guerre, avec ordre de passer l'Hyver à Carthagène. Ils s'y joignirent à quelques autres Vaisseaux venus de la Havana; & c'est à cette petite Flotte qu'on a donné le nom de Guarda de las Costas. Ayant bien-tôt rencontré cinq Bâtimens Hollandois qu'elle attaqua vigoureusement, les Hollandois firent une défense si desesperée, qu'un de leurs Vaisseaux n'étant plus en état de résister, ils prirent le parti de le couler eux-mêmes à fond. Cependant les autres ne pûrent éviter d'être pris, & leur cargaison fut estimée à 100000 pistoles. Pour achever cette tragédie, seize Marchands Espagnols qui se trouverent parmi eux, furent conduits à Carthagène, & pendus avec la derniere rigueur.

      Les environs de Carthagène, & l'Isthme même, à la réserve du seul endroit où la Ville est située, sont marécageux; ce qui rend l'air fort mal sain dans quelques saisons, & produit quantité de maladies. Le climat est humide & pluvieux. Cependant il est encore moins pernicieux pour la santé, que celui de Porto-bello, parce qu'il n'est pas si chaud, ni si humide; & dans d'autres tems de l'année, le séjour de la Ville est fort agréable. On y est exposé seulement à la calenture, dont il n'y a que les Indiens qui se garantissent, entre ceux qui se montrent à l'air du soir, qu'on nomme le Serein. Ainsi les Gardes qui veillent la nuit ne peuvent guéres l'éviter.

      Tout le Païs d'ailleurs est pauvre, stérile, montagneux, & ne produit guéres que des arbres fort élevés. Rien n'est si sec que le terroir. Il demeure sans culture, parce qu'il seroit trop difficile d'en tirer parti. On y trouve aussi peu d'or que de bled; mais les Espagnols s'y procurent de l'or par leur commerce avec quelques Nations paisibles, que leur éloignement n'empêche point de venir trafiquer dans les Villes frontieres de la domination d'Espagne. Quelques Montagnes fournissent de la raisine & des gommes aromatiques, du sang de dragon, qui est un baume odoriferant d'un grande vertu, & d'autres liqueurs qui distillent du tronc des arbres.

      Les Habitans des cantons voisins de Carthagène sont les plus fiers & les plus intraitables de tout le Païs. Jamais les Espagnols n'ont pû les faire entrer dans aucun traité, ni dans aucune association de commerce. Ils n'y ont trouvé que des ennemis cruels, toujours disposés à les attaquer, & qui ne font pas difficulté d'empoisonner leurs fléches pour en rendre les blessures incurables; si adroits d'ailleurs à se servir de leur arc, qu'ils tuent d'un coup de fléche aussi sûrement que les Espagnols d'un coup de mousquet. La plûpart ont été détruits dans divers combats, ou se sont retirés plus loin dans les terres; mais les Espagnols ont tiré peu d'avantage de leur victoire, parce que le Païs demande un grand nombre d'Habitans pour le cultiver, & plus encore pour le défendre. Aussi seroit-il peu capable de défense s'il étoit attaqué avec vigueur, & surtout si l'on se ménageoit l'assistance des anciens Habitans, qui seroient charmés d'en chasser les Espagnols à toute sorte de prix.

      Suivant les Observations du Pere Feuillée de l'année 1705, qui ont été vérifiées par celles de Dom Juan de Herrera en 1722, 1723 & 1724, la longitude de Carthagène à l'Occident de Paris est de 77. degrés 46. minutes 15. secondes, & par conséquent de Londres 75 d. 21. m. 15. s. La latitude observée la même année par Feuillée, étoit de 10. degrés 30. m. 35. s. Mais Herrera dans ses calculs des années 1709 & 1719, n'a trouvé que 10. degrés 26. m. 35. s. Cette Observation paroît la plus exacte, parce que suivant celle de Feuillée à Bocachica, dont il trouva que la latitude étoit de 10. degrés, 20. m. 24. s. il se trouveroit dix minutes de différence entre la Ville & Bocachica, ce qui feroit dix milles géographiques; tandis qu'il est certain que Bocachica & la Ville ne sont éloignées que de sept milles & demi. Suivant les Cartes de Pople & de Moll, la latitude de Carthagène est de 10. degrés 34. m. & la longitude de 76. degrés 35. m. C'est une erreur d'un degré 14. m. dans laquelle ces deux Auteurs sont tombés par précipitation, ou par ignorance.

      À ce Mémoire, le Capitaine ajoûta une Relation fort curieuse de la prise de Carthagène en 1585 par le Chevalier Drake. Il la tenoit de son pere, qui servoit alors dans la Flotte Angloise, & qui avoit écrit les évenemens dont il avoit été témoin.

      Les Hollandois ayant offert à la Reine Elisabeth de la reconnoître pour leur Souveraine, cette grande Princesse fit de sérieuses réflexions sur leurs offres, & considérant les troubles que l'Espagne avoit suscités dans ses États depuis le commencement de son règne, la haine mortelle des Espagnols pour ses Sujets & pour sa Religion, les ressentimens particuliers dont leur Roi étoit animé contr'elle, & les violences qu'il avoit exercées nouvellement en faisant saisir dans ses Ports les Vaisseaux & les marchandises des Anglois; enfin plus excitée encore par les ambitieux desseins de Philippe II, elle résolut, de l'avis de son Conseil, de recevoir les Hollandois sous sa protection, & de les assister de toutes ses forces suivant l'engagement des anciens Traités. Mais elle refusa la Souveraineté de leur Païs, & formant au contraire des vûës beaucoup plus nobles, elle entreprit de les rétablir dans leur ancienne liberté. Comme il s'agissoit d'abord de les délivrer de l'oppression des Espagnols, elle leur envoya un secours de six mille hommes, & ne doutant point que cette démarche ne fut regardée en Espagne comme une déclaration de guerre, elle se crut obligée pour garantir ses propres États, de mettre une Flotte en Mer, qui attirât d'un autre côté l'attention des Espagnols.

      Cette Flotte étoit composée de vingt Voiles, tant Vaisseaux que Piraces, & portoit à bord 2300. hommes, sous le commandement du Chevalier Drake, qui fut honoré tout à la fois du titre de Général & d'Amiral. Ses Officiers de terre étoient Christophe Carlisle, Lieutenant Général; Antoine Powell, Sergent Major; Mathieu Morgan & Jean Samson, Marechaux de Champ. Les Capitaines se nommoient Antoine Plat, Édouard Winter, Jean Goring, Robert Pen, Georges Barton, Jean Marchant, Guillaume Ceril, Walter Biggs, Jean Haman, & Richard Slanton. Les noms des Vaisseaux & de leurs Capitaines étoient, Martin Frobisher, Vice-Amiral, commandant le Primrose; François Knolles, Contre-Amiral, commandant le Gallion Leicester; Thomas Venner, l'Elisabeth Bonaventure; Édouard Winter, l'Aid; Christophe Carlisle, le Tygre; Henry White, le Seadragon; Thomas Drake, le Thomas; Thomas Scely, le Minion; Samuel Cagley, le Talbot; Robert Crosse, le Bond; Georges Fortescue, le Bonner; Édouard Carelesse, le Hope; James Erizo, le White Lyon; Thomas Maon, le Francis; Jean Rivers, le Vantage; Jean Vaughan, le Drake; Jean Varneg, le George; Jean Martin, le Benjamin; Richard Gilman, le Stout; Richard Hawkins, le Duk; James Bitfield, le Swallow.

      Le 12. de Septembre toute la Flotte mit à la voile du Port de Plimouth, pour gagner la Côte d'Espagne. Elle y fit quelque butin aux environs de Vigo, d'où elle passa au Cap Verd. Elle y brûla San-Jago ou Plaga, Capitale d'une

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