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qui continua de faire son jouet de notre Vaisseau pendant cinquante-quatre heures. Tout l'art de nos Matelots s'étant épuisé dans leurs premiers efforts, rien n'étoit si triste que de voir, & le Capitaine & tout l'Équipage, couchés le visage contre le plancher du Vaisseau, roulant quelquefois les uns sur les autres, ou se chocquant à chaque secousse que le Vaisseau recevoit des flots, & n'espérant plus que du Ciel l'assistance qui ne pouvoit nous venir d'aucun secours humain. Personne ne pensant à manger ni à boire dans une si terrible extrêmité, je fus peut-être le seul qui eut l'attention de prendre quelque liqueur forte & d'en faire avaller à ma femme & à mes enfans. J'avois été obligé de les lier aux piliers de ma Cabane, sans quoi ils auroient couru mille fois risque de se tuer contre les planches, ou l'un contre l'autre.

      Enfin le Ciel, qui ne vouloit mettre que notre constance à l'épreuve, nous délivra de la plus horrible tempête dont on puisse prendre l'idée dans l'histoire ou dans les récits des Matelots. Mais en revenant de cette espece de mort, nous nous trouvâmes aussi embarrassés que des gens qui ne feroient qu'arriver à la vie. La plûpart de nos instrumens de marine étoient brisés, jusqu'à notre Boussole qui ne se trouvoit plus en état de nous servir. Cependant l'état où nous étions passés nous paroissant délicieux après celui dont nous étions sortis, nous pensâmes moins à régler notre route qu'à prendre les alimens qui nous étoient devenus si nécessaires, & à réparer les dommages du Vaisseau. Pendant cinq jours & cinq nuits que dura, ou la tempête, ou cette espéce de délassement que nous prîmes après nos peines, en continuant de suivre, comme au hazard, la direction du vent; nous crûmes qu'une navigation si aveugle & si violente, n'avoit pû manquer de nous faire parcourir une bonne partie du Globe. Cependant vers le midi du sixiéme jour, un de nos Matelots ayant crié qu'il voyoit la terre, d'autres gens de l'Équipage qui avoient fait le Voyage d'Angleterre en Amérique nous assûrérent que la terre qui se présentoit effectivement devant nous étoit une des Isles Canaries, nommée Ferro. Nous sondâmes aussi-tôt, & nous trouvâmes trente brasses. L'état de notre Vaisseau nous faisant juger tout lieu du monde propre à le rétablir & à nous reposer, nous ne balançâmes point à tourner nos voiles vers la terre. Un grand nombre d'oiseaux que nous commençâmes à voir autour de nous, acheva de nous rendre le courage. Nous n'étions plus qu'à deux lieuës de l'Isle, lorsque nous découvrîmes un Vaisseau, qui paroissoit en avoir fait le tour, pour gagner apparemment, comme nous, le Port que nous cherchions. Nous ayant découvert en même-tems, il arbora aussi-tôt le Pavillon Anglois; & voyant le nôtre, que nous fîmes paroître au moment, il nous salua de deux coups de Canon, que nous ne pûmes lui rendre dans le désordre où étoit notre artillerie. Mais notre Capitaine, qui étoit bien aise de prendre langue avant que d'entrer dans l'Isle, me proposa de descendre dans la Chaloupe, & d'aller faire ses excuses à nos Compatriotes, que nous crûmes aussi maltraités que nous par la tempête. J'acceptai volontiers cette commission. Le Vaisseau qui venoit à nous étoit Marchand comme le nôtre. Il se nommoit la Trinité, & le Capitaine M. Flint. Sans avoir souffert autant que nous, il avoit besoin de quelques réparations, qui lui avoient fait choisir l'Isle de Ferro, plûtôt que celle de Canarie, dans l'espérance de s'y radouber à meilleur marché. Nous entrâmes ensemble dans la Rade, qui est naturellement sûre & commode, & qui pourroit le devenir encore plus avec quelque secours de l'art. La Bourgade qui en occupe les bords, n'est composée que d'Artisans, de Pêcheurs & de Vignerons; l'Isle n'a guères d'autres propriétés que de porter d'excellent raisin & d'autres fruits. Elle est sans Rivière, & même sans aucune source d'eau, du moins si ce n'en est pas une que l'Arbre qu'on nous fit voir, & d'où l'eau coule continuellement dans des réservoirs dont on ne nous permit point d'approcher. Les Habitans prétendent que cette eau descend d'une Nuée que nous vîmes effectivement au-dessus de l'arbre, & qui se résout continuellement sur les feuilles d'où elle coule dans les réservoirs. Ils donnent à cet arbre le nom de Saint. La grosseur du tronc paroît être d'environ dix pieds. Il est d'une hauteur médiocre; mais la circonférence de ses branches est fort étenduë; & son fruit, qui est une espèce de gland, nous parut d'un excellent goût. Cependant le soin qu'on a d'en écarter les Étrangers, nous fit croire que cette eau merveilleuse qu'on fait descendre du Ciel, vient de quelque source dont on a déterminé le cours vers le pied de l'Arbre, ou qui en sort naturellement.

      Pendant qu'on travaillent à réparer les deux Vaisseaux, M. Flint nous apprit les circonstances de son Voyage, & celles de la tempête qu'il avoit essuyée. Il venoit des parties méridionnales de l'Amérique, où il étoit allé de Carthagène pour recueillir des sommes considérables qui lui étoient dues dans divers Ports. Comme il avoit fait un long séjour à Carthagène, il nous communiqua des Observations si curieuses sur la situation de cette fameuse Ville & sur l'état de son commerce, que l'intérêt commun à tous les Anglois de connoître un des principaux centres de leurs affaires, me fit souhaiter de prendre une copie de ses Mémoires. Je la placerai ici, telle qu'il eut la bonté de me l'accorder.

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       Table des matières

      Sur la Situation & le Commerce de Carthagène

      CArthagène, que les Espagnols prononcent Cartahena, reçut ce nom en 1502 de Rodrigo de Bastides qui la découvrit, & qui trouva quelque ressemblance entre son Port, & celui de la Carthagène d'Espagne.

      Ce Port est formé pat une Isle, (appellée aujourd'hui Varu, dont le nom étoit autrefois Carex ou Caresha, & Cadego dans sa première origine,) & par une Péninsule qui se joint au Continent, par une Isthme ou une Langue de terre fort étroite, de la longueur d'environ cinq milles & demi. La Péninsule, qui s'appelle Nave, a près de quatre milles de long; leur Côte s'étend du Midi à l'Occident, & du Nord à l'Est. C'est au Midi de la Péninsule qu'est située l'Isle, elle est séparée de la terre au Nord-Est par un passage fort étroit, qui s'appelle Passa a Cavallos, ou Passage des Chevaux; & d'un de ses coins au Nord-Ouest, sort une Langue de terre, qui s'avançant dans la Mer l'espace d'environ deux milles, s'étend jusqu'à la distance de deux cent pas de la Péninsule de Nave; c'est l'intervalle de cette distance qui fait la bouche du Port, & que sa petitesse a fait nommer Bocachica, ou la petite bouche. Le Port a quatre lieuës de longueur, du Nord au Midi; sa largeur est de cinq milles, du Couchant à l'Est: mais elle n'a pas toujours cette étenduë, elle est d'abord réduite à l'espace d'un mille, par la Péninsule qui vient à s'élargir; ensuite elle redevient large de trois milles, dans un endroit où l'Isthme se rétrécit; & deux milles plus loin, lorsque l'Isthme se change en une grande langue de terre, elle n'a pas plus de trois cent pas; de-là, elle s'ouvre encore pendant un mille & demi; après quoi quelques petites Isles rendent les passages fort étroits: elle diminue par degrés l'espace d'un autre mille, & se change ensuite en un boyau qui continue pendant deux milles entre des terres marécageuses, quoiqu'il recommence à s'ouvrir encore vers sa fin. Ce Marais & ce boyau portent le nom de Marais & de Lac de Canapoté.

      Le Port, qui s'appelle Laguna, ou Lac de Carthagène, est un des meilleurs Ports des Indes Occidentales, & même du Monde entier; il est spacieux, & capable de contenir plusieurs Flottes considérables, qui peuvent s'y remuer librement, quoique les Vaisseaux dont la charge est pesante, soient obligés de jetter l'ancre à une grande distance de la Ville, qui a une fort bonne clé. Aussi est-ce dans ce Port que les Galions passent l'hyver, lorsqu'ils s'arrêtent à leur retour de Porto-Bello, & qu'ils prennent leur Cargaison pour retourner en Espagne; c'est par cette raison qu'il est si bien fortifié. On y voit plusieurs petites Isles, surtout au long des Côtes.

      Carthagène est divisée en haute & basse Ville. La Ville haute, qui est proprement la Cité, est bâtie dans l'Isthme; elle s'y étend environ trois quarts de mille. Dans cet endroit il tend au Nord-Est & au Sud-Ouest, sur un mille de largeur; après quoi faisant un coude d'un mille & demi au Sud-Ouest, il reprend ensuite au Sud-Est, environ l'espace d'un demi mille; mais immédiatement au-dessus &

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