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crêtes et de pics se découpait sur le fond bleu du ciel, et le guide des pampas y eût en vain cherché ses points de repère accoutumés.

      Une admirable journée se préparait; les rayons du soleil, sorti de son lit humide du Pacifique, glissaient sur les plaines argentines et se plongeaient déjà dans les flots de l’autre océan. Il était huit heures du matin.

      Lord Glenarvan et ses compagnons, ranimés par les soins du major, revinrent peu à peu à la vie. En somme, ils avaient subi un étourdissement effroyable, mais rien de plus. La cordillère était descendue, et ils n’auraient eu qu’à s’applaudir d’un moyen de locomotion dont la nature avait fait tous les frais, si l’un d’eux, le plus faible, un enfant, Robert Grant, n’eût manqué à l’appel.

      Chacun l’aimait, ce courageux garçon, Paganel qui s’était particulièrement attaché à lui, le major malgré sa froideur, tous, et surtout Glenarvan.

      Ce dernier, quand il apprit la disparition de Robert, fut désespéré. Il se représentait le pauvre enfant englouti dans quelque abîme, et appelant d’une voix inutile celui qu’il nommait son second père.

      «Mes amis, mes amis, dit-il en retenant à peine ses larmes, il faut le chercher, il faut le retrouver! Nous ne pouvons l’abandonner ainsi! Pas une vallée, pas un précipice, pas un abîme qui ne doive être fouillé jusqu’au fond! on m’attachera par une corde! on m’y descendra! Je le veux, vous m’entendez! Je le veux! Fasse le ciel que Robert respire encore! Sans lui, comment oserions-nous retrouver son père, et de quel droit sauver le capitaine Grant, si son salut a coûté la vie à son enfant!»

      Les compagnons de Glenarvan l’écoutaient sans répondre; ils sentaient qu’il cherchait dans leur regard quelque lueur d’espérance, et ils baissaient les yeux.

      «Eh bien, reprit Glenarvan, vous m’avez entendu! Vous vous taisez!

       Vous n’espérez plus rien! Rien!»

      Il y eut quelques instants de silence; puis, Mac Nabbs prit la parole et dit:

      «Qui de vous, mes amis, se rappelle à quel instant Robert a disparu?»

      À cette demande, aucune réponse ne fut faite.

      «Au moins, reprit le major, vous me direz près de qui se trouvait l’enfant pendant la descente de la cordillère?

      —Près de moi, répondit Wilson.

      —Eh bien, jusqu’à quel moment l’as-tu vu près de toi? Rappelle tes souvenirs. Parle.

      —Voici tout ce dont je me souviens, répondit Wilson. Robert Grant était encore à mes côtés, la main crispée à une touffe de lichen, moins de deux minutes avant le choc qui a terminé notre descente.

      —Moins de deux minutes! Fais bien attention, Wilson, les minutes ont dû te paraître longues!

      —Ne te trompes-tu pas?

      —Je ne crois pas me tromper… C’est bien cela… Moins de deux minutes!

      —Bon! dit Mac Nabbs. Et Robert se trouvait-il placé à ta gauche ou à ta droite?

      —À ma gauche. Je me rappelle que son poncho fouettait ma figure.

      —Et toi, par rapport à nous, tu étais placé?…

      —Également sur la gauche.

      —Ainsi, Robert n’a pu disparaître que de ce côté, dit le major, se tournant vers la montagne et indiquant sa droite. J’ajouterai qu’en tenant compte du temps écoulé depuis sa disparition, l’enfant doit être tombé sur la partie de la montagne comprise entre le sol et deux milles de hauteur. C’est là qu’il faut le chercher, en nous partageant les différentes zones, et c’est là que nous le retrouverons.»

      Pas une parole ne fut ajoutée. Les six hommes, gravissant les pentes de la cordillère, s’échelonnèrent sur sa croupe à diverses hauteurs et commencèrent leur exploration. Ils se maintenaient constamment à droite de la ligne de descente, fouillant les moindres fissures, descendant au fond des précipices comblés en partie par les débris du massif, et plus d’un en sortit les vêtements en lambeaux, les pieds et les mains ensanglantés, après avoir exposé sa vie. Toute cette portion des Andes, sauf quelques plateaux inaccessibles, fut scrupuleusement fouillée pendant de longues heures, sans qu’aucun de ces braves gens songeât à prendre du repos. Vaines recherches.

      L’enfant avait trouvé non seulement la mort dans la montagne, mais aussi un tombeau dont la pierre, faite de quelque roc énorme, s’était à jamais refermée sur lui.

      Vers une heure, Glenarvan et ses compagnons, brisés, anéantis, se retrouvaient au fond de la vallée.

      Glenarvan était en proie à une douleur violente; il parlait à peine, et de ses lèvres sortaient ces seuls mots entrecoupés de soupirs:

      «Je ne m’en irai pas! Je ne m’en irai pas!»

      Chacun comprit cette obstination devenue une idée fixe, et la respecta.

      «Attendons, dit Paganel au major et à Tom Austin. Prenons quelque repos, et réparons nos forces. Nous en avons besoin, soit pour recommencer nos recherches, soit pour continuer notre route.

      —Oui, répondit Mac Nabbs, et restons, puisque Edward veut demeurer! Il espère. Mais qu’espère-t-il?

      —Dieu le sait, dit Tom Austin.

      —Pauvre Robert!» répondit Paganel en s’essuyant les yeux.

      Les arbres poussaient en grand nombre dans la vallée.

      Le major choisit un groupe de hauts caroubiers, sous lesquels il fit établir un campement provisoire.

      Quelques couvertures, les armes, un peu de viande séchée et du riz, voilà ce qui restait aux voyageurs. Un rio coulait non loin, qui fournit une eau encore troublée par l’avalanche. Mulrady alluma du feu sur l’herbe, et bientôt il offrit à son maître une boisson chaude et réconfortante. Mais Glenarvan la refusa et demeura étendu sur son poncho dans une profonde prostration.

      La journée se passa ainsi. La nuit vint, calme et tranquille comme la nuit précédente. Pendant que ses compagnons demeuraient immobiles, quoique inassoupis, Glenarvan remonta les pentes de la cordillère. Il prêtait l’oreille, espérant toujours qu’un dernier appel parviendrait jusqu’à lui. Il s’aventura loin, haut, seul, collant son oreille contre terre, écoutant et comprimant les battements de son cœur, appelant d’une voix désespérée.

      Pendant toute la nuit, le pauvre lord erra dans la montagne. Tantôt Paganel, tantôt le major le suivaient, prêts à lui porter secours sur les crêtes glissantes et au bord des gouffres où l’entraînait son inutile imprudence. Mais ses derniers efforts furent stériles, et à ces cris mille fois jetés de «Robert! Robert!» l’écho seul répondit en répétant ce nom regretté.

      Le jour se leva. Il fallut aller chercher Glenarvan sur les plateaux éloignés, et, malgré lui, le ramener au campement. Son désespoir était affreux. Qui eût osé lui parler de départ et lui proposer de quitter cette vallée funeste? Cependant, les vivres manquaient. Non loin devaient se rencontrer les guides argentins annoncés par le muletier, et les chevaux nécessaires à la traversée des pampas. Revenir sur ses pas offrait plus de difficultés que marcher en avant. D’ailleurs, c’était à l’océan Atlantique que rendez-vous avait été donné au Duncan. Toutes les raisons graves ne permettaient pas un plus long retard, et, dans l’intérêt de tous, l’heure de partir ne pouvait être reculée.

      Ce fut Mac Nabbs qui tenta d’arracher Glenarvan à sa douleur. Longtemps il parla sans que son ami parût l’entendre. Glenarvan secouait la tête.

      Quelques mots, cependant, entr’ouvrirent ses lèvres.

      «Partir? dit-il.

      —Oui! Partir.

      —Encore une heure!

      —Oui,

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