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ou pratiqué avec succès un genre quelconque de vol; le pègre de la haute[177] fera voler, mais il ne volera pas lui-même un objet d'une importance minime, il croirait compromette sa dignité d'homme capable; il ne fait que des affaires importantes, et méprise ceux qui volent des bagatelles; ceux-là, il les domine.

      A une époque qui n'est pas éloignée, les pègres de la haute avaient leurs lois, lois qui n'étaient écrites dans aucun code, mais qui, cependant, étaient plus exactement observées que la plupart de celles qui régissent notre ordre social; ces lois sont maintenant tombées en désuétude, mais encore aujourd'hui le pègre de la haute, qui n'a pas trahi ses camarades au moment du danger, n'est pas abandonné par eux lorsqu'à son tour il se trouve dans la peine[178]; il reçoit des secours en prison, au bagne, et quelquefois même au pied de l'échafaud.

      On rencontre partout le pègre de la haute, au Coq hardi[179] et à la Maison dorée, au bal Chicard[180] et au balcon du théâtre italien; qu'il soit vêtu d'un costume élégant, d'une veste ronde, ou seulement d'une blouse, il porte convenablement le costume que les nécessités du moment l'ont forcé d'adopter; il sait prendre toutes les formes et parler tous les langages; celui de la bonne compagnie lui est aussi familier que celui des bagnes et des prisons.

      Le pègre de la haute aime son métier et les émotions qu'il procure, et une qualité qu'on ne peut lui refuser est celle d'excellent jurisconsulte; aussi il ne procède pour ainsi dire que le code à la main, et s'il a adopté un genre particulier de vol, il acquiert bientôt une telle habileté, qu'il peut en quelque sorte exercer impunément; cela est si vrai que ce n'est qu'à des circonstances imprévues on des délations qu'on a dû l'arrestation de ceux d'entre eux qui ont comparu devant les tribunaux.

      Plusieurs nuances distinguent entre eux les pègres de la haute: la plus facile à saisir est celle qui sépare les voleurs parisiens des voleurs provinciaux; les premiers n'adoptent guère que les genres qui demandent de l'adresse et de la subtilité, la tire[181], la détourne[182]; les seconds, au contraire, moins adroits, mais plus audacieux, seront caroubleurs[183], vanterniers[184] ou roulottiers[185]. Mais il existe des organisations encyclopédiques, aussi les grands hommes de la corporation exercent-ils indifféremment tous les genres, rien ne leur paraît difficile; ils ne reculent devant quoi que ce soit. Souvent même leur tête est l'enjeu de la partie qu'ils jouent contre la société.

      Introduisons maintenant le lecteur dans un cabinet de travail qui fait partie d'un joli petit hôtel du faubourg Saint-Honoré; les tentures et les rideaux sont de couleur sombre, mais ornés d'embrasses et de crépines d'argent; sur les murs sont attachés quelques tableaux de nos premiers maîtres, la cheminée en marbre griotte d'Italie, sur laquelle on a placé une pendule formée d'un seul bloc de marbre noir et deux coupes délicieusement ciselées, est surmontée d'une immense glace, encadrée seulement d'une étroite baguette de cuivre argenté. Les meubles en palissandre sont ornés d'incrustations en argent; sur les rayons d'une élégante bibliothèque sont rangés, richement reliés, les meilleurs ouvrages de notre littérature; en un mot, le goût le plus sévère a procédé à l'ameublement et à la décoration de cette pièce.

      Devant un bureau à cylindre, couvert de papiers, de journaux, de brochures et de ces mille superfluités qui sont indispensables pour constituer un luxe bien entendu, est assis un homme enveloppé dans une élégante robe de chambre; il tient entre ses mains un petit carnet d'écaille, enrichi d'incrustations en or, qu'il examine avec beaucoup d'attention.

      A quelque distance, assis sur un fauteuil à la Voltaire, avec tout le laisser aller d'un ami intime, est un homme plus âgé que celui dont nous venons de parler, cependant le sans façon de ses manières peut paraître quelque peu extraordinaire, car son costume noir des pieds à la tête, sa culotte courte, ses bas de soie, ses souliers à petites boucles d'or annoncent sinon un domestique, du moins un subalterne.

      L'homme placé devant le bureau est monsieur le marquis de Pourrières, auditeur au conseil d'Etat et chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur. Cependant cet homme ne nous est pas inconnu, nous l'avons rencontré chez la mère Sans-Refus, donnant sous le nom de Rupin des instructions à une bande de malfaiteurs.

      Un moment, lecteur; quel que soit votre étonnement, ne criez pas encore à l'invraisemblance, on ne rencontre pas, il est vrai, des grands seigneurs dans les bouges infâmes du Paris moderne, à moins qu'ils n'y soient allés pour y étudier des mœurs exceptionnelles; mais souvent il arrive que les habitants de ces bouges quittent tout à coup leur place pour prendre celle des grands seigneurs sans que cependant ils renoncent à cultiver leur ancienne industrie.

      C'est un fait fâcheux, mais il existe. Il y a dans le meilleur monde, dans la plus haute société, des hommes sortis des bagnes et des prisons du royaume; à chaque pas que vous faites dans un salon vous pouvez être coudoyé par un escroc, un voleur, un assassin même. Un ancien forçat, qui certes avait bien mérité la peine à laquelle il avait été condamné, Guy de Chambreuil, était, en 1815, directeur général des haras de France et chef de la police du château. Qui ne se rappelle le fameux Cognard, qui sous le nom du comte de Pontis de Sainte-Hélène, était parvenu à se faire nommer colonel de la légion de la Seine[186].

      M. le marquis de Pourrières, auditeur au conseil d'Etat et chevalier de la Légion d'honneur, malgré son hôtel, ses équipages sortis des ateliers du carrossier à la mode, ses magnifiques attelages, son nom, sa place et ses décorations qui lui faisaient ouvrir à deux battants les plus aristocratiques demeures, n'était rien autre chose qu'un des membres les plus distingués de la haute pègre.

      Il tenait toujours à la main le petit carnet d'écaille.

      —Comprends-tu cela, toi, dit-il à son compagnon; rencontrer une comtesse chez la mère Sans-Refus, une vraie comtesse, vrai Dieu!

      —Une vraie comtesse! une vraie comtesse! c'est possible, mais le contraire aussi est possible, tout ce qui reluit n'est pas or, nous sommes nous-mêmes une preuve de la vérité de ce vieux proverbe.

      —Mais butor! ne t'ai-je pas fait connaître l'événement qui avait amené là cette femme.

      —Tu viens de me parler d'une chute, c'est vrai, mais peux-tu me dire ce que cette comtesse était venue chercher à plus de minuit dans la rue de la Tannerie?

      —Non, je sais seulement que cette femme est très-capable d'inspirer une violente passion à un honnête homme; au reste, je me suis trouvé là à propos pour empêcher Délicat de lui faire un mauvais parti, l'éclat de ses diamants avait ébloui le misérable.

      —Mais ce que tu as fait n'est pas très-adroit; si vraiment ces diamants étaient aussi beaux que tu le dis, c'est une bonne occasion de perdue, et tous les jours elles deviennent plus rares...

      —Mais, maître sot, ne savez-vous pas que la mère Sans-Refus que nous devons ménager, car nous trouverions difficilement un tapis plus commode que le sien, ne veut pas que l'on répande du raisinet[187] chez elle; et puis la bonne femme s'était éprise de cette belle comtesse qui, à ce qu'elle prétend, ressemble à sa fille.

      —Est-ce vrai?

      —Il y a quelque chose.

      —En ce cas, tu dois en être amoureux; c'est ce qui t'arrive chaque fois que tu rencontres une femme qui de près ou de loin ressemble à la petite Nichon.

      —Tu sais, mon cher Roman, que les plaisirs ne me font jamais négliger les affaires.

      —Est-ce que vraiment tu as l'intention de revoir cette femme?

      —Sans doute.

      —Mais elle te reconnaîtra!

      —Je le crois.

      —Elle jasera.

      —Qu'est-ce que cela me fait; crois-tu

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