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que de jolies femmes ne négligent jamais, et qui doit ajouter une nouvelle force à la puissance de leurs attraits, attendaient dans le salon que les chevaux fussent attelés au coupé, lorsque Paolo entra.

      Paolo avait trente-cinq ans, il était depuis six ans au service du baron de Noirmont, père de madame de Neuville, lors du mariage de celle-ci. C'était un savoisien dont plusieurs années de séjour à Paris n'avaient pas changé les mœurs primitives, bon, franc, loyal, plein de dévouement, type de ces domestiques que l'on ne rencontre maintenant que dans les romans ou dans les opéras-comiques, il se croyait un des membres de la famille qu'il servait, il respectait monsieur de Neuville, il aimait sa jeune maîtresse.

      Il était entré dans le salon pour annoncer que les chevaux allaient être prêts dans quelques minutes, cela fait il resta, Lucie devina qu'il avait quelque chose à lui dire.

      —Vous avez quelque chose à me dire, Paolo, lui dit-elle en accompagnant ces paroles du plus gracieux sourire.

      —C'est vrai, madame la comtesse, mais je ne sais si je dois...

      —Allons, ne craignez rien et expliquez-vous.

      —Paolo sortit une lettre de la poche de son gilet: On m'a prié de vous remettre cette lettre, mais elle vient d'une personne à laquelle monsieur le comte a fait défendre la porte de l'hôtel, à mademoiselle de Mirbel et je n'ose...

      —Une lettre d'Eugénie, dit Lucie, après ce qui s'est passé.

      —Cette lettre vient de m'être remise par une vieille femme en guenilles, mademoiselle de Mirbel est, à ce qu'elle assure, très-malade et très-malheureuse, j'ai pensé que madame la comtesse... Les yeux du bon serviteur étaient pleins de larmes, madame de Neuville vit qu'il n'osait pas lui dire tout ce qu'il savait.

      —Vous avez bien fait, Paolo, lui dit-elle, donnez-moi la lettre de mademoiselle de Mirbel, laissez-nous maintenant, je sonnerai si j'ai besoin de vous.

      —Tu n'as pas oublié Eugénie de Mirbel, dit madame de Neuville après avoir parcouru la lettre qu'elle avait décachetée.

      —Eugénie de Mirbel, répondit Laure, une jolie brune qui est entrée dans le monde quelques mois après mon arrivée au pensionnat.

      —Oui, je sais maintenant pourquoi monsieur de Neuville m'a défendu de la recevoir, ah! les hommes ont bien peu d'indulgence pour les fautes qu'ils nous font commettre, écoute ceci:

      «Avez-vous oublié, celle qui fut votre amie lorsqu'elle était rieuse et innocente jeune fille? je ne le crois pas. S'il en est ainsi, si vous avez conservé le souvenir de la pauvre Eugénie de Mirbel, au nom de tout ce que avez de plus cher au monde, je vous en supplie, venez à mon secours, ou plutôt venez au secours de mon enfant. Il faut, Lucie que je sois bien misérable pour oser vous écrire après ce qui s'est passé, si j'étais seule à souffrir, si je n'avais pas à côté de moi, sur le grabat que je ne dois plus quitter, une faible et innocente créature, qui elle aussi va mourir si personne ne vient la secourir, j'aurais eu assez de courage pour quitter la vie sans presser une main amie, sans rencontrer pour m'aider à mourir, un regard affectueux; mais je suis mère! Lucie, puissiez-vous ne jamais connaître les horribles souffrances d'une mère qui ne peut rien faire pour son enfant, qui va mourir à côté d'elle de froid et de faim. De froid et de faim, Lucie! Si vous craignez de désobéir à monsieur de Neuville, lisez-lui ma lettre, mettez-vous à genoux devant lui, dites-lui que l'on pardonne beaucoup à ceux qui vont mourir, et il vous laissera venir, mais au nom du ciel, au nom de votre respectable père qui était l'ami du mien, hâtez-vous; mes seins sont desséchés, ma pauvre petite fille pleure et je n'ai pas seulement un sou, un sou! pour lui acheter un peu de lait.»

      —Partons de suite, Lucie, dit Laure lorsque madame de Neuville eut achevé la lecture de cette lettre; partons de suite, si M. de Neuville était ici, il viendrait avec nous, j'en suis sûre.

      —Oh! oui, répondit Lucie, M. de Neuville m'a défendu de voir Eugénie, et il avait raison, mais elle n'était pas malheureuse alors.

      Lucie et Laure jetèrent une pelisse sur leurs épaules puis madame de Neuville sonna, ce fut Paolo qui se présenta.

      —Vous allez me chercher un fiacre sur la place la plus voisine, vous le conduirez près de la petite porte du jardin, rue Larochefoucault, où vous m'attendrez, lui dit-elle.

      Bien qu'elle n'eût pas l'intention de cacher à son mari la démarche qu'elle allait faire, madame de Neuville croyait devoir se servir d'une voiture de place, afin de ne pas se trouver, pour ainsi dire, obligée de déduire à ses gens, les raisons qui l'engageaient à visiter une personne qui demeurait dans la rue de la Tannerie, au lieu d'aller passer la soirée chez madame de Villerbanne.

      La soirée était déjà avancée, lorsque Lucie et Laure montèrent en voiture après avoir traversé le vaste jardin de l'hôtel.

      —Cette pauvre Eugénie, disait madame de Neuville en montant en voiture, il faut qu'elle soit bien malheureuse, pour s'être déterminée à m'écrire une lettre semblable à celle que je viens de recevoir; oh! mon amie, combien nous devons nous trouver heureuses, si nous comparons notre sort à celui de la pauvre Eugénie de Mirbel.

      La comtesse ne dit plus rien pendant tout le temps que le fiacre mit à franchir l'espace qui sépare la rue Saint-Lazare de la rue de la Tannerie; le sort malheureux de son ancienne amie paraissait l'affecter vivement, et Laure, sur laquelle la tristesse qui assombrissait ses traits paraissait réagir, n'osait troubler ses réflexions.

      On démolissait en ce moment, dans la rue de la Tannerie, les vieilles masures qui ont fait place aux constructions nouvelles, qui avoisinent maintenant la place de l'hôtel de ville; la rue, déjà étroite, était encombrée de gravois, qui la rendait impraticable aux voitures, aussi avait-elle été barrée; les deux femmes avaient donc été forcées de laisser le fiacre qui les avait amenées au coin de la rue Planche-Mibray.

      Elles trouvèrent sans difficulté la demeure d'Eugénie de Mirbel, la pauvre fille n'avait pas fait une peinture exagérée de son affreuse misère, dont l'aspect navra le cœur de madame de Neuville.

      Les murs de la mansarde qu'elle habitait étaient nus, et le vent s'y frayait un passage, malgré les tampons de chiffons avec lesquels on avait essayé de remplacer les vitres absentes, du châssis d'imposte qui éclairait ce galetas, Eugénie était couchée sur un mince matelas d'étoupes, posé sur un mauvais lit de sangle, et couverte seulement d'une légère couverture de coton, jadis blanche; elle tenait entre ses bras une jolie petite fille âgée au plus de trois mois, les yeux de la pauvre mère, profondément enfoncés dans leur orbite et entourés d'un cercle noir, annonçaient qu'elle était en proie à une fièvre dévorante.

      —Ah! te voilà, dit-elle lorsqu'elle vit entrer madame de Neuville suivie de Laure; je croyais que tu ne viendrais pas, je suis si malheureuse!

      —Ma pauvre Eugénie! s'écria Lucie en fondant en larmes, oh! oui, tu es bien malheureuse!... Mais pourquoi ne m'as-tu pas écrit plus tôt?

      —Ecoute, Lucie, je vais mourir, dit Eugénie en attirant vers elle la comtesse de Neuville pour lui montrer son enfant; je vais mourir, mais tu prendras soin de ma fille; tu me le promets, n'est-ce pas?

      —Non, tu ne mourras pas, ma pauvre amie, tu es jeune, la nature est forte à ton âge.

      Eugénie secoua tristement la tête.

      —Occupe-toi de ma fille, dit-elle en mettant son enfant entre les bras de la comtesse.

      Lucie envoya chercher un médecin, une garde, fit acheter tout ce qui était nécessaire pour attendre qu'Eugénie eût repris assez de forces pour pouvoir être transportée dans une maison de santé: elle donna un peu d'argent à la vieille femme qui avait apporté la lettre de son ancienne amie; tous ces soins avaient nécessité un temps assez long, aussi était-il près de minuit lorsqu'elle quitta son amie, en lui promettant de venir la voir dans la journée du lendemain. Le lecteur sait comment elle fut, ainsi que Laure, renversée par Vernier les bas bleus, qui se sauvait de chez la mère Sans-Refus

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