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circonstance imprévue est venue augmenter les ténèbres qui enveloppaient déjà ce tragique événement. Dans une armoire cachée derrière un secrétaire, on a découvert une énorme quantité de montres, de tabatières, de bijoux de toute espèce. Faut-il conclure de cette découverte, que les deux victimes appartenaient à cette catégorie de voleurs, qu'en termes de police on nomme tireurs ou fourlineurs, ou bien étaient-ils des recéleurs? C'est ce que l'instruction décidera.

      »L'assassin a laissé sur le théâtre du crime, l'instrument qui lui a servi pour le commettre; c'est un de ces forts marteaux dont se servent habituellement les ouvriers serruriers. On a aussi trouvé son sac, dans lequel sont ses outils.»

      —Il ne reste plus, dit Roman, interrompant sa lecture, que de Pourrières et Lussan avaient écoutée avec beaucoup d'attention, que le commentaire obligé du journaliste.

      «Ce crime commis avec tant d'audace, à dix heures et demie du soir, au centre d'un quartier populeux, est venu tout à coup jeter l'épouvante dans la population. Chacun se demande à quoi sert une police, etc., etc.»

      —Ce n'est point un escarpe[189] qui a réglé le compte de nos amis, dit Roman, lorsqu'il eut achevé la lecture du journal.

      —Je ne regrette pas ces deux individus, répondit de Lussan, les nécessités de notre industrie me forçaient de me trouver souvent avec eux, et je vous assure, cher marquis, que cela me faisait beaucoup souffrir, c'étaient des hommes sans éducation qui n'avaient nulle élégance dans les manières. Je m'étais cependant intéressé à Lion, je l'avais conduit chez mon tailleur, un véritable artiste, peines perdues, mon cher.

      —C'étaient de braves garçons, ajouta de Pourrières. Mais, après tout, j'aime mieux les savoir morts qu'arrêtés; c'est beaucoup plus sûr. Les morts sont discrets.

      La conversation continua quelques instants encore, puis de Lussan quitta de Pourrières et Roman, après avoir salué le marquis et son ami avec cette grâce et cette urbanité, apanage ordinaire d'un gentilhomme de bonne maison.

       Table des matières

      Madame de Neuville et Laure de Beaumont, son amie, habitaient rue Saint-Lazare, près celle Larochefoucault, une de ces anciennes et vastes demeures qui ne ressemblent en rien aux constructions de notre époque, auxquelles une main parcimonieuse paraît avoir mesuré l'air et l'espace. Le comte de Neuville, gentilhomme de bonne souche, était, au moment où commence cette histoire, colonel au corps royal d'état-major, et tous ses grades avaient été acquis sur le champ de bataille, toutes les décorations qui brillaient sur sa poitrine, avaient été le prix du sang ou d'une action d'éclat, ce qui n'est pas commun par le temps qui court.

      Le comte de Neuville était doué de cette franchise de cœur, apanage ordinaire des hommes qui ont longtemps vécu dans les camps; et les seuls défauts qu'il eût été possible de lui reprocher avec quelque apparence de raison, étaient une extrême susceptibilité et une certaine violence de caractère qui seraient passées inaperçues chez tout autre individu, mais que faisaient remarquer son âge et sa position dans le monde.

      Comme on le pense bien, Lucie, en épousant le comte de Neuville, n'avait pas contracté un mariage d'inclination; mais comme elle n'était, avant son mariage, jamais sortie du pensionnat dans lequel elle avait été élevée, elle avait accepté sans éprouver le moindre chagrin un homme que des qualités estimables et un extérieur qui, sans être séduisant, n'était pas dépourvu d'un certain charme, recommandaient suffisamment.

      Grâce aux soins éclairés des personnes qui avaient fait son éducation, elle n'avait pas lu les productions échevelées des femmes incomprises de notre époque; aussi elle avait envisagé sa position sans répugnance, et les bonnes qualités de son époux aidant, elle en était venue à éprouver pour lui cet attachement calme et réfléchi qui dure souvent plus longtemps que l'amour, et presque toujours conduit au port après une vie parfaitement heureuse, lorsque des événements imprévus ne viennent pas déranger le cours ordinaire de l'existence.

      La comtesse Lucie de Neuville était une très-jeune et très-jolie femme, quelque peu capricieuse, assez volontaire, mais bonne, spirituelle, douée en un mot de cette générosité grande, et de cette parfaite distinction qui paraissent n'appartenir qu'à de certaines individualités.

      Lucie avait perdu son père quelques mois après son mariage; son frère aîné, élevé loin d'elle, avait été tué en Afrique lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant; son mari était donc le seul homme au monde dont la protection lui fût acquise.

      Laure de Beaumont était orpheline, mais un oncle maternel qui habitait une contrée éloignée s'intéressait à elle, et à la fin de chaque semestre faisait tenir à la maîtresse du pensionnat dans lequel elle avait été élevée avec madame de Neuville, une somme assez considérable pour lui assurer tous les soins et tous les égards imaginables.

      Lorsque Lucie eut épousé le comte de Neuville, désirant ne pas être séparée de Laure qu'elle aimait et dont elle était aimée, elle avait voulu qu'elle vînt habiter son hôtel et en avait fait son amie et sa compagne de tous les instants.

      L'oncle de Laure, dont le comte de Neuville avait sollicité le consentement, avait approuvé cet arrangement, qui permettait à sa nièce de quitter son pensionnat et lui donnait dans le monde une position convenable.

      Laure avait dix-huit ans: c'était une blonde charmante, rien n'était plus séduisant que la gracieuse désinvolture de ses mouvements; le bleu azuré de ses yeux faisait excuser la pâleur de son visage, et ses traits, empreints de cette distinction, apanage ordinaire des races privilégiées, décelaient une belle âme; on ne pouvait l'entendre sans éprouver une douce émotion; en un mot, cette jeune fille paraissait être la réalisation d'un de ces rêves qui viennent quelquefois caresser notre imagination lorsque nous avons vingt ans, rêves dorés dont nous conservons toujours le souvenir.

      Voilà quelles étaient les deux femmes que nous avons rencontrées chez la mère Sans-Refus. Nous devons maintenant faire connaître à nos lecteurs l'événement qui avait conduit madame de Neuville et sa compagne dans cet ignoble lieu.

      Monsieur de Neuville, que le ministre de la guerre avait nommé chef de l'état-major d'une division employée en Algérie, était parti quelques jours auparavant pour se rendre à son poste. Ce départ avait beaucoup contrarié sa jeune épouse, qui redoutait pour lui les dangers qu'il allait courir; mais le colonel, en partant, l'avait rassurée autant du moins que cela lui avait été possible, et ne voulant pas que son absence, pendant la saison des bals et des réunions, privât la jeune femme des plaisirs que sans doute elle avait espérés, il lui avait fait promettre qu'elle irait dans le monde, il lui avait surtout recommandé de ne pas négliger une de ses parentes, la marquise de Villerbanne.

      Les salons de la marquise de Villerbanne, qui habitait un des hôtels de la place Royale, étaient un terrain neutre sur lequel se rencontraient tous les hommes distingués de la société parisienne; gentilshommes, artistes, militaires, littérateurs ou diplomates y étaient bien reçus, lorsque des qualités personnelles les rendaient dignes de la position qu'ils occupaient dans le monde; aussi ces réunions étaient-elles brillantes, animées, et, ce qui est rare, on ne s'y ennuyait jamais.

      Madame de Neuville et Laure, belles toutes deux d'une beauté différente, toutes deux jeunes et pleines de grâces, étaient les reines de ce salon, dans lequel cependant il n'était pas rare de rencontrer de très-jeunes, très-jolies et très-aimables femmes.

      Quelle est la femme; quelque dose de sagesse qu'on lui suppose, qui n'est pas flattée d'être l'objet des hommages empressés d'une foule d'hommes distingués, surtout lorsque ces hommages peuvent paraître désintéressés et provoqués seulement par une admiration vivement sentie.

      On ne sera donc pas étonné lorsque nous dirons que toutes les recommandations que monsieur de Neuville

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