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serpentaient le long de sa cuisse, étaient soutenues par une ceinture de soie orange, où était passé un poignard richement travaillé; enfin de grandes guêtres de peau blanche, piquées et brodées en soie de mille couleurs, à la mexicaine, lui montaient jusqu’au-dessous du genou et dessinaient une jambe du plus beau galbe.

      Rien de plus piquant, de plus joli que le contraste que présentaient Jacques et Angèle ainsi groupés. D’un côté, cheveux blonds, teint d’albâtre, joues rosées, grâces enfantines et gentillesse; de l’autre, teint bronzé, cheveux d’ébène, air mâle et hardi.

      La blancheur de la robe d’Angèle se dessinait sur la couleur sombre des vêtements de Jacques, et l’on pouvait mieux apprécier encore les contours de la taille fine et souple de la Barbe-Bleue. Attachant ses grands yeux bleus sur les yeux noirs du mulâtre, la jeune femme se plaisait à rabattre le collet brodé de la chemise de Jacques, pour mieux admirer son cou hâlé, qui par sa couleur et par sa forme, pouvait rivaliser avec le plus beau bronze florentin.

      Après avoir assez prolongé cette inconvenante exhibition, Angèle donna au mulâtre un bruyant baiser au-dessous de l’oreille, lui prit la tête entre ses deux petites mains, ébouriffa malicieusement sa noire chevelure, lui donna une tape sur la joue, et s’écria:

      – Voilà comme je vous aime, monsieur l’Ouragan.

      A un léger bruit qu’on entendit derrière la tapisserie qui servait de portière, Angèle dit:

      – Est-ce toi, Mirette? que fais-tu là?

      – Maîtresse, je viens d’apporter des fleurs… et je vais les arranger dans les caisses.

      – Elle nous entend… dit Angèle en faisant un signe mystérieux au mulâtre; puis elle s’amusa encore en riant comme une folle à ébouriffer la chevelure de M. l’Ouragan.

      M. l’Ouragan se prêtait complaisamment aux gentils caprices d’Angèle, et la contemplait avec amour.

      Il lui dit en souriant:

      – Enfant! parce que vous avez constamment seize ans, vous vous croyez tout permis! puis il ajouta en souriant d’un air gravement railleur:

      – Et qui dirait pourtant, à voir cette petite mine si rose, si ingénue, que je tiens sur mes genoux la plus insigne scélérate des Antilles?

      – Et qui dirait que cet homme, qui parle d’une voix si douce, est ce féroce capitaine l’Ouragan, la terreur des Anglais et des Espagnols! s’écria Angèle en éclatant de rire.

      Nous devons avertir le lecteur que le mulâtre et la veuve s’exprimaient dans le meilleur français et sans le moindre accent étranger.

      – Quelle différence! s’écria ce dernier en souriant, ce n’est pas moi qu’on accuse d’horribles et mystérieuses aventures, ce n’est pas moi qu’on appelle Barbe-Bleue.

      A ces mots qui devaient lui rappeler les plus sinistres souvenirs, la petite veuve, d’un geste plein de coquetterie mutine, donna la plus mignarde de toutes les chiquenaudes sur le bout du nez du capitaine l’Ouragan, lui montra d’un geste la porte de la chambre voisine pour l’avertir qu’on pouvait l’entendre et dit d’un air malicieusement boudeur:

      – Voilà pour vous apprendre à parler des trépassés.

      – Fi! le monstre! dit le capitaine en riant aux éclats, et les remords, donc, madame?

      – Donne-moi un baiser par remords, donc, et j’en aurai…

      – Que Lucifer me soit en aide! Il n’y a que les femmes pour être aussi criminelles… Ah! ma chère, que vous êtes bien nommée… vous me faites frémir… Si nous soupions?

      Angèle frappa sur un gong; la jeune métisse, qui avait entendu la conversation précédente, entra. Elle portait une robe de guinée blanche à raies écarlates, et avait des anneaux d’argent aux bras et aux jambes.

      – Mirette, as-tu fini de ranger les fleurs là-dedans? lui dit la Barbe-Bleue.

      – Oui, maîtresse.

      – Tu nous écoutais?

      – Non, maîtresse.

      – D’ailleurs, ça m’est égal… je parle, c’est pour qu’on m’entende… Fais-nous donner à souper, Mirette.

      Puis s’adressant au capitaine:

      – Quel vin veux-tu?

      – Du vin de Xérès, mais glacé. C’est un caprice…

      Mirette sortit un moment, et revint bientôt procéder aux préparatifs du couvert.

      – A propos, dit l’Ouragan, j’oubliais de te prévenir d’un très grand événement.

      – Quoi donc? un de mes défunts qui revient?

      – Ma foi, à peu près.

      – Comment… Ah! monsieur Jacques, monsieur Jacques, pas de mauvaises plaisanteries, dit Angèle en prenant un air effrayé.

      – Non, ce n’est pas un défunt, un spectre, mais un prétendant bien vivant qui ne demande qu’à être ton mari.

      – Il veut m’épouser?

      – Il veut t’épouser.

      – Ah! le malheureux! il s’ennuie donc bien de vivre? s’écria Angèle en éclatant de rire.

      Mirette, à ces mots, se signa tout en surveillant le service de deux autres mulâtresses qui apportaient des bouteilles de verre de Bohème couvertes d’arabesques d’or, et des piles d’assiettes de magnifiques porcelaines du Japon.

      La Barbe-Bleue continua:

      – Mon amoureux n’est-donc pas de ce pays?

      – Non certes! car malgré vos richesses, ma chère, je vous défierais bien de trouver un quatrième mari, grâce à votre infernale réputation…

      – Et d’où sort-il donc, cet épouseur, mon cher Jacques?

      – Il vient de France.

      – De France?.. il vient de France pour m’épouser! diable!..

      – Angèle, vous savez que je n’aime pas vous entendre jurer, dit le mulâtre avec un sérieux comique.

      – Pardon, monsieur l’Ouragan, dit la jeune femme en baissant les yeux d’un air hypocrite. Cette exclamation signifiait que je trouvais très étonnante la nouvelle que vous me donniez… Il paraît que ma réputation commence à parvenir en Europe.

      – N’ayez pas cette vanité, ma chère. C’est à bord de la Licorne que ce digne paladin a entendu parler de vous, et, sur la seule évaluation de vos richesses, il est devenu amoureux, mais amoureux fou… de vous… Voilà qui rabaissera, je l’espère, votre orgueil?

      – L’impertinent! et quel homme est-ce… Jacques?

      – Le chevalier de Croustillac.

      – Tu dis?

      – Le chevalier de Croustillac.

      – C’est là le nom de… mon prétendant?.. – et Angèle partit d’un fou rire que rien ne put arrêter, et le mulâtre partagea bientôt son hilarité.

      Tous deux se calmaient à peine lorsque Mirette rentra, précédant deux autres métisses qui apportaient une table splendidement servie en vaisselle de vermeil.

      Les deux esclaves posèrent la table près du divan; le capitaine se leva pour prendre un siége, pendant qu’Angèle, agenouillée sur le bord du sofa, découvrait les plats les uns après les autres et furetait la table avec des gestes et des mines de chatte gourmande.

      – As-tu faim, Jacques?.. moi, je dévore, dit Angèle. Et, pour prouver sans doute la vérité de cette assertion, elle entr’ouvrit ses lèvres de corail et montra deux rangées de ravissantes petites dents qu’elle fit claquer par deux fois.

      – Angèle, ma chère,

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