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colonel suivit John en se traînant sur un sol humide et fangeux..

      Pendant quelque temps, les deux Anglais s’avancèrent ainsi, rampant sur les genoux, sur les mains et sur le ventre, dans l’obscurité la plus complète.

      Tout à coup John s’arrêta brusquement, et s’écria d’une voix altérée par l’épouvante:

      – Colonel…

      – Que veux-tu?

      – Ne sentez-vous pas une odeur forte?

      – Oui, cette odeur est fétide.

      – Ne bougez pas… c’est un serpent… fer-de-lance! Nous sommes perdus…

      – Un serpent? s’écria le colonel avec effroi.

      – Nous sommes morts… Je n’ose pas avancer… l’odeur devient de plus en plus forte, murmura John.

      – Tais-toi… Écoute…

      Dans une mortelle angoisse, les deux hommes retinrent leur respiration.

      Tout à coup, à quelques pas, ils entendirent un bruit continu, précipité, comme si l’on eût battu le sol humide avec un fléau.

      L’odeur nauséabonde et subtile que répandent les gros serpents devint de plus en plus pénétrante…

      – Le serpent est en fureur, il s’est lové; c’est de sa queue qu’il bat ainsi la terre, dit John d’une voix affaiblie. – Colonel… recommandons notre âme à Dieu…

      – Il faut crier pour l’effrayer, dit Rutler.

      – Non, non, il se jettera tout de suite sur nous, dit John.

      Les deux hommes restèrent quelques moments dans une horrible attente.

      Ils ne pouvaient ni se retourner ni changer de position; leur poitrine touchait au sol, leur dos touchait au roc… Ils n’osaient faire un mouvement de recul dans la crainte d’attirer le reptile à leur poursuite.

      L’air, de plus en plus imprégné de l’odeur infecte du serpent, devenait suffocant.

      – Ne trouves-tu pas sous ta main une pierre pour la lui jeter? dit tout bas le colonel.

      A peine avait-il dit ces mots que John poussa des cris terribles et se débattit avec violence en s’écriant:

      – A moi! à moi! je suis mort…

      Éperdu de terreur, Rutler voulut se redresser, mais il se frappa violemment le crâne aux parois de l’étroit passage.

      Alors, rampant en arrière aussi rapidement qu’il le put à l’aide de ses genoux et de ses mains, il tâcha de fuir à reculons pendant que John, aux prises avec le serpent, poussait des hurlements de douleur et d’épouvante.

      Tout à coup ses cris devinrent sourds: inarticulés, gutturaux, comme si le marin eût été étouffé.

      En effet, le serpent, furieux, après avoir, dans l’obscurité, mordu John aux mains, à la gorge, au visage, essayait d’introduire sa tête plate et visqueuse dans la bouche entr’ouverte de ce malheureux, et le mordait aux lèvres et à la langue; et cette dernière blessure l’acheva.

      Le serpent, avant assouvi sa rage, dénoua rapidement ses horribles nœuds et prit la fuite.

      Le colonel sentit un corps flasque et glacé effleurer sa joue; il se tint immobile.

      Le serpent glissa rapidement le long des parois du conduit souterrain et s’échappa.

      Ce danger passé, le colonel resta quelques moments pétrifié de terreur; il écoutait les derniers râlements de John; son agonie fut rapide.

      Rutler l’entendit faire quelques soubresauts convulsifs, et ce fut tout.

      Son compagnon était mort…

      Alors Rutler s’avança vers John, et le saisit par la jambe…

      Cette jambe était déjà roide et froide, tant le venin du serpent fer-de-lance est rapide.

      Un nouveau sujet d’effroi vint assaillir le colonel.

      Le reptile, ne trouvant pas d’issue dans la caverne, pouvait revenir par le même chemin; Rutler croyait déjà entendre un léger frôlement derrière lui; il ne pouvait fuir en avant, le corps de John bouchait complétement le passage; fuir en arrière c’était s’exposer à rencontrer le serpent.

      Pourtant, dans son épouvante, le colonel saisit le cadavre par les deux jambes, afin de l’entraîner jusqu’à l’entrée du conduit souterrain et de déblayer ainsi la seule issue par laquelle il pût sortir de cette caverne.

      Ses efforts furent vains.

      Soit que sa vigueur fût paralysée par la gêne de sa position, soit que le poison eût déjà fait gonfler le corps, Rutler ne put parvenir à le tirer à lui.

      Ne voulant, n’osant croire que cette unique et dernière chance de salut lui fût enlevée, il trouva le moyen de détacher sa ceinture et de l’attacher aux pieds du mort, puis la prenant entre ses dents et s’aidant de tes deux mains, il se mit à tirer avec toute l’énergie du désespoir…

      A peine il put imprimer un léger mouvement à ce cadavre.

      Sa terreur augmenta; il chercha son couteau, dans le projet insensé de dépecer le corps de John: il reconnut bientôt l’inutilité de cette tentative.

      Les pistolets et les munitions du colonel étaient dans un sac de peau de lamentin que portait John sur les épaules; il voulut au moins essayer d’enlever le sac à son compagnon; il y parvint après des difficultés inouïes, puis il regagna à reculons l’entrée du conduit.

      Une fois dans la caverne, il se sentit faiblir, mais l’air le ranima, il se plongea le front dans l’eau froide et s’assit sur la grève.

      Il avait presque oublié le serpent.

      Un long sifflement lui fit lever la tête; il vit le reptile se balançant à quelques pieds au-dessus de lui, à demi enlacé dans les roches qui formaient la voûte du souterrain.

      Le colonel retrouva son sang-froid à la vue du danger; restant presque immobile et n’agissant que des mains, il déboucla le sac, y prit un pistolet et l’arma.

      Heureusement la charge et l’amorce étaient intactes.

      Au moment où le serpent, irrité par le mouvement de Rutler, se précipita sur lui, ce dernier l’ajusta, tira, et le reptile tomba a ses pieds la tête fracassée. Il était d’un noir bleuâtre, tacheté de jaune, et avait huit à neuf pieds de long.

      Délivré de cet ennemi, encouragé par ce succès, le colonel voulut tenter un dernier effort pour dégager la seule issue par laquelle il pût sortir.

      Il rampa de nouveau dans le conduit; malgré sa vigueur, ses efforts inouïs, il ne put parvenir à déranger le cadavre de John.

      De retour dans la caverne, il la parcourut en tous sens et ne trouva aucune autre issue.

      Il ne pouvait espérer de secours du dehors, ses cris ne pouvaient être entendus.

      A cette horrible pensée, ses yeux tombèrent sur le serpent; il y vit une ressource momentanée; il savait que quelquefois les nègres affamés mangeaient de ces chairs répugnantes, mais non malsaines.

      La nuit vint, il se trouva dans de profondes ténèbres… Les lames mugissaient et se brisaient à l’entrée de la caverne; la chute d’eau se précipitait avec fracas dans le bassin inférieur.

      Une nouvelle frayeur vint assaillir Rutler. Il savait que les serpents se rejoignent et s’accouplent souvent pendant la nuit; guidé par la voie, le mâle ou la femelle du reptile qu’il avait tué pouvait venir à sa recherche.

      Les transes du colonel devinrent affreuses. Le moindre bruit le faisait tressaillir… malgré son caractère énergique; il se demanda, dans le cas ou il sortirait par un miracle de cette horrible position, s’il continuerait l’entreprise qu’il avait commencée.

      Tantôt

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