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juge par le goût de Gontran, ça doit être charmant et magnifique à la fois.

      Je sortis navrée de chez mademoiselle de Maran.

      En songeant à ce secret qu'elle avait voulu me confier une seconde fois, je me rappelai malgré moi ce que m'avait dit la duchesse de Richeville… Et pourtant, je n'avais pas la moindre défiance de Gontran; lui-même n'avait-il pas été au-devant de mes soupçons en m'avouant les torts qu'on pouvait lui reprocher? et puis, d'ailleurs, je l'aimais passionnément. J'avais en lui une foi profonde.

      Je ne me sentais si assurée, si charmée de mon avenir que parce qu'il en était chargé. Il en était de même de l'amitié d'Ursule; je la croyais aussi dévouée, aussi sincère que celle que j'éprouvais moi-même pour elle.

      La cruelle inquiétude que mademoiselle de Maran m'avait jetée au cœur planait donc au-dessus des deux seules affections que j'eusse, et semblait les menacer toutes deux sans en attaquer aucune.

      Je trouvai dans le salon la corbeille que m'envoyait M. de Lancry. Ainsi que l'avait prévu ma tante, il était impossible de rien voir de plus élégant et de plus riche: diamants bijoux, dentelles, châles de cachemire, étoffes, etc., tout était en profusion et d'un goût exquis. Mais j'étais trop triste pour jouir de ces merveilles. Je les aurais à peine regardées si elles n'avaient pas été choisies par Gontran.

      Pourtant, à force de vouloir deviner le mystère que mademoiselle de Maran me cachait, je finis par croire que son attendrissement, qui m'avait paru très-sincère, ne l'avait pas été, que son seul but avait été de me tourmenter et de me faire de cruels adieux.

      La vue Gontran, qui vint un peu avant l'heure fixée pour la signature du contrat, ses tendres paroles, finirent par me rassurer tout à fait.

      A neuf heures, ma famille et celle de Gontran étaient rassemblées dans le grand salon de l'hôtel de Maran.

      J'étais à côté de ma tante et de M. le duc de Versac. Le notaire arriva. Presque au même instant, on entendit le claquement des fouets et le bruit retentissant d'une voiture qui entrait dans la cour au galop de plusieurs chevaux.

      Je regardai ma tante, elle devint livide.

      Un moment après, M. de Mortagne parut à la porte du salon.

      CHAPITRE V.

      MONSIEUR DE MORTAGNE

      Sans les traits fortement accentués qui caractérisaient la physionomie de M. de Mortagne, il eût été méconnaissable. Sa barbe, ses cheveux, avaient entièrement blanchi; son front ridé, ses yeux caves et bistrés, ses joues profondément creusées, témoignaient de longues et cruelles souffrances; ses vêtements étaient aussi négligés que d'habitude.

      Cette apparition presque sinistre, au milieu de ce salon étincelant d'or et de lumières, rempli d'hommes et de femmes élégamment parées, formait un contraste étrange.

      D'abord l'assemblée resta muette d'étonnement. M. de Mortagne vint droit à moi, je me levai; il me prit les mains, me regarda quelques minutes; l'expression farouche de ses traits s'adoucit, il m'embrassa tendrement sur le front, et me dit:

      – Enfin me voici, pourvu qu'il ne soit pas trop tard… – Et me considérant attentivement, il ajouta: – C'est sa mère… tout le portrait de sa pauvre mère! Ah! je comprends bien la haine du monstre.

      La première stupeur passée, mademoiselle de Maran retrouva son audace habituelle, et s'écria résolument:

      – Qu'est-ce que vous venez faire ici, monsieur?

      Sans lui répondre, M. de Mortagne s'écria d'une voix tonnante:

      – Je viens ici accuser et convaincre trois personnes d'indignes manœuvres et de basse cupidité! Ces trois personnes sont vous, mademoiselle de Maran! vous, monsieur d'Orbeval! vous, monsieur de Versac!

      Ma tante s'agita sur son fauteuil, M. d'Orbeval pâlit d'effroi, et M. de Versac se leva; mais son neveu s'écria vivement:

      – Monsieur de Mortagne!.. prenez garde, M. le duc de Versac est mon oncle… et l'insulter, c'est m'insulter.

      – Votre tour viendra, monsieur de Lancry, mais plus tard: d'abord les causes, puis les effets, – dit froidement M. de Mortagne.

      Je saisis la main de Gontran, en lui disant tout bas d'une voix suppliante:

      – Que vous importe? je vous aime; ne vous irritez pas contre M. de Mortagne; il a été le seul protecteur de mon enfance.

      M. de Mortagne continua:

      – Je m'attends à des cris, à des menaces, c'est tout simple; quiconque m'empêchera de parler redoutera mes paroles.

      – On ne redoute que vos injures, monsieur, – s'écria mon tuteur.

      – Quand j'aurai dit ce que j'ai à dire, je serai aux ordres de ceux qui se trouveront offensés.

      – Mais c'est une tyrannie insupportable! vous ne nous imposerez pas avec vos airs furieux de matamore et de Ramasse-ton-bras! – s'écria mademoiselle de Maran.

      – Mais, en effet, c'est intolérable!.. – dit M. de Versac. – On n'a pas d'idée d'une grossièreté pareille chez un homme bien né…

      – Il y a là calomnie et diffamation, – dit mon tuteur.

      – Vous craignez donc mes révélations… puisque vous voulez étouffer ma voix? – s'écria M. de Mortagne. – Vous craignez donc bien que je détourne cette malheureuse enfant du mariage qu'on veut lui faire faire?

      – Monsieur! – s'écria Gontran, – c'est maintenant moi, entendez-vous?.. moi! qui vous somme de parler… et de parler sans réticences… Si honoré, si heureux que je sois de m'unir à mademoiselle Mathilde, je renoncerais à l'instant à des vœux si chers, s'il lui restait le moindre doute sur…

      J'interrompis à mon tour M. de Lancry; et je dis à M. de Mortagne: – Je ne doute pas que votre conduite ne vous soit dictée par l'intérêt que vous me portez, monsieur… Je n'ai pas oublié vos bontés pour moi, mais, je vous en supplie, pas un mot de plus… Rien au monde ne pourra faire changer ma résolution…

      – Mais moi, mademoiselle, j'en changerai, – s'écria Gontran… – Oui, telle cruelle que soit cette résolution, je renoncerai à votre main si à l'instant monsieur ne s'explique pas…

      – C'est ce que je demande… – dit M. de Mortagne.

      – Mais c'est absurde, – s'écria mademoiselle de Maran, pâle de colère; – mais vous n'avez donc pas de sang dans les veines, tous tant que vous êtes, de vous laisser imposer par cet échappé de Bicêtre!..

      – Échappé des prisons de Venise… où vous m'avez fait jeter depuis huit ans… par la plus exécrable machination! – s'écria M. de Mortagne d'une voix tonnante en saisissant rudement mademoiselle de Maran par le bras et en la secouant avec fureur.

      – Mais il va m'assassiner, il est capable de tout! – s'écria ma tante.

      – Et toi, infernale créature, de quoi n'es-tu pas capable? Ta trahison ne m'a-t-elle pas fait souffrir mille morts?.. Vois mes cheveux blanchis, vois mon front sillonné par les souffrances. Huit ans de tortures… entends-tu? Huit ans de tortures! Et je m'en vengerai, dussé-je te poursuivre jusqu'à la fin de tes jours… et encore je ne sais pas pourquoi je ne délivre pas tout de suite la terre d'un monstre tel que toi… – ajouta M. de Mortagne en rejetant mademoiselle du Maran dans son fauteuil.

      Cette scène avait été si brusque, l'accusation que M. de Mortagne portait contre ma tante semblait si extraordinaire, que tous les assistants restèrent un moment frappés du stupeur et d'effroi.

      Mademoiselle de Maran, quoique redoutée, était assez universellement détestée pour que ses amis ne fussent pas fâchés d'être involontairement témoins d'une scène si étrangement scandaleuse.

      Le front de mademoiselle de Maran était couvert d'une sueur froide, elle respirait à peine,

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