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lendemain matin, nous nous rendîmes à la chapelle de la chambre des pairs, où le mariage devait avoir lieu à neuf heures. En entrant, la première personne que j'aperçus fut M. de Mortagne. N'ayant pas été prévenu la veille, il n'avait pu assister au mariage civil.

      Monseigneur l'évêque d'Amiens nous unit. Son allocution à Gontran fut grave, sérieuse, presque sévère; je pensai qu'on jugeait mon mari sur sa conduite passée; je fus presque orgueilleuse de l'espèce de conversion que son amour pour moi allait opérer dans l'avenir. En sortant de la chapelle, nous rentrâmes dans un salon que M. le chancelier avait bien voulu mettre à notre disposition. J'étais près de la fenêtre avec Gontran et mademoiselle de Maran, attendant le retour de M. de Versac pour partir avec lui.

      M. de Mortagne s'avança près de nous.

      Je vis les yeux de Gontran étinceler de colère.

      Effrayée, je lui pris le bras en lui disant: – Gontran, rappelez-vous votre promesse; mais il me repoussa presque durement en me disant: – C'est bon… je sais ce que j'ai à faire; puis, s'avançant près de M. de Mortagne, il lui dit d'une voix sourde:

      – J'ai enduré vos outrages et vos menaces, monsieur… tant que j'ai eu des raisons pour les endurer; ces raisons n'existent plus, et il faudra bien que vous me donniez satisfaction, maintenant que mademoiselle Mathilde est ma femme.

      Mademoiselle de Maran prit Gontran par la main; son regard brilla d'une méchanceté infernale! Elle dit à M. de Lancry, en lui montrant M. de Mortagne:

      – Désormais monsieur doit être sacré, inviolable à vos yeux, entendez-vous? Quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, vous devez tout endurer de lui.

      – Je dois tout endurer! – dit Gontran, – et pourquoi cela?

      – Pourquoi cela?.. – et mademoiselle de Maran, jetant sur moi et sur M. de Mortagne un regard de vipère, dit avec son affreux sourire: – Vous devez tout endurer de M. de Mortagne, mon pauvre Gontran, par une raison toute simple… c'est qu'on ne peut pas se battre avec le père de sa femme.

      M. de Mortagne resta foudroyé… Gontran le regardait avec stupeur. Moi… je fus quelques moments sans comprendre l'épouvantable portée des exécrables paroles de mademoiselle de Maran… Puis, lorsqu'elles traversèrent ma pensée, brûlante comme un trait de feu, je ne pus que m'écrier: O ma mère! et je m'évanouis.

      Bien des années se sont écoulées depuis cette horrible scène; mon ami, bien des fois j'ai amèrement pleuré en y songeant; maintenant encore je pleure en la retraçant. O ma mère! ma mère, la plus sainte des femmes! ô vous dont l'angélique vertu rayonnait d'un éclat si pur, que le monstre qui causait votre lente agonie n'avait pas même osé tenter de vous calomnier pendant votre vie! ô ma mère! il a fallu que vos cendres fussent depuis longtemps refroidies pour qu'une haine sacrilége osât profaner votre mémoire!

      Telle fut mon enfance, telle fut ma première jeunesse jusqu'à l'époque de mon mariage.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

      DEUXIÈME PARTIE

LE MARIAGE

      CHAPITRE PREMIER.

      LA RETRAITE

      Après la célébration de mon mariage avec M. de Lancry, en sortant de la chapelle du Luxembourg, quel fut mon étonnement de voir une voiture attelée de chevaux de poste! madame Blondeau était assise sur le siége de derrière. Le valet du chambre de M. de Lancry ouvrit la portière.

      – Où allons-nous donc? – demandai-je à Gontran.

      – Voulez-vous vous confier à moi? – me répondit-il en souriant.

      Je montai, heureuse de penser que, sans doute, je ne reverrais plus mademoiselle de Maran; sa calomnie atroce et insensée contre ma mère avait mis le comble à mon aversion pour elle.

      En vain Gontran m'avait fait observer que ce n'était plus de la méchanceté, mais de la folie, que de si odieux soupçons tombaient d'eux-mêmes; je sentais qu'il me serait désormais impossible de me rencontrer avec mademoiselle de Maran.

      La voiture partit rapidement.

      Pendant trois heures que dura le voyage, Gontran fut pour moi rempli d'attentions, de gracieuses prévenances, il me parla peu; ses paroles furent d'une bonté touchante, presque grave et recueillie.

      Il sentait comme moi, sans doute, qu'on ne peut s'initier aux grandes félicités que par une sorte de méditation rêveuse et mélancolique.

      Il n'y a rien de plus sérieux, de plus pensif que le bonheur, lorsqu'il arrive à l'idéal.

      Je fus émue jusqu'aux larmes de l'expression de tendresse protectrice avec laquelle Gontran me regarda souvent. Jamais, je crois, je ne me sentis l'âme plus élevée; jamais je n'eus d'aspirations plus généreuses.

      Je songeais avec enchantement à tous les grands, à tous les pieux devoirs que j'allais remplir. Je contemplais l'avenir avec une sérénité calme et fière; j'attendais avec une religieuse impatience le moment de prouver à M. de Lancry tout ce que valait mon cœur.

      En pensant enfin que peut-être, à force d'amour, je deviendrais indispensable au bonheur de la vie de Gontran, un moment j'éprouvai la folle ardeur, le glorieux enivrement, le magnifique orgueil que l'ambition doit causer aux hommes…

      Nous arrivâmes à Chantilly.

      Nous étions à la fin d'avril. Le soleil à demi voilé répandait une lumière douce et tiède. A mon grand étonnement, notre voiture entra dans la forêt, côtoya les étangs si pittoresques de la Reine Blanche, et atteignit la lisière des bois qui bordent le désert.

      M. de Lancry me fit descendre de voiture, il la renvoya avec son valet de chambre; madame Blondeau restait seule près de nous.

      Gontran, souriant de ma surprise, m'offrit son bras.

      Nous suivîmes un petit sentier déjà tout parfumé de violettes et de primevères. Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes devant une haie d'aubépine fleurie, très-haute, très-épaisse, au milieu de laquelle était une porte de bois rustique.

      Blondeau l'ouvrit, nous entrâmes.

      Je vis une maisonnette et un jardin qui auraient tenu dans le grand salon de l'hôtel de Maran.

      Jamais chalet ne fut plus coquettement orné que cette maisonnette; son toit disposé en gradins était couvert de pots de fleurs cachés dans la mousse; les massifs du jardin étaient tellement encombrés de rosiers, d'héliotropes, de jasmins, de gérofliers, de petits lilas de Perse, que ce parterre ressemblait à une immense jardinière ou à un gigantesque bouquet.

      Notre maisonnette se composait d'un rez-de-chaussée; en entrant, un petit salon où je vis, avec une douce surprise, mon piano, ma harpe, mes livres, que j'avais laissés la veille à l'hôtel de Maran. Cela tenait du prodige.

      A droite, deux petites chambres pour moi; à gauche, celle de Gontran; au fond du jardin, une chaumière en bois rustique renfermant la chambre de Blondeau et la cuisine.

      Dire l'élégance incroyable, presque féerique, de ce petit Éden, serait aussi impossible que de peindre ma reconnaissance envers Gontran, ou ma folle joie d'enfant en songeant que nous allions vivre là pendant quelque temps.

      M. de Lancry demanda en riant à Blondeau si elle serait capable de nous faire chaque jour à dîner.

      Ma gouvernante répondit très-fièrement qu'elle nous étonnerait par son savoir-faire; car elle seule devait nous servir pendant notre séjour dans ce chalet.

      Ai-je besoin de vous dire combien j'appréciai cette délicate attention de Gontran?

      Il était trois heures à peine; je pris le bras de mon mari pour faire une longue promenade dans la forêt.

      Le soleil avait peu a peu dissipé les nuages qui le voilaient; l'air était embaumé, saturé des mille floraisons du printemps; les feuilles, encore d'un vert tendre, frémissaient au léger souffle de la brise; des oiseaux de toute espèce gazouillaient, voltigeaient,

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