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avez raison, Mathilde, – dit Gontran en soupirant. – Pourquoi? pour qui? Il y a tant de charmes dans cette existence! et il faut la quitter pour aller se rejeter dans ce gouffre étincelant qu'on appelle le monde.

      – Mais qui nous y force, mon ami? A quoi bon la fortune, si ce n'est à vivre librement à sa guise… Mais non, vous dites cela par bonté pour moi, Gontran… Vous êtes trop jeune encore, trop brillant pour renoncer au monde…

      – Pauvre enfant, – dit Gontran en souriant doucement, – c'est vous au contraire qui êtes trop jeune pour vous priver des plaisirs que vous connaissez à peine… Longtemps prolongée, cette vie que vous trouvez charmante, vous semblerait monotone.

      – Ah! Gontran, vous dites que je suis belle… vous vous lasserez donc de ma beauté?

      – Mathilde, quelle différence!

      Un bruit de pas et de voix inaccoutumé interrompit Gontran.

      On parlait de l'autre côté de la haie. On frappa bientôt à la porte du jardin.

      Il était onze heures du soir. Cela m'inquiéta.

      – Je vais ouvrir, – me dit Gontran.

      – Grand Dieu! mon ami, prenez garde.

      – Il n'y a rien à craindre: cette forêt est toute la nuit parcourue par les gardes de M. le duc de Bourbon.

      – Qui est là? – dit Gontran.

      – Moi, Germain, monsieur le vicomte.

      C'était un palefrenier de M. de Lancry. Mon mari ouvrit la porte.

      – Que veux-tu?

      – C'est le chasseur de M. le comte de Lugarto qui apporte une lettre à M. le vicomte; il est venu en courrier. Il savait où nous étions logés avec les chevaux à Chantilly, il est venu nous trouver, et nous a dit de le conduire à monsieur, ayant une lettre pressée à lui remettre.

      – Où est cet homme?

      – Là, derrière la porte, monsieur le vicomte.

      – Fais-le entrer.

      A la clarté que jetait la lampe du salon, je vis un homme de grande taille vêtu en courrier. Je ne sais pourquoi sa physionomie me sembla sinistre…

      Il ôta sa casquette et remit une lettre à Gontran.

      M. de Lancry, depuis l'arrivée de cet homme, semblait vivement contrarié… presque abattu.

      Il s'approcha de la lampe, prit la lettre et la lut rapidement.

      Par deux fois Gontran fronça les sourcils; il me parut réprimer un mouvement d'impatience ou de colère.

      Après avoir lu, il déchira la lettre et dit au courrier:

      – C'est bon, vous direz à votre maître que je le verrai demain à Paris. Puis, s'adressant à son palefrenier, M. de Lancry ajouta: – Tu donneras l'ordre à Pierre d'amener demain matin ici la voiture de voyage. Vous autres, vous partirez ce soir pour Paris avec les chevaux et la calèche. En arrivant à l'hôtel, vous direz que tout soit prêt, car j'arriverai dans la journée.

      Les deux domestiques partis, je dis à Gontran avec inquiétude:

      – Vous semblez contrarié, mon ami… Qu'avez-vous?..

      – Rien, je vous assure… rien… un service assez important… que me demande un de mes amis qui arrive d'Angleterre. Cela m'oblige de me rendre à Paris plutôt que je ne le pensais.

      – Quel dommage de quitter cette retraite! – dis-je à Gontran, sans pouvoir retenir mes larmes.

      – Allons… allons… – me dit-il doucement, – Mathilde, vous êtes une enfant.

      – Mais nous y reviendrons. Oh! n'est-ce pas? Cette petite maison sera pour nous un souvenir vivant et sacré!

      – Sans doute, sans doute, Mathilde; mais je vous laisse. Il faudra que nous partions demain de très-bonne heure; j'ai hâte d'arriver à Paris… Vous devez avoir quelques ordres à donner à madame Blondeau. Je vais me promener; j'ai un peu de migraine.

      – Mon ami, permettez-moi de vous accompagner.

      – Non, non, restez.

      – Je vous en prie, Gontran, puisque vous souffrez.

      – Encore une fois, je préfère être seul… – dit M. de Lancry avec une légère impatience. – Et il se dirigea vers la porte du jardin.

      – Je versai des larmes… larmes amères cette fois…

      Retirée chez moi, j'attendis le retour de Gontran.

      Il revint une heure après, se promena longtemps encore dans le jardin d'un air agité, et rentra chez lui.

      CHAPITRE II.

      LE DÉPART

      Je passai une nuit remplie d'angoisses en songeant à l'inquiétude, à l'agitation que M. de Lancry n'avait pu dissimuler.

      Au point du jour, je me levai; j'étais douloureusement oppressée. Je voulais jeter un dernier regard sur cette mystérieuse et charmante retraite où j'avais passé des moments si heureux.

      Hélas! était-ce un présage? Tant de bonheur devait-il à jamais s'évanouir?..

      Le ciel, si pur pendant tant de jours, se voilait de nuages noirs; un vent froid gémissait tristement à travers les grands arbres de la forêt.

      La prédisposition de l'âme est un prisme qui colore les objets extérieurs de ses reflets sombres ou riants. Je fis une remarque puérile, mais elle me navra…

      Toutes les fleurs qui ornaient cette demeure avaient été apportées et transplantées comme une décoration champêtre. Peu à peu elles avaient langui et s'étaient flétries. Absorbée par mon bonheur, voyant tout à travers les rayonnements que l'amour jetait sur ma vie, je ne m'étais pas aperçue de l'insensible étiolement de ces plantes; mais à ce moment, sous ce ciel gris, pensant à ce départ qui m'affligeait, je fus douloureusement frappée de ce spectacle.

      Malgré moi, je fis un vague rapprochement entre les jours heureux que je venais de passer et l'existence de ces fleurs, pauvres fleurs éphémères, dépaysées, sans racines, qui, au lieu de s'épanouir chaque matin toujours fraîches et vivaces, mouraient d'une mort précoce, après avoir jeté un parfum, un éclat passagers.

      Je frémis… en me demandant s'il en devait être ainsi de la félicité que j'avais goûtée.

      Pourtant je voulus échapper à ces réflexions pénibles; je les regardai comme un blasphème.

      Je cueillis pieusement quelques branches d'héliotrope et de jasmin que je me promis de garder toujours; je pensai qu'après tout, j'étais folle de chercher de douloureux pronostics dans un état de choses qu'il dépendait de moi de faire cesser.

      Je résolus d'établir un jardinier dans notre maisonnette pour y cultiver des fleurs qui, cette fois, ne mourraient pas au bout de quelques jours.

      Par une réflexion bizarre, je me demandai pourquoi l'on entretenait si religieusement les tristes jardins des tombeaux, et pourquoi l'on n'entourerait pas des mêmes soins pieux et touchants les lieux consacrés par quelques souvenirs chéris.

      Je rentrai.

      Gontran semblait encore plus soucieux que la veille.

      La voiture arriva; nous partîmes.

      M. de Lancry ne me dit pas un mot de regret sur l'abandon où nous laissions notre retraite à la garde d'un de ses gens; cela me fit mal.

      Après quelques moments de silence, Gontran me dit:

      – Mathilde, je vous présenterai demain un de mes meilleurs et de mes plus intimes amis, M. Lugarto, qui arrive de Londres. C'est pour lui rendre un service assez important qu'il me demande que je quitte Chantilly. Nous verrons souvent Lugarto; je l'aime beaucoup; je désire que vous l'accueilliez avec bienveillance.

      – Quoique

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