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les suaves émanations de la nature.

      Je m'appuyai davantage sur le bras du Gontran… nous marchions lentement… A peine nous échangions de temps à autre quelques rares et distraites paroles.

      Un moment, je voulus me rappeler quelques impressions de ma première jeunesse: chose étrange! cela me fut presque impossible.

      Le passé m'apparaissait comme vague, voilé; mes souvenirs m'échappaient. Je n'ai jamais pu m'expliquer cette bizarre sensation. Était-ce donc que le bonheur présent envahissait, absorbait assez mes facultés pour m'ôter même la mémoire des anciens jours?

      Bientôt ces ressentiments devinrent si vifs, que je fermai à demi les yeux, je ne pus faire un pas; malgré moi, ma tête appesantie s'appuya sur l'épaule de Gontran, et je joignis mes deux mains sur son bras…

      Gontran, sans doute aussi ému que moi, s'arrêta, et ne troubla pas cet accablement ineffable.

      – Pardon, – lui dis-je, après quelques minutes de silence; – je suis bien faible et bien enfant, n'est-ce pas? mais que voulez-vous? tant de bonheur est au-dessus de mes forces… Oh! que vous devez être heureux d'inspirer autant d'amour!..

      – Vous avez raison, Mathilde, car l'inspirer, c'est le ressentir! C'est à moi de vous demander pardon de mon silence… et pourtant non… car c'est aussi un langage que le silence… il exprime tant de choses que la parole est impuissante à rendre!.. Dites, Mathilde, quels mots pourraient peindre ce que nous éprouvons?

      – Oh! cela est vrai; il me semble aussi que la parole doit se taire lorsque la pensée s'entretient avec l'âme… Mais, mon Dieu! – ajoutai-je en souriant, – vous allez trouver cela bien métaphysique, bien ridicule. Voyez combien vous avez raison… Je veux expliquer ces adorables impressions, et je dis des folies. Continuons notre promenade, et laissons nos deux cœurs s'entretenir silencieusement.

      Le soleil commençait à s'abaisser lorsque nous rentrâmes au chalet, déjà presque noyé dans les ombres du soir, tant les arbres qui l'environnaient étaient touffus.

      Nous trouvâmes avec plaisir, dans le salon, un feu de pommes de pin bien pétillant, que madame Blondeau nous avait allumé, car les soirées du printemps étaient encore froides. Un charmant petit couvert était mis près de la cheminée.

      Gontran m'avoua naïvement qu'il était très-disposé à faire honneur au talent de ma gouvernante: elle s'était surpassée. Notre dîner fut très-gai; nous nous servions nous-mêmes. Je voulais prévenir les désirs de Gontran, lui les miens; de là, de folles discussions dans lesquelles il finissait toujours par céder.

      Après dîner, il ouvrit la porte du salon; il y avança un grand fauteuil où je m'assis.

      – Voyez donc quelle belle soirée, – me dit-il.

      Un clair de lune admirable jetait des flots de lumière argentée sur notre petit jardin et sur la cime des grands arbres qui l'entouraient.

      Le silence le plus solennel régnait dans la forêt… Au-dessus de nous les étoiles brillaient dans les profondeurs du firmament; autour de nous les fleurs épandaient leurs parfums.

      Gontran s'assit à mes pieds. Son noble et beau visage était tourné vers moi; un pâle rayon de la lune se jouait sur son front et sur ses cheveux. Il tenait une de mes mains dans les siennes et me contemplait avec une sorte d'extase…

      Étrange contraste de notre nature! A ce moment, je crois, j'atteignis l'apogée du bonheur: l'homme que j'aimais de toutes les forces de mon âme était à mes pieds. Le calme mystérieux d'une belle nuit ajoutait encore à mes ravissements. A ce moment pourtant, une indéfinissable tristesse s'empara de mon cœur… je pleurai.

      Gontran vit mes larmes; bientôt ses yeux se mouillèrent aussi. Je penchai mon front accablé sur le sien, et nos pleurs se confondirent.

      Hélas! hélas!.. pourquoi ces larmes? Sommes-nous donc si malheureusement doués, que la grandeur de certaines félicités nous écrase? ou bien la tristesse involontaire qu'elles nous inspirent est-elle un pressentiment de leur peu de durée?..

      Que dirai-je de ces jours fortunés, si beaux, si rapides, de cette vie d'amour et de solitude que Dieu voulut environner de toutes ses splendeurs, car le temps fut toujours admirable?

      Un crayon de notre journée fera comprendre l'amertume de mes regrets lorsqu'il fallut abandonner cette existence enchanteresse.

      Chaque matin, après avoir admiré ma corbeille de jasmin et d'héliotropes, qui ne m'avait jamais manqué à mon réveil, et que Gontran se plaisait à cueillir lui-même dans notre parterre, chaque matin nous allions de très-bonne heure nous promener à pied dans la forêt, fouler avec joie les grandes herbes trempées de rosée, savourer les parfums des plantes aromatiques, et voir les cerfs et les biches se retirer dans l'épaisseur des taillis.

      Lorsque le soleil commençait à s'élever, nous revenions déjeuner; puis, après les stores de notre petit salon baissés, jouissant de la fraîcheur et de l'ombre, nous nous reposions de notre promenade du matin en faisant quelquefois une sieste pendant la chaleur du jour.

      Ensuite, je me mettais souvent au piano; je chantais avec Gontran certains duos, certains airs auxquels nous attachions de tendres souvenirs. D'autres fois nous lisions. Le timbre de la voix de Gontran était charmant; c'était pour moi un bonheur toujours nouveau que de lui entendre lire un de mes poëtes favoris. Ces douces occupations étaient mêlées de longues causeries, de projets d'avenir, de doux regards déjà jetés sur le passé. Puis, à l'heure du dîner, nous allions nous habiller avec autant de coquetterie et de recherche que si nous eussions habité un château rempli de monde.

      J'attachais un prix infini aux louanges, aux flatteries de Gontran; je prenais plaisir à me coiffer moi-même, afin de ne devoir qu'à moi tous les succès que je voulais obtenir auprès de lui.

      Malgré l'essai des talents de madame Blondeau, M. de Lancry, qui avouait franchement son goût pour la bonne chère, avait fait venir son cuisinier à Chantilly; au moyen d'une cantine de chasse parfaitement organisée, notre dîner nous arrivait chaque jour avec de la glace, des fruits; Blondeau n'avait qu'à nous servir.

      Gontran avait aussi des chevaux à Chantilly. Après dîner, notre calèche venait nous prendre, et nous partions pour de longues promenades dans les magnifiques allées de la forêt. Nous revenions quelquefois à la nuit au clair de lune, bercés par les plus adorables rêveries, puis nous rentrions. La voiture s'en allait, et Blondeau nous servait le thé.

      Oh! que de longues soirées ainsi passées! la porte de notre salon ouverte, et nous… jouissant de toutes les beautés de ces nuits de printemps, dont le silence n'était interrompu que par le léger bruissement du feuillage!

      Oh! que d'heures ainsi passées, pendant lesquelles j'écoutais Gontran me raconter sa vie, sa première jeunesse, les combats de son père, un des héros de la Vendée, bravement mort dans les landes sauvages de la Bretagne pour sa foi, pour son roi!

      Avec quelle insatiable curiosité j'interrogeais Gontran sur la guerre qu'il avait faite, lui, sur les dangers qu'il avait courus! Plus je pénétrais dans le passé, grâce à sa confiance, plus je reconnaissais la vanité, l'injustice des accusations de madame de Richeville et de M. de Mortagne.

      Ils m'avaient dépeint Gontran comme un homme d'un caractère inégal, égoïste, dur, profondément blasé, incapable de comprendre les délicatesses d'un amour élevé…

      Quels étaient ma joie, mon orgueil! je trouvais au contraire Gontran rempli de douceur, de prévenances, de tendresse, et doué surtout du tact le plus parfait, le plus exquis.

      Ce bonheur durait depuis trois semaines.

      Un soir, en prenant le thé, Gontran me dit en souriant:

      – Mathilde, j'ai une grave proposition à vous faire.

      – Oh! dites… dites, mon ami.

      – C'est de prolonger encore quelque temps notre séjour ici… si cette solitude ne vous déplaît pas.

      – Gontran… Gontran.

      – Vous

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