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tu ne t'es plainte; jamais tu n'as senti la douceur d'une caresse maternelle… jusqu'à présent; ou je t'ai abominablement tourmentée… ou bien je t'ai louée avec une funeste exagération… j'ai eu tort, j'en suis désolée. Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus? Je le regretterai jusqu'à la fin de mes jours, qui, hélas! n'est pas bien loin. Heureusement ton bon naturel a pris le dessus; ce sera un reproche que j'aurai de moins à me faire; il m'en reste bien assez comme ça… Tiens, ma chère petite, je suis si navrée que, s'il en était encore temps, je voudrais… je voudrais… mais non… non… et pourtant…

      Sans achever sa phrase, ma tante baissa de nouveau la tête, comme si une lutte se fût engagée en elle entre son désir de parler et une autre influence.

      Malgré moi j'eus peur, comme si mon avenir allait dépendre du secret que ma tante hésitait à me livrer. Celle-ci, voulant peut-être s'affermir dans sa bonne résolution en me demandant de nouvelles paroles de tendresse, me dit:

      – Je te suis moins odieuse qu'autrefois, n'est-ce pas?

      – Ma tante, depuis un moment je vous aime, tout est oublié; – et je serrai ses deux mains dans les miennes avec effusion.

      – Cela est pourtant bon; bien bon, de s'entendre dire cela… et si je te rendais un grand service… qui assurât peut-être le bonheur de ta vie entière… me chériras-tu beaucoup? Me diras-tu souvent de ta douce voix attendrie… Je vous aime bien?.. Tu me regardes avec de grands yeux étonnés?.. Enfin, réponds-moi. J'ai toujours été crainte ou détestée, excepté par ton père, mon excellent frère. Ah! celui-là m'aimait! Mais aussi pour celui-là seul j'avais été bonne et dévouée… oui, je l'aimais tant… que je me croyais le droit de haïr tout le monde; et puis sans doute l'on a en soi-même une plus ou moins grande dose de bonté; moi, j'en ai très-peu et je l'avais toute concentrée sur ton père… Je ne sais pourquoi, à cette heure, ta voix… ton accent me touchent et éveillent en moi, sinon de la bonté, au moins de la pitié. Aussi répète-moi que tu m'aimerais bien, que tu aimerais de toutes les forces de ton cœur une amie qui t'arrêterait au bord d'un précipice où tu serais sur le point de tomber? Réponds… réponds… est-ce que tu lui dévouerais ta vie à cette amie?

      Mademoiselle de Maran prononça ces derniers mots avec une sorte d'impatience nerveuse, qui prouvait la violence du combat qui se livrait en elle.

      Sans comprendre ce que me disait ma tante, je me jetai dans ses bras tout effrayée. – Ayez pitié de moi! – m'écriai-je; je ne sais pas quel malheur me menace… mais s'il en est un, oh! parlez… parlez! Vous êtes la sœur de mon père! Je suis seule… seule… je n'ai que vous au monde! Qui m'éclairera si ce n'est vous?.. Oh! parlez… parlez, par pitié!.. Un malheur! dites-vous, mais lequel?.. Gontran m'aime, je l'aime autant que je puis l'aimer: j'ai la plus tendre des amies dans Ursule, puis-je entrer dans le monde sous de plus heureux présages? Vous-même, à cette heure, vous me parlez avec tendresse; quelques mots de vous ont à tout jamais effacé les souvenirs pénibles de mon enfance. Si quelque malheur caché menace ma destinée, oh! dites-le… par pitié… dites-le.

      – Malheureuse enfant! je ne sais quelle voix me dit que ce serait un crime affreux de te laisser dans cette erreur… et que tôt ou tard la vengeance divine ou humaine me saurait atteindre, – s'écria ma tante.

      Le sentiment auquel elle cédait était si généreux, elle était alors si noblement émue, qu'un moment sa figure eut presque un caractère de beauté touchante.

      Je l'écoutais dans une angoisse indicible, lorsque Servien frappa à la porte et entra apportant une lettre sur un plateau d'argent.

      J'eus un affreux serrement de cœur; un sinistre pressentiment me dit que le hasard fatal qui interrompait mademoiselle de Maran allait à tout jamais cacher à mes yeux le mystère qu'elle était sur le point de me dévoiler.

      – Qu'est-ce que c'est? – s'écria ma tante avec une impatience presque douloureuse.

      – Une lettre, madame, – dit Servien en avançant son plateau.

      Mademoiselle de Maran la prit brusquement et dit:

      – Sortez!..

      Je respirai, je crus que ma tante allait continuer notre entretien, car sa physionomie n'avait pas changé d'expression; elle semblait même si préoccupée qu'elle jeta la lettre sur son bureau sans la décacheter. La fatalité voulut que l'adresse fût tournée du côté de ma tante; l'écriture la frappa; elle la prit et l'ouvrit vivement.

      Tout espoir disparut; cette lettre parut faire sur elle un effet foudroyant, ses traits reprirent peu à peu leur expression d'ironie et de dureté habituelles; ses sourcils froncés lui donnèrent une expression plus méchante que jamais… Un moment elle resta comme frappée de stupeur, et dit d'une voix sourde, en froissant la lettre avec rage:

      – Et moi… qui justement allais… Ah çà! mais qu'est-ce que j'avais donc? j'étais folle, je crois… cette petite fille m'avait ensorcelée… Je faisais des bonasseries stupides, pendant que lui… Ah! que l'enfer le confonde!.. heureusement j'ai le temps.

      Ces paroles de ma tante, entrecoupées de longs silences réfléchis, m'effrayèrent.

      – Madame, – lui dis-je en tremblant, – tout à l'heure vous étiez sur le point de me faire un aveu bien important…

      – Tout à l'heure j'étais une sotte, une bête, entendez-vous? – reprit-elle d'un ton aigre et emporté… – Je crois, Dieu me pardonne, que je m'étais attendrie… Ah!.. ah!.. ah!.. et cette petite qui a cru cela… qui ne voyait pas que je me moquais d'elle… avec mes sensibleries… Je suis si sensible, en effet!

      – J'ai cru à votre émotion, madame; oui, vous étiez émue. Vous le nierez en vain… J'ai vu vos larmes couler… Ah! madame, au nom de ces larmes que le souvenir de mon père a peut-être provoquées, ne me laissez pas dans une douloureuse inquiétude!!! Cédez au généreux sentiment qui vous a fait m'ouvrir vos bras… Cela serait trop cruel, madame, de m'avoir mis au cœur cette défiance, ce doute, d'autant plus cruel qu'il peut s'attaquer à tout et me faire vaguement soupçonner ceux que j'aime le plus au monde.

      – Vraiment! ça vous paraît ainsi? Eh bien! tant mieux, ça vous occupera, de chercher le mot de cette énigme. C'est un jeu très-divertissant que celui-là… je vous promets de vous dire si vous divenez juste.

      – Madame, – m'écriai-je, indignée de la froide méchanceté de ma tante, vous l'avez dit vous-même, la justice humaine ou la justice divine vous atteindrait si…

      – Ah!.. ah!.. ah!.. – s'écria ma tante, en m'interrompant par un éclat de rire sardonique. – Ah çà! est-ce que vous voulez me menacer des gens du roi ou des foudres du Vatican, avec votre justice humaine et divine?.. Vous ne voyez donc pas que je plaisantais… C'est tout simple, on est si gai le jour d'un mariage… Je sais bien que vous allez me parler de mes deux larmes… Eh bien! ma chère petite, je vais vous faire une confidence qui pourra vous servir un jour pour attendrir Gontran dans une de ces discussions dont le meilleur ménage n'est pas à l'abri… Voyez-vous, un petit grain de tabac dans chaque œil, et vous pleurerez comme une madeleine. Or, de beaux yeux comme les vôtres sont irrésistibles lorsqu'ils pleurent.

      – Mais… madame…

      – Ah! j'oubliais, j'ai là quelques objets que, par son testament, votre mère a recommandé de vous remettre le jour de votre mariage, c'est-à-dire quand votre mariage sera conclu. Je voulais vous les donner tout à l'heure… je me ravise… je vous les donnerai ce soir, après la mairie, – dit-elle en se levant et en fermant son secrétaire à clef.

      – Ah! madame, accordez-moi au moins cela, – lui dis-je; – vous allez me laisser bien triste, bien effrayée de vos cruelles réticences… Ces dernières preuves de la tendresse de ma mère me consoleront, au moins.

      – C'est impossible, – dit mademoiselle de Maran; – la clause du testament est formelle. Une fois mariée, je vous remettrai tout cela… Mais, comment!.. cinq heures déjà… et je ne suis pas habillée!

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