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Sécherin fut complétement dupe de cette feinte bonhomie. J'observais sur sa physionomie franche et cordiale la confiance croissante que lui inspirait ma tante; son embarras, sa gêne disparurent; il s'écria joyeusement:

      – Ma foi, tenez, madame, je ne crois pas qu'on doive vous aimer un peu, moi, je crois qu'on doit vous aimer beaucoup. Et, puisqu'il faut vous parler franchement, je vous avoue que vous me faisiez une peur diabolique. Eh bien! votre accueil m'a tout de suite rassuré.

      – Comment! vous aviez peur de moi, mon cher monsieur Sécherin? Et pourquoi donc cela, s'il vous plaît?

      En vain Ursule fit signes sur signes à son mari, il ne les aperçut pas.

      – Certes, madame, j'avais peur de vous, – reprit M. Sécherin de plus en plus confiant, – et il y avait bien de quoi.

      – Ah! mon Dieu! mais vous m'interloquez, monsieur Sécherin.

      – Eh! sans doute, madame; mon beau-père, M. le baron d'Orbeval, me cornait toujours aux oreilles: Prenez bien garde, mon gendre! mademoiselle de Maran est une grande dame! Si vous aviez le malheur de lui déplaire, vous seriez perdu, car elle a de l'esprit vingt fois gros comme vous, et elle sait s'en servir de son esprit, je vous en réponds! Eh bien! maintenant, madame, savez-vous ce que je lui répondrais, au beau-père? car il ne me faut pas beaucoup de temps, à moi, pour toiser mes pratiques…

      Ursule rougit jusqu'au front en entendant ces expressions vulgaires; Gontran dissimula son sourire; mademoiselle de Maran dit au mari d'Ursule, avec un ton de bonhomie incroyable:

      – Monsieur Sécherin, permettez, nous nous sommes promis d'être francs, n'est-ce pas?

      – Oui, madame.

      – Eh bien! on ne dit pas, même en parlant d'une vieille femme comme moi, toiser mes pratiques. C'est de mauvais goût! Oh! je ne vous passerai rien, d'abord! je vous en préviens. Voilà comme je suis; d'ailleurs nous sommes convenus d'être francs.

      – Tenez, madame, – s'écria M. Sécherin avec une expression de reconnaissance vraiment touchante, – ce que vous faites là est généreux et bon, voyez-vous! je vous en remercie de tout cœur! D'autres se seraient moqués de moi; vous, au contraire, vous avez la bonté de me reprendre. Que voulez-vous, madame, je ne suis qu'un provincial, peu fait aux belles manières de la capitale.

      – De Paris… monsieur Sécherin, de Paris! On ne dit pas de la capitale, – reprit mademoiselle de Maran avec un très-grand sérieux.

      – Vraiment, madame? Tiens, c'est drôle. Pourtant notre procureur du roi et notre sous-préfet disent toujours la capitale.

      – C'est possible; ça se dit en administration et en géographie, – continua mademoiselle de Maran, – mais ça ne se dit pas ailleurs. Vous voyez que je suis implacable, mon pauvre monsieur Sécherin.

      – Allez, allez, madame, allez toujours, je n'oublie jamais ce qu'on m'a dit une bonne fois. Eh bien donc, madame, si j'avais maintenant à faire votre portrait à mon beau-père… je lui dirais: Mademoiselle de Maran est sans doute une très-grande dame par sa position, mais au fond c'est une brave petite dame, franche et unie comme bonjour, qui a le cœur sur la main, et qui a peut-être encore plus de bons sentiments que de bon esprit. Eh bien! n'est-ce pas que je ne me trompe pas?

      – Mais, c'est-à-dire, mon cher monsieur Sécherin, que Lavater n'était rien du tout auprès de vous; vous êtes un Nostradamus, un Cagliostro pour la prévision et pour la prédiction! Tenez, je suis si contente du portrait que vous avez fait de moi, que je ne relèverai pas certains mots.

      – Ah bien! si, madame, si… relevez-les; ou sans cela je me fâcherai, je vous en avertis.

      – Eh bien non! monsieur Sécherin, je vous en prie…

      – Non, madame, je vous dis que je me fâcherai, et je me fâcherai si vous ne me reprenez pas.

      – Eh bien! puisque vous le voulez absolument, et pour conserver la bonne harmonie entre nous, je vous ferai observer que unie comme bonjour et le cœur sur la main, c'est un peu bien vulgaire.

      – Bon… bon, je ne le dirai plus. Mais, mon Dieu, madame, comme vous êtes bonne! C'est qu'après tout, voyez-vous, il n'y a pas de méchanceté dans mon fait; vous avez deviné ça tout de suite!

      – Certainement, je vous ai tout de suite deviné, mon bon monsieur Sécherin; vous me paraissez le meilleur des hommes, et certes je ne vous crois pas le moindre fiel.

      – Du fiel… moi! pas plus qu'un pigeon; ce qui me manque, je le sens bien, c'est l'éducation; mais que voulez-vous? j'ai été élevé en province, mon père était un petit marchand, il a commencé sa fortune en achetant des biens d'émigrés.

      – Avec un début comme celui-là, il ne pouvait manquer de prospérer, – dit mademoiselle de Maran. – Certainement ces biens d'émigrés devaient lui porter bonheur à M. votre père.

      – C'est ce qui est en effet arrivé, madame.

      – Je le crois bien; continuez, monsieur Sécherin.

      – Quant à ma mère, – reprit la malheureuse victime de la perfidie de ma tante, – quant à ma mère, c'est la meilleure des femmes, mais elle a toujours voulu conserver son bonnet rond et son casaquin d'autrefois; c'est une bonne ménagère dans toute l'acception du mot; vous voyez donc bien que je n'ai pas été élevé comme un duc et pair. J'ai fait couci couci mes études au collége de Tours; à la mort de mon père, j'ai pris la direction de sa fortune, et j'ai trouvé dans son vieux bureau de sapin noir un inventaire de soixante-trois mille sept cents livres de rentes en terres et en propriétés, et cela net d'impôts, madame, sans compter le matériel de deux fabriques où j'emploie cinq cents ouvriers qui ne peuvent pas suffire aux commandes… Voilà où j'en suis, madame.

      – Mais vous êtes dans une position magnifique, monsieur Sécherin! C'est tout simple, les honnêtes gens prospèrent toujours, et je suis sûre que ce sont ces biens d'émigrés dont nous parlions qui ont valu cette prospérité croissante à monsieur votre père.

      – Madame, – dit Ursule, qui était au supplice, – je crains que ces détails…

      – Allons donc, Ursule, ils m'intéressent au contraire beaucoup, ma chère enfant.

      – Sans doute, chère bellotte, mes petites affaires d'intérêt ne peuvent qu'intéresser infiniment notre bonne tante.

      – Monsieur Sécherin, toujours fidèle à mon système de franchise, – dit mademoiselle de Maran, – je vous ferai observer que chère bellotte, doit être réservé pour la plus douce et la plus secrète intimité: vous profanez le charme mystérieux de ces adorables expressions en les prodiguant ainsi.

      – Pourtant, madame, mon père appelait toujours ma mère chère bellotte, et ma mère l'appelait petit père ou gros loup.

      – Mais remarquez, mon bon monsieur Sécherin, que je n'incrimine pas en elles-mêmes les tendres et naïves expressions de chère bellotte, petit père, et même de gros loup, au contraire!! j'espère bien qu'Ursule, pieusement fidèle à ces touchantes traditions de votre famille, vous prodigue en secret ces noms si doux.

      – Ah çà! mais tu as donc dit à madame que tu m'appelais ton gros loup, toi? – s'écria M. Sécherin en se retournant vers Ursule et en frappant dans ses mains avec étonnement.

      – Vraiment!.. Ursule vous appelle déjà son gros loup, mon bon monsieur Sécherin? – s'écria ma tante.

      – Mais oui, madame, et elle ne met pas de mitaines pour cela, – continua M. Sécherin avec une orgueilleuse satisfaction.

      – Ah! madame, pouvez-vous croire!.. – s'écria Ursule, – et des larmes de honte et de confusion lui vinrent aux yeux.

      – Comment! – reprit M. Sécherin, – comment! tu ne te souviens pas que le surlendemain de notre mariage, lorsque je t'ai fait voir l'inventaire de notre

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