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s'établir entre lui et nous. C'était de lui que madame de Richeville m'avait parlé, en me disant que M. de Mortagne aurait voulu me le présenter dans l'espoir de me le faire épouser. Je me reprochai mon premier manque de confiance envers Gontran. Si je lui avais rapporté la conversation de madame de Richeville, j'aurais pu lui dire l'espèce d'éloignement que j'éprouvais à rencontrer M. de Rochegune.

      Nous arrivâmes; je fus très-contente d'apprendre que M. de Rochegune était sorti… sa vue m'aurait sans doute embarrassée. Son intendant nous fit voir la maison; elle parut parfaitement convenir à M. de Lancry.

      Le rez-de-chaussée, destiné aux pièces de réception, était d'un goût parfait, d'une rare élégance. Nous remarquâmes un appartement d'une charmante position, mais dont les murs étaient nus, sans tentures ni boiseries. Il s'ouvrait en partie sur le jardin et en partie sur une serre chaude.

      – Pourquoi cet appartement est-il le seul qui ne soit pas décoré? – dit Gontran.

      – Parce que M. le marquis destinant cet appartement à sa future, il voulait sans doute qu'elle pût le faire arranger à son goût, – reprit l'intendant.

      – M. de Rochegune devait donc se marier? – demanda M. de Lancry.

      – C'est probable, monsieur le comte; car c'est la raison que m'a donnée l'architecte, quand je lui ai demandé pourquoi cet appartement restait ainsi.

      – Mais voyez donc, M. de Rochegune, sans le vouloir a été rempli de prévoyance, – me dit Gontran; – ne trouvez-vous pas? Je serais ravi que cet appartement vous convînt comme distribution, alors nous l'arrangerions à votre goût.

      – Sans doute, il est charmant, – répondis-je à M. de Lancry, sans pouvoir m'empêcher de rougir.

      Pendant que Gontran examinait toutes les pièces avec attention, ce que m'avait dit madame de Richeville me revint à l'esprit; lorsque l'intendant de M. de Rochegune parla du mariage que son maître avait dû faire, je pensai qu'il s'était peut-être agi de moi. Je trouvai singulier qu'il fût dans ma destinée que cette maison m'appartînt.

      Nous montâmes au premier étage. Arrivés dans un salon d'attente, l'intendant s'aperçut qu'il avait oublié la clef d'une salle formant bibliothèque, et descendit la chercher.

      Cédant à un simple mouvement de curiosité, nous entrâmes avec Gontran dans une petite galerie de tableaux modernes; au bout de cette galerie était une double porte de velours rouge. Un de ses battants ouverts laissait voir une autre porte fermée.

      En examinant des tableaux, nous nous étions insensiblement rapprochés de cette porte. Gontran fit un mouvement, et dit d'un air étonné:

      – Il y quelqu'un là; on parle haut. Je croyais M. de Rochegune sorti.

      A peine M. de Lancry avait prononcé ces mots, que quelqu'un dit, dans la pièce à côté, d'un ton presque suppliant:

      – Je vous en conjure, monsieur, silence! on pourrait nous entendre!!! Il y a quelques personnes ici, et j'ai fait dire que je n'y étais pas.

      – Mais c'est la voix de M. de Rochegune! – dit Gontran.

      – Ça devient fort piquant, – reprit mademoiselle de Maran; – nous allons voir quelque affreuse découverte; je suis sûre que le fils vaut le père.

      – Retirons-nous, – dis-je vivement à M. de Lancry.

      Nous n'en eûmes pas le temps. Une autre voix s'écria, en répondant à M. de Rochegune:

      – Il y a quelqu'un là?.. Eh bien! tant mieux, monsieur; tout ce que je demande, c'est qu'on m'entende… Béni soit le hasard qui m'envoie des témoins.

      – Vous allez voir qu'il s'agit de quelque somme confiée au vieux Rochegune en sa qualité de philanthrope, et que monsieur son fils nie le dépôt comme un enragé, – dit mademoiselle de Maran en se rapprochant de la porte.

      – Monsieur… encore une fois… je vous en supplie, – dit M. de Rochegune, – qu'allez-vous faire?..

      A ce moment, la porte s'ouvrit violemment. Un homme sortit, et s'écria en nous voyant:

      – Dieu soit loué! il y a quelqu'un là…

      Quel fut mon étonnement! Je reconnus M. Duval, que Gontran nous avait montré à l'Opéra, en nous racontant la touchante conduite de ce jeune homme envers une vieille mère aveugle à laquelle il avait caché sa ruine à force de travail. L'autre personne était M. de Rochegune, que j'avais vu ce même jour dans la loge de madame de Richeville: il était grand et très-basané. Ce qui me frappa dans sa physionomie fut l'expression triste et sévère de ses grands yeux gris.

      Gontran fit à M. de Rochegune mille excuses de notre indiscrétion involontaire.

      – Ah! monsieur, ah! mesdames, – s'écria M. Duval avec exaltation en s'adressant à nous, – c'est le ciel qui vous envoie; au moins je pourrai témoigner toute ma reconnaissance à mon bienfaiteur.

      – Monsieur, je vous en supplie, – dit M. de Rochegune avec embarras.

      Je regardai ma tante. Ses traits avaient jusqu'alors exprimé une sorte de triomphe moqueur. A ces mots elle sembla dépitée, et s'assit brusquement sur un fauteuil, en souriant d'un air ironique.

      – Monsieur, – reprit M. de Rochegune en s'adressant à M. Duval, – je vous demande instamment, formellement le silence.

      – Le silence! – s'écria M. Duval avec une explosion de reconnaissance pour ainsi dire furieuse. – Le silence! ah parbleu! vous vous adressez bien! Non… non… monsieur, ces traits-là sont trop rares; ils honorent trop l'espèce humaine pour qu'on ne les publie pas à haute voix, et plutôt cent fois qu'une.

      – Madame, – dit M. de Rochegune à ma tante, – je suis en vérité confus… J'avais fait défendre ma porte… excepté pour vous. Je comptais rester dans mon cabinet pour ne vous pas gêner dans la visite de cette maison, et…

      – Et moi j'ai forcé la consigne! – s'écria M. Duval. – Un secret pressentiment me disait que vous étiez… chez vous, monsieur! j'avais appris que d'un moment à l'autre vous deviez partir pour un voyage; c'est seulement depuis hier que je sais à qui je dois presque la vie de ma pauvre vieille mère, et il fallait à tout prix que je vous visse…

      – Monsieur… monsieur… – dit encore M. de Rochegune.

      – Oh! monsieur, monsieur… il ne s'agit pas de faire le bien en sournois et de vouloir se cacher après… Oui, monsieur, en sournois! – s'écria M. Duval dans sa généreuse colère. – Heureusement ces dames sont là; elles vont en être juges. Une banqueroute m'avait ruiné. Jusqu'alors j'avais vécu dans l'aisance; ce coup m'avait été terrible, moins pour moi, moins pour ma femme peut-être que pour ma mère, qui était vieille et aveugle. Il fallait avant tout, madame, lui cacher ce malheur. A force de travail, moi et ma femme nous y parvînmes pendant quelque temps; mais enfin nos forces s'épuisaient; ma pauvre femme tomba malade. Nous allions peut-être mourir à la peine, lorsqu'un jour je reçus sous enveloppe cent mille francs, madame; cent mille francs, avec une lettre qui me prévenait que c'était une restitution que me faisait le banqueroutier qui m'avait emporté quatre cent mille francs. – Vous comprenez ma joie, mon bonheur; ma mère, ma femme, étaient désormais à l'abri du besoin. Pour nous, maintenant habitués au travail, que nous n'avons pas interrompu pour cela, c'était presque de la richesse. Je racontai partout que je devais ce secours inespéré au remords du misérable qui nous avait tout enlevé. Des personnes qui connaissaient cet homme en doutèrent; elles avaient bien raison, car M. le marquis de Rochegune, que voici, était le seul auteur de cette généreuse action.

      – Mais encore une fois, monsieur, je vous en supplie, vous abusez des moments de ces dames, – dit M. de Rochegune avec impatience.

      – Au moins arrivez au fait, monsieur, – dit mademoiselle de Maran d'une voix aigre, en s'agitant avec dépit sur son fauteuil.

      – Monsieur, – s'écria gaiement Gontran

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