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dans le vôtre.

      Pourquoi me tromperiez-vous? Doué comme vous l'êtes, ne trouveriez-vous pas mille autres jeunes filles qui ne vous aimeraient pas mieux que moi sans doute… je les en défierais… mais qui, plus que moi, auraient de quoi vous charmer? Je crois donc ce que vous me dites, Gontran, parce que je vous sais loyal et généreux. Tout ce que vous venez de m'apprendre de votre vie passée, au risque de me déplaire, de me perdre peut-être, m'est une preuve de plus de votre sincérité.

      Le reste de notre conversation avec M. de Lancry fut employé à faire des projets charmants. Notre mariage devait être célébré aussitôt que les formalités nécessaires seraient remplies. Le roi devait y signer. Gontran devait prendre les ordres de Sa Majesté à ce sujet.

      Nous causâmes avec un plaisir extrême de nos arrangements futurs, de notre maison, des saisons que nous passerions à Paris, en voyage ou dans nos terres. Gontran me parla pour notre établissement d'un charmant hôtel situé dans le faubourg Saint Honoré, et donnant sur les Champs-Élysées. Nous convînmes de l'aller voir avec mademoiselle de Maran.

      Il me pria aussi d'apprendre à monter à cheval, afin que nous pussions plus tard faire de longues promenades à la campagne, et que je fusse en état de l'accompagner à la chasse, qu'il aimait passionnément. Nous réglâmes approximativement nos dépenses. Gontran, qui avait toujours été prodigue, me parla très-sérieusement d'une économie raisonnable. Tant qu'il avait été garçon, jamais ces idées d'ordre ne lui étaient venues; mais maintenant il en comprenait, disait-il, toute la nécessité. Il n'y avait rien de plus charmant que ces projets, que ces pensées d'avenir à la fois riantes et sérieuses. Ma première jeunesse s'était si tristement écoulée chez mademoiselle de Maran, j'avais vécu jusqu'alors tellement en petite fille, que je ne pouvais croire au bonheur qui m'attendait.

      Deux ou trois jours après cet entretien, Gontran vint un matin nous chercher, mademoiselle de Maran et moi, afin de nous faire voir l'hôtel du faubourg Saint-Honoré dont il nous avait parlé.

      Après quelques moments de conversation, mademoiselle de Maran dit en parlant de la maison dont M. de Lancry avait envie:

      – Mais attendez donc, est-ce que ce ne serait pas l'hôtel de Rochegune dont il serait question?

      – Oui, madame, – dit Gontran, c'est une occasion magnifique. Le vieux marquis de Rochegune est mort l'an passé. Son fils, Abel de Rochegune, au retour de ses voyages, y avait fait faire de très-grands embellissements, comptant l'habiter; mais comme il est très-fantasque, il a tout à coup changé d'avis, et maintenant il désire s'en défaire.

      – Il chasse de race, – dit mademoiselle de Maran, – car il n'y avait pas d'homme plus original et plus insupportable que monsieur son père.

      – Mais on ne parlait de lui qu'avec vénération, madame! – dit Gontran d'un air étonné.

      – Allons donc, – s'écria mademoiselle de Maran en riant d'un air sardonique, – c'était une espèce de vieil imbécile, une manière de philosophe, un rêvasseur, par-dessus cela philanthrope enragé, et toujours fourré dans les prisons et dans les bagnes, où il se faisait dévaliser par messieurs les voleurs et messieurs les assassins, qu'il embrassait de toutes ses forces, et les appelait ses frères, s'il vous plaît! ce qui était bien agréable pour sa famille. Joignez à cela que ce vilain homme, en sortant de ces baisers de Judas, avait l'inconvénient de vouloir toujours vous embrasser sous le moindre prétexte d'amitié ou de parenté, ni plus ni moins que si vous aviez été un de ses chers frères les galériens.

      – Mais, madame, il a fondé, dit-on, dans l'une de ses terres, un hospice pour les pauvres!

      – Eh! je le sais bien; c'était une abomination de plus!

      – Comment cela, madame? – dit Gontran.

      – Il avait fondé cela pour avoir le droit de tyranniser un tas de vieux vagabonds qui ainsi dépendaient complétement de lui. On n'a pas l'idée des imaginations de ce vilain homme pour torturer ces pauvres gens. Pour se divertir, il leur faisait manger des loups, des rats et des chauves-souris; il les battait comme plâtre et les faisait travailler dix-huit heures par jour à toutes sortes d'ouvrages, dont il tirait profit, bien entendu; de façon que ce soi-disant hospice était une manière de ferme qui lui rapportait beaucoup, sans compter la réputation de charité qui lui servait de manteau pour cacher toutes sortes d'actions véreuses.

      Quoique je n'eusse aucune raison pour m'intéresser à la mémoire de M. de Rochegune, je fus indignée de la méchanceté de ma tante. D'un regard je le fis comprendre à Gontran, qui me semblait aussi choqué que moi.

      – Je crois, madame, – dit-il à ma tante, – que vous avez été mal informée, et que…

      – Pas du tout, je sais ce que je dis. C'était un homme désagréable, quand je ne devrais en juger que par ses amitiés; il avait pour disciple un de nos parents du côté de ma belle-sœur… Dieu merci… qui ne valait pas mieux que lui, un M. de Mortagne.

      – M. de Mortagne! cet ancien soldat de l'empire! ce voyageur aussi original qu'infatigable! – dit Gontran! – mais je ne savais pas qu'il eût l'honneur de vous appartenir.

      – Si vraiment, nous avons cet honneur-là… du moins nous l'avions…

      – Comment! madame, est-ce que M. de Mortagne serait mort? – demanda Gontran.

      – Mort! grand Dieu! – m'écriai-je en prenant avec anxiété la main de mademoiselle de Maran.

      Celle-ci me regarda d'un air dur et ironique, et dit en riant de son rire aigu et strident:

      – Ah!.. ah!.. ah!.. voyez donc l'émotion de Mathilde. Eh bien! oui, il est mort… on en doutait il y a quelques jours, mais maintenant il paraît que c'est certain.

      – Ah! madame, puissiez-vous vous tromper! – dis-je avec amertume.

      – Me tromper! eh bien! où serait donc le grand mal qu'il fût mort, ce beau héros de caserne? un jacobin! un de ces brouillons dangereux qui, pour faire marcher l'humanité, comme ils disent, s'inquiètent peu qu'elle marche dans le sang jusqu'aux genoux!

      – Madame, – m'écriai-je, – je ne suis qu'une femme, je tiens peu compte des opinions politiques; mais tant que je n'aurai pas la preuve du malheur dont vous parlez, ce sera toujours avec l'impatience d'un cœur reconnaissant que j'attendrai M. de Mortagne; il fut l'ami de ma mère, madame… Quand malheureusement je ne pourrai plus douter de sa mort, je conserverai de sa mémoire un pieux respect.

      – Eh bien! ma chère, vous pouvez commencer cette belle conservation-là, – vous dis-je; – mais ne parlons plus de cet homme-là; mort ou vif, je l'exècre, dit mademoiselle de Maran d'un ton impérieux; et s'adressant à Gontran:

      – Et le fils du vieux Rochegune, qu'est-ce que c'est?

      – C'est un homme dont on ne sait trop que dire, madame; il est arrivé depuis peu; il a parlé une fois à la chambre des pairs d'une manière fort remarquable, dit-on, quoique dans un assez mauvais esprit. Je l'ai rencontré quelquefois dans le monde, où il va rarement. Il a eu en Espagne une très-grande aventure à la fois terrible et romanesque, qui a fait beaucoup de bruit, et dans laquelle il s'est, à la vérité, conduit avec la discrétion chevaleresque et l'héroïque dévouement des anciens Maures de Grenade; il a été laissé pour mort, percé de je ne sais combien de coups de poignard. Il s'agissait pour lui de sauver la réputation d'une femme; et… mais, – dit Gontran en souriant; – je ne puis vous conter cela devant mademoiselle Mathilde; je le conterai plus tard à madame de Lancry.

      – Ah! mon Dieu! reprit mademoiselle de Maran; – c'est donc un héros de roman que nous allons voir?

      – A peu près, mademoiselle; mais je doute que nous le voyions… il s'était d'abord offert avec beaucoup d'empressement à se mettre à nos ordres pour nous montrer sa maison; puis tout à coup il s'est ravisé, disant que peut-être il ne pourrait nous en faire lui-même les honneurs; il m'a donc prié de l'excuser auprès de vous.

FIN

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