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courbée sous le poids du malheur qui m'accablait, que mademoiselle de Maran m'aurait bien certainement cette fois et avec raison reproché d'être contrefaite.

      «Mon père eut beau me gronder durement, m'ordonner de me tenir mieux, de prendre un air souriant, je ne pus vaincre les pénibles émotions qui m'agitaient; c'est à peine si je tournai la tête lorsqu'on annonça M. Sécherin et sa mère.

      «M. Éloi Sécherin est, m'a dit mon père, intéressé dans de très-grandes entreprises, et il augmente chaque jour la fortune que lui a laissée son père. Je ne puis rien te dire de sa figure, de ses manières… car je vois tout à travers un nuage de larmes.

      «Il faut que M. Éloi Sécherin ne soit pas difficile à séduire; car après son départ, mon père est venu me complimenter en m'assurant que j'avais été parfaitement bien, simple, sans prétention, et que M. Sécherin et sa mère étaient partis enchantés de moi.

      «Je suis comme une pauvre prisonnière dont les yeux n'ont pas encore pu percer les ténèbres glacées qui l'environnent. J'ai bien vu vaguement M. Sécherin et sa mère; mais il ne m'en reste qu'une idée indécise. J'ai entendu plutôt qu'écouté quelques paroles. J'ai répondu machinalement. Aujourd'hui même on signe le contact, et mon mariage doit avoir lieu demain ou après demain, je crois.

      «Quand tu me reverras à Paris, dans quelques jours, tu ouvriras tes bras à la pauvre victime obéissante et résignée…

      «Pardon, pardon, Mathilde, d'être venue ainsi attrister ton bonheur; car un secret pressentiment me dit que tu es heureuse, qu'il t'aime. Tu le sais depuis le jour de l'ambassade. Je te l'ai dit. —Tu l'aimeras, – et je suis sûre qu'il s'est rendu digne de cet amour en le partageant.

      «Heureuse, heureuse Mathilde, il me faut la certitude de ta félicité pour m'aider à supporter la vie que je vais misérablement traîner, jusqu'à ce que le fardeau de mes souffrances soit trop lourd; alors je quitterai cette terre de douleur, en jetant un dernier regard de regret sur les années passées près de toi…

      «Adieu, adieu, bien tristement adieu! Un moment j'avais songé à te supplier à genoux de venir assister à mon mariage pour me donner du courage; mais j'ai bientôt réfléchi que ta vue, en me rappelant tout ce que je perds en me séparant de toi, m'ôterait le peu d'énergie qui me reste… Adieu encore! Quand tu reverras ta pauvre Ursule, tu auras, j'en suis sûre, bien de la peine à la reconnaître.

      «Adieu… oh! adieu! la force me manque; j'ai tant pleuré! A toi de cœur, du plus profond de mon cœur.

«Ursule d'Orbeval.»

      Après la lecture de cette lettre, je fus atterrée.

      La pensée qui domina toutes les autres fut qu'Ursule, ainsi qu'elle me le disait, s'était littéralement sacrifiée pour moi, dans la crainte de nuire à mon mariage avec M. de Lancry.

      Je fis ensuite presque un reproche à ma cousine d'avoir si peu compté sur mon affection et sur celle de Gontran. Il régnait dans sa lettre une tristesse si profonde, un abattement si désespéré, que je fus sérieusement inquiète, redoutant pour elle une maladie de langueur.

      Il me restait un espoir. Le mariage d'Ursule pouvait être retardé. Je me décidai le lendemain à prier Gontran de partir aussitôt pour la Touraine; il devait supplier ma cousine de rompre cette union, et l'assurer lui-même que l'exécution de mes promesses ne pouvait apporter la moindre difficulté à notre mariage.

      Je passai une nuit très-agitée. Le lendemain j'attendis avec la plus grande anxiété l'arrivée de Gontran. Il n'hésita pas un moment à aller trouver Ursule; il comprit, il partagea mes craintes, mes espérances avec une adorable bonté. Il ne devait pas parler de ce voyage à mademoiselle de Maran, et partir à l'instant même. Nous causions de ce sujet si intéressant pour moi, lorsqu'on m'apporta une lettre de Tours…

      Le mariage d'Ursule était accompli. Sa lettre de la veille avait eu plusieurs jours de retard.

      Cette nouvelle m'accabla. J'étais si heureuse de mon amour pour Gontran que je comprenais mieux encore combien le sort d'Ursule devait être cruel.

      Ma cousine m'annonçait qu'elle arriverait sous peu de jours avec son père et son mari, et qu'elle passerait la fin de l'hiver à Paris.

      Je remontai chez moi pour écrire à ma cousine, pour me plaindre de son manque de confiance, pour la consoler, pour l'encourager, pour faire enfin ressortir à ses yeux les avantages que sa douleur l'empêchait peut-être d'apercevoir dans cette union qui la désespérait.

      Je trouvai Blondeau dans mon cabinet d'étude; elle me dit qu'une femme, qui venait me solliciter pour une bonne œuvre, demandait à me parler.

      Je lui dis de la faire entrer.

      Je vis une femme enveloppée d'un manteau, et dont les traits étaient absolument cachés par un voile noir très-épais.

      Blondeau sortit.

      Cette femme laissa tomber son manteau, releva son voile.

      C'était madame la duchesse de Richeville.

      CHAPITRE XIII.

      L'ENTRETIEN

      Je fus si surprise, presque si effrayée, à l'aspect de madame de Richeville, que je m'appuyai sur le dossier d'un fauteuil placé près de moi.

      Pourtant l'expression des traits de la duchesse n'avait rien de menaçant. Elle me parut très-changée, très-maigrie; elle était fort émue, et me regardait avec intérêt.

      Elle se hâta de me dire, comme pour m'engager à l'entendre, et pour me mettre en confiance avec elle:

      – Quelque étrange que puisse vous paraître ma visite, mademoiselle, rassurez-vous. Je viens au nom de nos amis communs, M. de Mortagne.

      – Est-il donc ici, madame?

      – Hélas! non; et, quoiqu'il soit attendu d'un moment à l'autre, je ne puis rien encore vous dire de son mystérieux voyage… mais je sais tout l'intérêt qu'il vous porte… Il y a huit ans… en sortant de sa dernière entrevue avec mademoiselle de Maran, il m'a tout raconté… le conseil de famille, la scène avec votre tante, lorsqu'il vous prenait dans ses bras et vous apporta dans la chambre de mademoiselle de Maran, malgré les aboiements de Félix. J'entre dans ces détails pour vous prouver que cet homme, le plus généreux des hommes, avait en moi une confiance absolue… C'est au nom de cette confiance… que je viens vous demander la vôtre, mademoiselle…

      – La mienne… madame?.. vous?

      J'accentuai tellement ce mot —vous, – que madame de Richeville sourit amèrement et reprit:

      – Pauvre enfant, si jeune encore! croiriez-vous déjà aux calomnies du monde? auraient-elles altéré cette bonté charmante que M. de Mortagne prévoyait en vous, et qui se révèle dans tous vos traits?.. Pourquoi accueillir si froidement… cette démarche dictée par votre seul intérêt, cette démarche faite pour ainsi dire sous l'autorité d'un homme qui fut l'un des meilleurs amis de votre mère… dites… pourquoi m'accueillir ainsi?

      Il est impossible de rendre le charme insinuant de la voix de madame de Richeville, et de peindre le regard à la fois triste et affectueux dont elle accompagna ces paroles. Malgré la sourde jalousie que je ressentais contre elle, je fus émue, et je lui répondis avec moins de sécheresse.

      – Il m'est permis de m'étonner d'une visite que je n'avais aucun droit d'espérer, n'ayant pas l'honneur de vous connaître, madame.

      – Il y a à peu près un mois… à la sortie de l'Opéra… ne vous ai-je pas dit ces mots… Pauvre enfant… prenez garde?

      – J'ai entendu, en effet, ces mots, madame, mais j'ignorais dans quel but ils m'étaient dits.

      – Vous l'ignoriez? – me dit madame de Richeville en attachant sur moi un regard perçant qui me fit rougir.

      Ne voulant pas sans doute augmenter ma confusion, elle continua, en rendant, si cela est possible, sa voix et son regard plus affectueux encore.

      – Écoutez-moi…

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