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m'empêcher de dire à M. de Lancry:

      – Pourtant, monsieur, ces liaisons éphémères dont vous parlez semblent quelquefois…

      – Ah! mademoiselle, – s'écria-t-il en m'interrompant, – peut-on jamais les comparer à un bonheur légitime et vrai? Ah! croyez-moi… quand on aime pour la vie, on reconnaît bien vite le néant de ces coupables affections. Quel est donc leur charme pour qu'on puisse les préférer à un amour béni par Dieu? Parce qu'une femme vous appartient devant le ciel et devant les hommes, appréciera-t-on moins tout ce qu'il y a de charme dans une longue soirée passée près d'elle? Jouira-t-on moins de ses préférences, parce que chaque jour on les aura méritées aux yeux de tous à force de soins et de tendresse? Son esprit, sa grâce, ses succès, vous seront-ils moins chers, parce que son regard pourra sans crainte chercher le vôtre, et vous dire: «Jouissez de ce que vous inspirez!» Si au milieu du monde elle accueille un signe de vous par un mystérieux et doux sourire, ce sourire sera-t-il moins doux, parce qu'il n'annoncera pas une coupable intelligence? Parce que ces fleurs dont elle est parée ont été choisies par une main amie et respectée, ont-elles moins d'éclat et de parfum! Si l'on veut voyager et se reposer du tumulte de Paris dans la contemplation des beautés de la nature, faudra-t-il enlever absolument une fille à son père, une femme à son mari, pour jouir de mille ravissements d'un voyage amoureux fait dans un pays enchanteur et poétique? Le beau ciel d'Espagne ou d'Italie sera-t-il donc voilé pour tous ceux qui peuvent s'aimer sans rougir? Oh! croyez-moi, je vous le répète, il y a des trésors inépuisables de bonheur pur, de plaisirs romanesques dans une union basée sur l'amour, telle que je la rêve… Car, je vous l'avoue, il me serait impossible de voir dans le mariage un isolement à deux, une vie indifférente, ou seulement convenable et polie!.. Oh! non… non… je voudrais concentrer dans cette vie toutes les joies, toutes les adorations, toute la puissance de mon cœur! Maintenant, voyez-vous… que je connais les faux plaisirs de la jeunesse, ils me semblent aussi loin du vrai bonheur que la superstition est loin de la religion… Je ne sais, mademoiselle, si vous m'avez bien compris, je ne sais si j'ai pu vous donner une faible idée de mes sentiments, de mes pensées. Si j'étais assez heureux pour cela, si, contre tout mon espoir, vous me permettiez d'autoriser la demande que M. de Versac désire faire pour moi à mademoiselle de Maran, croyez-en ma foi d'honnête homme… mademoiselle… aimé de vous… je serais en tout digne de vous…

      En disant ces trois derniers mots, M. de Lancry, qui était assis dans un fauteuil près du mien, se leva par un mouvement d'une gravité touchante, presque solennelle.

      Je ne puis dire toutes les émotions que ce langage si nouveau pour moi éveilla dans mon cœur; il me sembla qu'un nouvel et radieux horizon s'offrait à ma vue; je fus frappée d'un saisissement délicieux, car les paroles de Gontran sur le romanesque d'un bonheur légitime, traduisaient, résumaient complétement mille pensées jusque-là vagues et confuses dans mon esprit.

      Ce tableau ravissant de l'amour dans le mariage, avec les délicatesses, les mystères et les entraînements de la passion, me transporta d'une espérance ineffable.

      J'étais trop profondément heureuse pour cacher ma joie, pour mettre la moindre dissimulation dans ma réponse. Je sentis mes joues brûlantes, mon cœur battre, non de timidité, mais de résolution généreuse. Je voulus être à la hauteur de l'homme qui venait de me parler avec tant de sincérité, et dont les paroles m'inspiraient une invincible confiance.

      – Je ne serai ni moins franche ni moins loyale que vous, – lui dis-je. – Je suis orpheline; je ne dois compte qu'à Dieu et à moi du choix que je puis, que je veux faire… J'ai foi dans l'amour que vous me peignez si doux et si beau, parce que moi-même bien souvent j'ai rêvé cet avenir.

      – Mademoiselle, il serait vrai… je pourrais espérer?

      – Je vous ai promis d'être franche… je le serai. Avant que de vous donner, non pas une espérance, mais une certitude… permettez-moi, à mon tour, quelques mots sur mes sentiments: ne prenez pas ce que je vais vous dire pour l'expression d'un doute, bien loin de ma pensée… J'aime ma cousine comme la plus tendre des sœurs. Elle est sans fortune, elle veut faire un mariage selon son cœur; pour la mettre à même de choisir sans se préoccuper des questions d'intérêt, je désire lui assurer la moitié de mes biens. Si elle ne se marie pas, je désire la garder toujours près de moi… Consentez-vous à ce qu'elle soit aussi votre sœur?

      D'abord Gontran me contempla avec étonnement; puis, joignant les mains, il s'écria:

      – Quel noble cœur! quelle âme! Comment ne pas approuver, que dis-je? ne pas admirer une affection si généreuse? Ne serait-elle pas une garantie de l'élévation de vos sentiments, s'il était possible d'en douter? Et puis ne connais-je pas mademoiselle Ursule? ne sais-je pas qu'elle mérite tant de dévouement?

      – Oh! bien… bien, – dis-je avec entraînement, – je le vois, mon cœur trouve un écho dans le vôtre. Maintenant, une dernière question… – ajoutai-je en baissant les yeux et en balbutiant; – madame la duchesse de Richeville…

      Je ne pus dire que ces mots.

      Gontran me répondit aussitôt: – Je vous comprends, mademoiselle… les bruits du monde ont pu parvenir jusqu'à vous… Depuis mon retour d'Angleterre, ou plutôt depuis le bal de l'ambassade d'Autriche, je vous le jure sur l'honneur, je n'ai été occupé que d'une seule pensée… je n'ose dire… que d'une seule personne…

      Je tendis la main à Gontran sans pouvoir retenir deux larmes; oh! deux bien douces larmes. – Si vous voulez la main de l'orpheline… elle est à vous… devant Dieu, je vous la donne, – lui dis-je.

      – Devant Dieu aussi, je fais le serment de la mériter, – dit Gontran, – et il tomba à genoux d'une manière si charmante, si naturelle, je dirais presque si pieuse, en portant ma main à ses lèvres, que rien ne me parut exagéré dans ce mouvement.

      De ma vie… je n'éprouvai une impression à la fois plus douce, plus sereine, plus triomphante.

      Je joignis les mains avec force, et je dis d'une voix profondément émue:

      – Mon Dieu! mon Dieu! que je vous remercie de me faire maintenant la vie si riante et si belle!..

      Un roulement de voiture qui retentit dans la cour annonça le retour de mademoiselle de Maran.

      – Mathilde, – me dit Gontran, – voulez-vous me permettre de faire tout à l'heure, là, devant vous, ma demande à votre tante?.. Alors je pourrais peut-être revenir passer cette soirée près de vous.

      – Oh! oui, oui, – m'écriai-je avec joie, – vous avez raison… Ainsi vous reviendrez ce soir?

      Mademoiselle de Maran entra dans le salon.

      – Je gage, – me dit-elle dès la porte du salon, – que vous ne savez pas ce qu'Ursule est allée faire en Touraine?

      – Non, madame.

      – Et vous, Gontran?

      – J'ignore complétement…

      – Eh bien! moi, je le sais; je viens de chez le notaire de M. d'Orbeval, qui est aussi le mien; il paperassait, devinez quoi… Je vous le donne en cent… je vous le donne en mille.

      – Mais, ma tante..

      – Il paperassait des titres, des donations pour Ursule, – dit mademoiselle de Maran en riant aux éclats, – pour Ursule, qui se marie.

      – Ursule se marie… sans me l'écrire!.. Dans sa dernière lettre elle ne m'en disait pas un mot! – m'écriai-je avec une douloureuse surprise.

      – Attendez donc… attendez donc; tout à l'heure Pierron, après avoir ouvert la porte cochère, m'a remis quelques lettres que j'ai mises dans mon sac sans les regarder; il y en a peut-être une d'Ursule pour vous.

      Mademoiselle de Maran fouilla dans son sac, en tira trois lettres, lut leurs adresses, et dit: – En effet… en voici une timbrée de Tours pour vous.

      – Madame, – dit M. de Lancry à ma tante, – ce

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