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ne pus m'empêcher de rougir. – Oui, – dis-je à ma cousine; je ne sais pourquoi cela est ainsi; je ne sais pas davantage pourquoi je rougis en t'entendant répéter ces paroles que je t'ai dites.

      – Pourquoi… pourquoi?.. Veux-tu que je te le dise, moi? – reprit tristement ma cousine. C'est que tu l'aimeras.

      – Ursule, encore une fois, tu es folle!

      – Non, non, Mathilde… je ne suis pas folle… mon amitié pour toi, ma crainte de me voir oubliée par toi, ma jalousie d'affection, si tu le veux, me tiennent lieu d'une expérience que je ne puis avoir, et m'éclairent plus que toi peut-être sur tes propres sentiments… Mathilde… je devais m'attendre à ce changement dans ta vie, un jour ou l'autre cela doit arriver… Pardonne… Pardonne-moi donc mes larmes.

      Et elle se jeta en pleurant dans mes bras.

      Je ne saurais vous dire, mon ami, avec quelle profonde émotion je répondis à cette preuve de l'affection d'Ursule; je tâchai de la rassurer par les plus tendres protestations.

      – Tiens, – lui dis-je en essuyant mes yeux, – il n'en faut pas davantage pour me faire prendre M. de Lancry en aversion… je te jure…

      – Mathilde… tais-toi… – dit Ursule en me mettant doucement sa main sur ma bouche… – tais-toi… j'ai été sotte, folle, de céder à mon premier mouvement, mais il a été plus fort que moi; mon pauvre cœur était plein, il a débordé, et d'ailleurs, je ne puis rien te cacher de ce que je ressens pour toi et à propos de toi.

      Blondeau interrompit notre entretien; elle entra en disant:

      – Ah! mon Dieu, mademoiselle, la jolie voiture! il n'en est jamais venu de pareilles dans la cour de l'hôtel, bien sûr… et quel charmant jeune homme vient d'en descendre! Il a demandé mademoiselle de Maran, et il s'est croisé sur le perron avec M. Bisson, qui a sans doute encore cassé quelque chose, car il marchait très-vite, et il s'en est allé sans son chapeau, tant il avait l'air affairé.

      Ursule me regarda; je la compris. Ce jeune homme dont me parlait ma gouvernante ne pouvait être que M. de Lancry.

      Je fus choquée de cette visite si prompte, il me sembla y voir un manque de tact; je résolus de refuser de descendre, dans le cas où mademoiselle de Maran m'en ferait prier sous un prétexte quelconque.

      Nous entendîmes un roulement de voiture; Blondeau courut à la fenêtre et dit: – Ah! voilà déjà ce jeune homme qui repart, sa visite n'aura pas été longue.

      Je fus soulagée d'un grand poids; je regrettai presque de n'avoir pas eu à refuser de descendre auprès de mademoiselle de Maran.

      Un peu avant dîner, nous allâmes rejoindre ma tante dans le salon; elle s'y trouvait seule et semblait très en colère.

      – Eh bien! – nous dit-elle, vous ne savez pas un nouveau trait de cet abominable brise-tout de M. Bisson? Mais, Dieu merci, il ne remettra plus les pieds ici.

      – M. Bisson a encore cassé quelque chose, ma tante?

      – Comment? s'il a encore cassé quelque chose… eh! mais sans doute, et cela, c'est la faute de cet imbécile de Servien! – s'écria ma tante avec un redoublement de fureur. – Je lui avais, une fois pour toutes, défendu de laisser jamais seul ce vilain homme dans mon salon. J'étais dans mon cabinet occupée à écrire une lettre, ma porte entr'ouverte, lorsque tout à coup j'entends un bruit sec et roulant comme celui d'une crécelle; ne sachant pas ce que ce pouvait être, je me lève, j'entre dans le salon, et qu'est-ce que je vois? cet indigne M. Bisson assis dans mon fauteuil, tenant ma pendule entre ses genoux, et tracassant dans l'intérieur du mouvement avec mes ciseaux; il avait déjà cassé le grand ressort: c'était là le bruit de crécelle que j'avais entendu.

      Mademoiselle de Maran était si fort en colère, qu'elle ne s'aperçut pas de nos rires étouffés; elle reprit: – Mais, en vérité, c'est que je l'aurais battu si j'en avais eu la force.

      – Vous avez donc juré de tout détruire ici? vous ne pouvez donc vous tenir tranquille, abominable homme que vous êtes! lui dis-je.

      – Qu'est-ce que vous voulez donc que je fasse en vous attendant? moi je m'ennuie quand je ne fais rien, – me répondit-il si bêtement, si froidement, en posant la pendule par terre, que, par ma foi! je n'ai pas pu y tenir. Je me suis révoltée, je l'ai poussé, je l'ai chassé, et il s'est encouru tout effaré.

      – Sans emporter son chapeau, que voilà sur cette chaise? – dis-je à ma tante.

      – Tant mieux! s'écria-t-elle; – je voudrais qu'il attrapât quelque bonne fièvre cérébrale, pour qu'on l'enfermât comme un affreux fou qu'il est, malgré toute sa science.

      Il fallait que mademoiselle de Maran fût bien en colère, car elle repoussa brusquement les caresses du vénérable Félix, qui rentra dans sa niche en grondant.

      La vue de Félix me rappela la valeur de M. de Mortagne, que j'avais tant admiré dans mon enfance, lorsqu'il avait osé battre ce vilain animal; je me hasardai à demander à mademoiselle de Maran où était M. de Mortagne et s'il devait bientôt arriver.

      Je crois que ma tante aurait voulu me foudroyer d'un regard.

      – Est-ce que ça vous regarde? Pourquoi me faites-vous cette question-là? Est-ce que je m'inquiète de ce que fait cet homme? Dieu merci! quoi qu'en dise cette belle duchesse, dont l'âme est aussi noire que l'enfer, qu'il vous suffise de savoir qu'il est bien où il est, et qu'il y restera longtemps, entendez-vous? cet affreux jacobin!

      Je souligne ces mots, mon ami, parce que je frissonnai malgré moi de l'expression sinistre, presque féroce, avec laquelle ma tante prononça ces paroles. Je me rappelai involontairement qu'il y avait dix ans, presqu'à la même place, elle avait jeté un regard implacable sur M. de Mortagne, en cassant, dans sa rage muette, l'aiguille qu'elle tenait dans sa main.

      Je ne trouvai pas un mot à dire ou à répondre à mademoiselle de Maran, tant j'étais effrayée.

      Après quelques moments de silence elle reprit:

      – Gontran est venu me proposer pour demain, à l'Opéra, la loge des gentilshommes de la chambre; j'ai accepté et nous irons.

      Je crus être très-héroïque et prouver mon amitié à Ursule en refusant cette occasion de revoir M. de Lancry.

      – Je suis fatiguée du bal, ma tante, – répondis-je; je préférerais ne pas aller à l'Opéra.

      – Vous préférerez ce que je vous ordonnerai de préférer, – répondit aigrement mademoiselle de Maran.

      Ursule me jeta un regard suppliant.

      – J'irai à l'Opéra si vous le désirez absolument.

      CHAPITRE X.

      L'OPÉRA

      Ce que m'avait dit Ursule de la possibilité de mon mariage avec M. de Lancry me fit profondément réfléchir lorsque je me trouvai seule.

      Peut-être, sans les remarques de ma cousine, serais-je restée longtemps sans me rendre compte de l'impression que le neveu de M. de Versac avait faite sur moi. Je m'interrogeai franchement, en mettant de côté la prévention favorable qu'inspirent toujours chez un homme l'extrême distinction des manières, un beau nom et une très-jolie figure.

      Je me demandai si le souvenir de M. de Lancry me troublait, si je ressentais pour lui quelque intérêt. Il me sembla qu'il m'était absolument indifférent; je m'étonnais seulement d'avoir été désagréablement affectée en le voyant danser avec madame de Richeville.

      Par cela même que la cause de cette dernière impression me paraissait inexplicable, je m'obstinais à la découvrir, j'y parvins… La remarque d'Ursule m'avait mise sur la voie.

      J'ai toujours cru que les femmes n'avaient souvent de caractère arrêté qu'après avoir aimé.

      Les premières impressions, ou, si cela se peut dire, les premiers intérêts de l'amour une fois en jeu, une

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