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ma sœur, – lui dis-je en l'embrassant avec tendresse, – je t'en supplie, reprends courage, n'aie pas de ces frayeurs; ne suis-je pas avec toi? comme toi ignorante de ce monde où nous allons? et dont, comme deux enfants, nous nous épouvantons, j'en suis sûre. On ne fera pas attention à nous, peu à peu nous nous y habituerons. Toujours à côté l'une de l'autre, ce sera pour nous un bonheur que de nous confier nos observations. Eh bien! si pour la première fois nous sommes gauches, embarrassées, nous trouverons bien, à notre tour, quelque confidence maligne à nous faire.

      Ursule sourit, et me répondit en serrant tendrement mes mains dans les siennes:

      – Pardonne-moi, Mathilde, mais je ne puis te dire mon effroi du monde… Jamais… je le sens, je ne pourrai m'y habituer; cela n'est pas enfantillage, c'est conscience, c'est devoir. Quand on est, comme moi, pauvre et sans agrément, on ne se met pas en évidence, on reste à l'ombre, on ne va pas au-devant des dédains… Toi, à la bonne heure, tu as tout ce qu'il faut pour paraître, pour briller dans le monde… Vas-y seule. Je t'attendrai, je serai si heureuse de t'entendre raconter tes succès! Ces fêtes splendides, je les verrai par tes yeux; cela me suffira. – Puis souriant avec grâce, elle ajouta: – Tiens, je serai, non pas la Cendrillon du conte de fée, malheureuse et oubliée; mais une Cendrillon volontaire, heureuse de te voir belle et admirée. Oui, quand tu arriveras du bal, bien lasse de plaisir, bien rassasiée de flatteries, tu seras accueillie par mon regard tendrement inquiet, et tu te reposeras de tes succès dans le calme de mon amitié pour toi.

      Il fallait voir et entendre Ursule pour la trouver, non pas belle, mais enchanteresse, malgré l'irrégularité de ses traits.

      Sa voix émue avait un timbre si pur, si suave, ses yeux bleus avaient une expression si douce, si implorante, qu'on se trouvait irrésistiblement subjugué…

      – Ursule! – m'écriai-je, – comment peux-tu concevoir une telle défiance de toi, lorsque tu parles, lorsque tu regardes ainsi! Moi, ta sœur, moi qui ne t'ai jamais quittée, moi qui devrais être habituée à ta voix, à ton regard, en ce moment je te trouve belle, mais belle à être jalouse, si je pouvais l'être. Tu ne te connais pas… tu ne t'es jamais vue, pour ainsi dire… Crois-moi donc, malgré les méchancetés de mademoiselle de Maran, malgré tes défiances, tu es charmante. Penses-tu que ta sœur soit capable de te tromper? Allons, Ursule, mon amie, du courage; appuyons-nous l'une sur l'autre; soyons braves, affrontons ce grand jour, et demain, peut-être, nous rirons de nos terreurs… Enfin, je te déclare que si tu ne m'accompagnes pas à ce bal, je n'irai certainement pas seule.

      – Mathilde, je t'en supplie, n'insiste pas.

      – Ursule… à mon tour, je te supplie.

      – Je ne puis.

      – Ursule, cela est mal… Tu le sais, ma tante te reprochera d'avoir refusé de venir à ce bal pour m'empêcher d'y aller… Tu la connais; tu sais si je suis malheureuse quand je te vois injustement grondée… Eh bien! veux-tu me causer ce chagrin? Ursule; ma sœur, me refuser serait dire que tu me crois indifférente à tes peines… et je ne mérite pas ce reproche.

      – Mathilde… ah! que dis-tu? – s'écria ma cousine; – maintenant je n'hésite plus, j'irai.

      Plus le moment approchait, plus j'étais inquiète, moins encore de moi que d'Ursule. Malgré mon apparente sécurité, je ne savais si elle serait ou non à son avantage en toilette de bal. Pour ne pas émousser ma première impression, au lieu d'aller la voir s'habiller, lorsque je fus prête, je descendis dans le salon.

      Je trouvai mademoiselle de Maran et M. le duc de Versac, qui devait nous accompagner à l'ambassade.

      Je n'ai plus de prétentions; ma première beauté, ma première jeunesse, sont si loin de moi! je ressemble si peu maintenant à ce que j'étais alors, que je puis parler de moi à dix-sept ans comme d'une étrangère; il y a d'ailleurs du courage, de la modestie, de l'humilité, à savoir dire J'étais belle.

      Il y a maintenant dix ans de cela environ; j'étais dans toute la fleur de mes jeunes années, coiffée en bandeau, mes cheveux blonds ornés d'une branche de bruyères roses; j'avais une robe de crêpe blanc très-simple, garnie seulement de trois gros bouquets de bruyères naturelles, pareilles à celles de ma coiffure; madame la dauphine avait eu l'extrême bonté de choisir dans les serres de Meudon ces fleurs du Cap, d'une grande rareté, et de les envoyer à mademoiselle de Maran.

      J'avais la taille très-mince. M. de Versac me fit, je crois, un compliment sur la rondeur de mon bras, pendant que je mettais mes gants. Quant à mon pied et à ma main, ce sont les seules choses dont je ne puisse pas parler, car ils n'ont pas changé.

      Il fallut que mademoiselle de Maran me trouvât bien ainsi, peut-être même trop bien; car, en me voyant, elle ne put s'empêcher de froncer les sourcils, malgré son habitude de me donner des louanges outrées. Pourtant elle réprima ce premier mouvement et dit à M. de Versac:

      – N'est-elle pas toute charmante et belle comme un astre, cette chère enfant?

      – Elle a heureusement assez d'esprit pour qu'on ne craigne pas de lui parler de sa beauté, – répondit M. de Versac en souriant.

      Mademoiselle de Maran portait, comme toujours, une robe de soie carmélite, et, pour la première fois, je lui vis un bonnet fort simple, orné d'une branche de souci.

      J'attendais l'entrée d'Ursule avec inquiétude; elle parut enfin.

      Je n'exagère pas en disant que je la reconnus à peine, tant je la trouvais embellie.

      Elle était surtout coiffée à ravir. Ses beaux cheveux bruns, séparés au milieu de son front, tombaient en longues boucles de chaque côté de ses joues, et descendaient presque jusque sur ses épaules; sa pâleur rosée, son regard à demi voilé, son doux et triste sourire, et jusqu'à son maintien un peu languissant, semblaient personnifier en elle l'idéal de la mélancolie rêveuse, expression que ne peuvent jamais rendre les figures régulièrement belles.

      On dirait qu'il faut qu'une physionomie mélancolique semble regretter quelque perfection, afin que cette sorte de défiance modeste lui devienne une grâce de plus.

      Lorsque j'ai lu Shakspere, j'ai toujours évoqué le souvenir d'Ursule lors de ce bal pour me représenter Ophélie.

      Au lieu de se tenir un peu voûtée selon son habitude, ma cousine prouvait, par sa démarche pleine de souplesse, que sa taille était irréprochable; seulement, comme elle inclinait toujours un peu son front ainsi qu'une fleur penchée sur sa tige, ce mouvement donnant à son cou une légère courbure d'une élégance extrême, ajoutait encore au charme de son maintien. On lisait sur son visage une tristesse doucement contenue, qui se mêlait aux joies du monde, sans y prendre part. Le regard d'Ursule, presque suppliant, semblait enfin demander pardon de ce qu'elle restait étrangère aux plaisirs qu'une préoccupation douloureuse lui rendait indifférents.

      J'étais habituée à voir Ursule souffrante et résignée. Mais le jour de ce bal, c'était, pour ainsi dire, la souffrance intime et la résignation poétisées, je dirai maintenant habillées pour le bal.

      Mais, hélas! des épigrammes ne me vengeront pas du mal affreux que cette amie m'a causés… Pouvais-je croire à tant de dissimulation? Et encore non, non… ce n'est pas elle qu'il faut accuser, c'est mademoiselle de Maran, dont les railleries perfides…

      Ces tristes découvertes n'arriveront que trop tôt… revenons à mon récit.

      Je m'étais approchée d'Ursule avec empressement pour lui prendre la main et la féliciter d'être aussi charmante.

      M. de Versac s'écria: – De grâce, restez ainsi un moment toutes deux vous donnant la main! Quel adorable contraste! vous, Mathilde, belle, ravissante, le front rayonnant de bonheur et de grâce, vous qui serez la reine de nos fêtes… et vous, Ursule, touchante image de la mélancolie qui sourit une larme dans les yeux.

      Mademoiselle de Maran se mit à rire de toutes ses forces, et dit à M. de Versac:

      – Pourquoi donc vous arrêter en si beau chemin, et ne pas pousser jusqu'à la comparaison de la rose glorieuse et

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