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voulut que je jetasse les yeux sur Félix, le chien-loup de ma tante.

      J'avais à me venger de ce méchant animal, il m'avait souvent mordue. La veille encore il avait donné un coup de dent à Ursule; mais, je l'avoue, eût-il été le plus débonnaire des chiens, son plus grand crime à mes yeux, ou plutôt la raison qui me le fit choisir pour victime, était l'attachement extrême que lui portait mademoiselle de Maran.

      Je savais sa colère, lorsque seulement par hasard un de ses gens faisait pousser le moindre cri à Félix. Un moment j'eus la lâcheté de trembler en pensant au courroux de mademoiselle de Maran. Je la crus capable de me tuer si j'entreprenais quelque chose contre son chien. Mais mon amitié pour Ursule l'emporta. Je bravai toutes les conséquences de ma résolution.

      Je me trouvais seule dans le parloir de ma tante, Félix était couché dans sa niche de velours; je ne voyais que sa tête; je voulais lui faire du mal, mais je ne savais comment m'y prendre: il était très-méchant, très-défiant, et d'ailleurs un coup de pied n'eût suffi ni à ma vengeance ni à mes projets.

      Maintenant je ne puis m'empêcher de sourire en retraçant ces détails puérils; pourtant je ne me souviens pas d'avoir jamais ressenti une émotion aussi profonde, aussi saisissante que celle que je ressentais alors, lorsque je fus sur le point d'agir.

      Chose étrange! depuis, j'ai pris dans ma vie des résolutions bien graves, bien coupables même; mais, encore une fois, jamais je n'ai éprouvé la crainte, l'hésitation, le remords anticipé, si cela se peut dire, que j'éprouvai au moment de commettre une méchante espiéglerie d'enfant.

      J'avoue que ma vengeance contre Félix fut bien barbare; je n'étais pas cruelle par caractère; il fallait tout mon désir de réhabilitation auprès d'Ursule pour me décider à cette atrocité.

      J'eus l'abominable idée du mettre une pincette au feu; quand je la vis bien rouge, je la pris et je m'avançai intrépidement contre mon ennemi.

      Selon son habitude, il sortit de sa niche en aboyant pour se jeter sur moi; mais je le saisis si adroitement avec la pincette par une de ses oreilles pointues, qu'il poussa des hurlements affreux, et tomba sans avoir le courage ou la force de regagner sa niche. J'eus un moment de remords en voyant fumer l'oreille de ce malheureux animal et en entendant ses cris douloureux; mais, pensant au bonheur d'être maltraitée par ma tante aux yeux d'Ursule, j'étouffai ce mouvement de pitié.

      J'étais héroïquement restée debout, ma pincette à la main: ma victime se roulait à mes pieds.

      Mademoiselle de Maran accourut et entra tout effrayée.

      Son maître d'hôtel la suivait non moins inquiet.

      – Bon Dieu du ciel! qu'y a-t-il? – s'écria-t-elle en se précipitant sur Félix. – Qu'y a-t-il, mon pauvre loup?.. Puis, apercevant son oreille complétement brûlée, elle releva la tête et me dit en furie:

      – Petite stupide! vous ne pouviez pas veiller sur lui… et l'empêcher d'approcher du feu… Servien… Servien… vite, de l'eau fraiche… de la glace…

      Puis, les yeux égarés par la colère, les lèvres écumantes, ma tante, oubliant ses procédés habituels, me prit par les bras, me pinça jusqu'au sang, et s'écria: – Tu ne pouvais pas veiller sur lui, vilaine sotte, indigne créature!..

      Mademoiselle de Maran avait une si terrible figure elle avait l'air si méchant, que j'eus un moment d'indécision: je pouvais lui laisser croire que la brûlure de Félix était la suite d'une imprudence, mais je surmontai bien vite cette lâche faiblesse; m'échappant de ses mains, je lui montrai la pincette que je tenais encore, en lui disant avec un calme superbe et triomphant:

      – J'ai fait rougir cette pincette au feu, et je m'en suis servie pour brûler l'oreille de Félix.

      Je n'avais pas terminé ces mots, que je sentis sur ma joue les doigts osseux et secs de ma tante.

      Le soufflet fut si violent, que je faillis tomber à la renverse.

      Quoique ma douleur eût été violente, quoique la frayeur de ma tante fût grande, je ne songeai pour ainsi dire qu'à l'insulte; je devins pourpre de colère: sans trop savoir ce que je faisais, je lançai les pincettes de toutes mes forces contre mademoiselle de Maran.

      La fatalité me servit à souhait; les pincettes atteignirent la magnifique coupe de porcelaine de Sèvres: le royal présent fut brisé en morceaux.

      Ensuite de cette belle victoire de chien brûlé et de coupe cassée, insensible aux reproches, aux menaces de ma tante, je courus dans le parloir, enivrée d'orgueil, en criant de toutes mes forces: – Ursule!.. Ursule!.. viens donc voir!..

      Puis, ne pouvant sans doute résister à la violence des sentiments qui m'agitaient depuis quelques minutes, je perdis complétement connaissance…

      Que l'on juge de ma joie! En revenant à moi je me vis couchée dans mon lit, ma gouvernante était à mon chevet; ma cousine, à genoux, tenait mes mains dans les siennes.

      Je ne puis exprimer avec quel ravissement, avec quel orgueil, je me souvins de ma courageuse action. Toute ma peur était d'apprendre l'apaisement de la colère de ma tante.

      – Mon Dieu, ma pauvre enfant, – dit Blondeau, – vous qui êtes si bonne, comment avez-vous donc eu le cœur de faire tant de mal à ce chien? Il est méchant comme un démon… je le sais; mais, enfin, c'est toujours bien cruel à vous…

      – Et ma tante!.. ma tante!.. est-elle bien fâchée? – dis-je avec impatience.

      – Si elle est fâchée? Jésus, mon Dieu! – dit Blondeau; – elle est si fâchée qu'elle en a eu une attaque de nerfs… En revenant à elle, ses premiers mots ont été d'ordonner qu'on vous mît au pain et à l'eau pendant huit jours.

      – Ah!.. Ursule! – m'écriai-je en me jetant au cou de ma cousine.

      – Ce n'est pas tout, mademoiselle, – ajouta tristement Blondeau; – madame votre tante vous fait faire un sarrau de grosse toile grise avec un écriteau, avec lequel vous serez forcée de descendre demain au salon, quand il y aura du monde.

      – Ursule!.. Ursule… tu le vois! elle me punit aussi!.. elle m'humilie aussi… elle me déteste aussi!.. – m'écriai-je, rayonnante de bonheur, en embrassant ma cousine.

      – Ah! maintenant je devine tout. – dit ma gouvernante; et l'excellente femme joignit les mains en me regardant avec attendrissement.

      CHAPITRE V.

      PREMIÈRE COMMUNION

      Malgré sa finesse, malgré son esprit, mademoiselle de Maran ne pénétra pas le motif de ma vengeance contre Félix.

      Elle crut que j'avais agi par haine et par ressentiment contre son chien.

      Je n'eus qu'à m'applaudir de ma résolution; Ursule parut extrêmement touchée de cette preuve bizarre de mon amitié: les liens de notre tendre affection continuèrent à se resserrer de plus en plus.

      Je trouvais Ursule d'un caractère bien supérieur au mien; souvent j'étais emportée, volontaire, opiniâtre: ma cousine, au contraire, se montrait toujours d'une patience, d'une sérénité parfaite; son regard, doux et limpide, se voilait quelquefois de larmes, mais ne s'animait jamais du feu d'une émotion vive. Elle semblait destinée à souffrir ou à se dévouer.

      Mademoiselle de Maran parut oublier peu à peu la faute dont je m'étais rendue coupable, et continua en toute occasion de m'exalter aux dépens de ma cousine.

      Celle-ci, rassurée sans doute par les preuves d'attachement que je m'efforçais de lui donner, sembla désormais insensible aux perfidies de ma tante.

      Un des événements les plus graves de la vie d'une jeune fille qui n'est plus un enfant, ma première communion, éveilla plus tard en moi de nouvelles, de sérieuses pensées.

      Mademoiselle de Maran ne suivait aucune des pratiques extérieures de la religion. Rien dans son langage, rien dans ses habitudes, ne révélait des sentiments de piété. Elle nous fit donc seulement accomplir

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