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mots, que M. de Mortagne en comprit la portée.

      – Ah! nous y voilà, – s'écria-t-il, – j'étais bien étonné aussi que vous ne m'eussiez pas encore traité de Jacobin ou de bonapartiste, ce qui, pourtant, ne va guère ensemble. Je sais que vous êtes assez perfide pour me susciter dans le conseil une question de parti, à propos de ma réclamation. Je sais que vos parents ultras y sont en grand nombre. Je sais qu'ils suivent aveuglément vos avis, et il est probable qu'ils feront dans cette circonstance, comme dans toute autre, un usage criminel de leur majorité.

      En m'embrassant avec tendresse et émotion, M. de Mortagne ajouta tristement:

      – Pauvre enfant!.. Pauvre France!

      – Ah! mon Dieu! voyez donc comme c'est à la fois superbe et touchant! s'écria ma tante en riant aux éclats de son rire aigre et insolent. – Ah! mon Dieu! voyez-vous ce pharamineux rapprochement… pauvre enfant! pauvre France!. Le tendre Saint-Just disait de ces jolies bergerades-là au club des Cordeliers, je crois; ce qui ne l'empêchait pas du tout de vous faire couper le cou le lendemain. Oui, oui, je vois bien à votre colère, monsieur, que si cela dépendait de vous, vous me traiteriez à la façon de ses pauvres frères et amis. Car, en vérité, malgré votre naissance, vous étiez digne d'être des leurs, vous avez fait partie de ces messieurs de la Loire.

      M. de Mortagne m'a dit qu'en effet les froids et cruels sarcasmes de ma tante l'avaient mis hors de lui, et qu'il se reprocha de lui avoir brutalement répondu:

      – C'est vrai! quand je songe que vous avez fait mourir de chagrin ma cousine de Maran, quand je songe que vous torturez une malheureuse enfant avec une méchanceté diabolique, je me demande si l'on ne devrait pas mettre hors la loi… ce qui est moralement et physiquement hors de la nature.

      – Assez d'insultes comme ça! sortez! sortez! monsieur! – s'écria mademoiselle de Maran avec une telle expression de colère, que, lorsque M. de Mortagne, en se levant, voulut me déposer à terre, je me cramponnai à lui de toutes mes forces en le suppliant de ne pas me laisser avec ma tante.

      Il me mit dans les bras de ma gouvernante, qui était restée muette et inaperçue pendant cette scène.

      Nous sortîmes tous trois: mademoiselle de Maran était dans une colère difficile à peindre.

      CHAPITRE III.

      LE CONSEIL DE FAMILLE

      Je n'avais pas compris grand'chose à la conversation de monsieur de Mortagne et de ma tante. J'avais seulement été ravie d'entendre mon protecteur parler d'une manière si ferme à mademoiselle de Maran.

      Je pressentais quelque heureux changement dans ma position. L'idée d'entrer dans un couvent ou dans une pension, qui effraye toujours si fort les enfants, me plaisait au contraire beaucoup. Tout ce que je désirais au monde, c'était de quitter la maison de ma tante.

      Le conseil allait décider si je resterais ou non au pouvoir de mademoiselle de Maran. Je faisais les vœux les plus vifs pour que M. de Mortagne réussît dans son dessein. Le jour fatal arriva; ma tante me fit habiller avec soin, et je descendis dans le salon où les membres de notre famille s'étaient réunis.

      Je cherchai des yeux M. de Mortagne; il n'était pas encore venu. Ma tante me plaça à côté d'elle et de M. d'Orbeval, mon tuteur.

      Tous mes parents semblaient craindre mademoiselle de Maran, et l'entouraient d'une obséquieuse déférence. On lui savait un crédit puissant. Son salon était le rendez-vous des hommes les plus influents du gouvernement. Par égard pour Louis XVIII, les princes lui témoignaient une extrême bienveillance.

      M. de Talleyrand partageait souvent ses soirées entre ma tante et la princesse de Vaudemont. Ce grand homme d'État, qui – disait ma tante avec beaucoup de raison d'ailleurs – «avait élevé le silence jusqu'à l'éloquence, l'esprit jusqu'au génie, et l'expérience jusqu'à la divination,» causait quelquefois une heure, tête-à-tête, avec mademoiselle de Maran; car elle était de ces femmes avec qui toutes les sommités sont presque obligées de compter.

      Les enfants sont surtout frappés des apparences; ils ne peuvent se rendre raison de la puissance de l'esprit et de l'intrigue: aussi pendant bien longtemps il me fut impossible de comprendre comment mademoiselle de Maran, malgré son apparence chétive, presque grotesque, exerçait autant d'empire sur des personnes qui n'étaient pas forcément sous sa dépendance.

      Lorsque ma tante était assise, sa tête, presque de niveau avec son épaule gauche, infiniment plus haute que la droite, ne dépassait pas le dossier d'un fauteuil ordinaire; ses longs pieds, toujours chaussés de souliers de castor noir, reposaient sur un carreau très-élevé qu'elle partageait avec Félix.

      Pourtant, malgré sa laideur, malgré sa méchanceté, mademoiselle de Maran réunissait chaque soir autour d'elle l'élite de la meilleure compagnie de Paris, et gourmandait avec hauteur les personnes qui demeuraient quelques jours sans venir la voir. Ses reproches aigres et durs, témoignaient assez qu'elle ne tenait pas à ces hommages par affection, mais par orgueil.

      On n'attendait plus que M. de Mortagne, il arriva. Mon cœur battait avec force. De lui allait dépendre mon avenir.

      Je remarquai bien vite que M. de Mortagne était reçu avec froideur par mes parents. Sa barbe et ses dehors négligés firent chuchoter et sourire, quoique son originalité fût connue.

      On savait la profonde aversion de ma tante contre lui; en le raillant on savait la flatter.

      Après quelques moments de silence, mon tuteur, M. d'Orbeval, pria M. de Mortagne de reproduire les raisons qui lui semblaient motiver la réunion d'une assemblée de famille.

      M. de Mortagne répéta ce qu'il avait dit à ma tante sans mesurer davantage ses termes; il finit par demander qu'on me mît au couvent des Anglaises, qui était alors en aussi grande vogue que l'a été par la suite le Sacré-Cœur.

      Pendant cette violente accusation, mademoiselle de Maran resta impassible. Nos parents, complétement dominés par elle, en avaient une peur horrible. Ils manifestèrent à plusieurs reprises leur indignation contre M. de Mortagne par des murmures et par des interruptions; leurs regards, tournés vers ma tante, semblaient la prendre à témoin et protester contre la brutalité du langage de mon protecteur.

      Celui-ci, parfaitement indifférent à ces rumeurs, haussa les épaules de temps en temps, attendit que le bruit eût cessé pour recommencer de parler, et ne modifia en rien son langage.

      Il lui fallait véritablement du courage pour s'attaquer ainsi à mademoiselle de Maran; placée, entourée comme elle l'était, elle pouvait trouver mille moyens de lui nuire, de se venger… Hélas! elle ne prouva que trop à M. de Mortagne que la haine qu'elle lui portait était implacable.

      J'étais alors bien enfant, je me souviens pourtant d'un fait qui me frappa malgré son insignifiance, et qui maintenant a toute sa valeur à mes yeux.

      Pendant ce débat, la physionomie de ma tante n'avait trahi aucune émotion; elle tenait dans ses mains une longue aiguille à tricoter…

      A mesure que M. de Mortagne parlait, mademoiselle de Maran semblait de plus en plus serrer cette aiguille entre ses doigts décharnés. Enfin, au moment où il s'écria – que si rien n'était plus respectable que la laideur, la vieillesse et les infirmités, rien n'était plus lâche que d'abuser de ces déplorables avantages pour répondre impunément des insolences aux hommes qui lui demandaient compte d'une conduite à la fois honteuse et cruelle, mademoiselle de Maran brisa en morceaux et comme par hasard l'aiguille qu'elle tenait entre ses doigts, et jamais je n'oublierai le regard fatal qu'en ce moment elle jeta sur M. de Mortagne.

      Mon tuteur crut devoir, au nom de la majorité de l'assemblée, répondre à l'antagoniste de ma tante et blâmer vertement son langage. Mon protecteur sembla se soucier fort peu de cette attaque, ensuite de laquelle M. d'Orbeval demanda à mademoiselle de Maran, avec la plus respectueuse déférence et seulement pour la forme, si elle croyait nécessaire d'apporter quelques modifications à mon éducation, se hâtant d'ajouter que, d'avance, l'assemblée s'en rapportait absolument à sa décision sur ce sujet, qu'elle pouvait apprécier mieux

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