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serré quand je lui entendais prononcer ces paroles.

      Mademoiselle de Maran semblait tellement irritée, qu'il se serait agi de ma vie que je n'aurais pas été plus épouvantée.

      D'une main elle me tirait à elle, en me serrant le bras dans ses longs doigts maigres et durs comme du fer; de l'autre, elle ôtait mon peigne, afin de dérouler mes cheveux, qui couvrirent bientôt mes épaules.

      La terreur me rendit muette, je n'eus pas la force de crier.

      – Mademoiselle! mademoiselle! dit Blondeau en tombant à genoux, – au nom du ciel! ne faites pas cela; il en arrivera malheur à Mathilde! C'est désobéir aux volontés de sa mère mourante, mademoiselle!

      – Me donnerez-vous ou non des ciseaux, sotte bête que vous êtes?

      – Mais, mon Dieu!.. mon Dieu!.. Mademoiselle!

      Sans lui répondre, ma tante sonna.

      Servien parut.

      – Servien, apportez ici vos grands ciseaux d'office.

      – Oui, mademoiselle, – dit Servien.

      Il sortit.

      – Mademoiselle, – s'écria ma gouvernante avec énergie, – je ne suis qu'une pauvre domestique, vous êtes la maîtresse ici, mais je me ferais tuer plutôt que de laisser toucher aux cheveux de mon enfant.

      Et ma gouvernante s'avança sur le lit pour m'arracher des mains de ma tante.

      Félix, excité par ce mouvement, se jeta sur Blondeau et la mordit à la joue.

      – Ah! la méchante bête! – s'écria-t-elle dans sa colère. Elle prit Félix par le cou et le jeta rudement au milieu du parquet.

      Le chien poussa des cris lamentables; je sentis les ongles de ma tante s'enfoncer dans mon épaule nue.

      – Sortez d'ici! sortez d'ici, malheureuse! – dit-elle à Blondeau. Puis, voyant Servien entrer:

      – Mettez cette insolente à la porte, – ajouta-t-elle, – et venez tenir cette petite, que je lui coupe les cheveux.

      – Mademoiselle, pardon! pardon!.. j'ai eu tort, je me suis oubliée; mais ayez pitié de Mathilde!.. Grâce pour ses beaux cheveux, grâce! Et puis enfin, mademoiselle, la main de sa mère mourante les a touchés… c'est sacré cela!

      – Un mot de plus, et je vous chasse… entendez-vous? – lui dit ma tante.

      Cette menace frappa Blondeau de stupeur. Elle savait mademoiselle de Maran capable de tenir sa parole. Avant tout, elle craignait de me quitter; elle se résigna au sacrifice.

      Toute ma vie je me souviendrai de cette scène. Elle semble puérile; mais pour moi elle était horrible.

      Servien, avec sa figure moitié lie de vin, tenait ses grands ciseaux ouverts. Je crus qu'il voulait me tuer… Je poussai des cris perçants.

      – Prenez-la donc dans vos bras! – dit ma tante à cet homme, – et tenez-la bien; en se débattant elle se ferait blesser.

      Hélas! je ne songeais plus à me débattre, j'avais presque perdu tout sentiment.

      Blondeau se cachait la figure en sanglotant; Servien me prit dans ses grosses mains.

      Je fermai les yeux, je frissonnai au froid de l'acier sur mon cou; j'entendis le grincement des ciseaux… et je sentis mes cheveux tomber tout autour de moi.

      L'exécution finie, ma tante dit à Servien en riant de toutes ses forces:

      – Maintenant, elle a l'air d'un affreux petit enfant de chœur… Allons… allons… Servien, appelez une de mes femmes, qu'elle vienne les balayer, ces beaux cheveux!

      Blondeau demanda en tremblant la permission de les ramasser et de les garder.

      Ma tante le permit, et lui ordonna de m'emmener.

      Au moment où je quittai sa chambre, mademoiselle de Maran me fit venir auprès d'elle, me regarda un moment encore, et s'écria en éclatant de rire de nouveau:

      – Mon Dieu! que cette petite est donc laide ainsi!

      Une fois rentrée dans l'appartement que j'occupais avec Blondeau, celle-ci me prit dans ses bras et me couvrit de larmes et de baisers.

      J'avais ressenti une telle frayeur à la vue des grands ciseaux de Servien, que le dénoûment de cette scène me parut presque heureux. Je ne partageais pas le culte et l'admiration de ma gouvernante pour ma chevelure; j'avoue même que je fus assez contente de pouvoir courir dans le jardin sans être obligée d'écarter à chaque instant mes cheveux de mon front.

      J'avais seulement été frappée de ces dernières paroles de ma tante:

      – Que cette petite est laide ainsi!

      Je priai ma gouvernante de me porter devant une glace. Je me trouvai une figure si singulière, qu'au grand chagrin de Blondeau je me mis aussi à rire aux éclats.

      Plus tard, j'ai pu m'expliquer la singulière conduite de mademoiselle de Maran. Elle avait toujours ressenti une antipathie, une aversion profonde pour tout ce qui était beau; et sans vanité, mon ami, ou plutôt selon l'attachement aveugle de ma gouvernante, étant enfant j'étais charmante. Puis, ma tante avait toujours détesté ma mère. Plus tard, hélas! je fis à ce sujet de bien cruelles découvertes.

      CHAPITRE II.

      LE PROTECTEUR

      J'atteignis l'âge de sept ans. L'aversion de mademoiselle de Maran pour moi semblait augmenter chaque jour. Il n'est pas de petites tortures qu'elle ne se plût à m'infliger.

      Ainsi l'on m'avait toujours servi à dîner chez ma gouvernante, ma tante voulut me faire dîner à table à côté d'elle; sa tabatière me causait un horrible dégoût; elle la mettait ouverte auprès de mon assiette; si quelques mets me répugnaient, on m'en servait tous les jours; si je ne pouvais surmonter mon dégoût, pour me punir, mademoiselle de Maran faisait placer mon assiette dans la niche de Félix, et, malgré mon effroi, j'étais condamnée à aller chercher cette nourriture à genoux et à la manger à genoux.

      Ma tante avait remarqué que la présence de ma bonne Blondeau me donnait le courage de tout souffrir sans pleurer; elle lui défendit de rester auprès de moi pour me servir. Le maître d'hôtel, Servien, fut chargé de ce soin, et cet homme m'inspirait autant de dégoût que de frayeur.

      Ce que j'ai maintenant peine à concevoir, c'est comment ma tante, malgré ses occupations, malgré la réelle supériorité de son esprit, pouvait mettre autant de calcul, autant de persévérance à tourmenter une enfant.

      Rien n'était donné au hasard. Sa conduite envers moi était réfléchie, étudiée.

      Peu à peu je m'endurcis à la douleur. La souffrance éveilla en moi le besoin de la vengeance. J'observai que plus je pleurais, plus ma tante riait ou semblait satisfaite.

      Après des efforts inouïs pour me contraindre et pour cacher mes larmes, j'y réussis. J'éprouvai une grande joie en voyant l'étonnement, le dépit de ma tante.

      Elle redoubla ses duretés, je redoublai de courage et de dissimulation.

      Je frémis quelquefois encore en songeant à cette lutte ouverte entre une enfant abandonnée et une femme telle que mademoiselle de Maran, lutte dans laquelle je finis par avoir l'avantage, car la méchanceté de ma tante ne pouvait dépasser certaines limites.

      Toute la maison tremblait devant elle, aussi ma gouvernante était-elle en butte à mille petites vexations de chaque jour. Il a véritablement fallu à cette excellente femme un dévouement plus qu'héroïque pour surmonter tant de dégoûts. Deux fois ma tante voulut m'en séparer; mais je tombai si gravement malade, qu'elle dut renoncer à toute nouvelle tentative à ce sujet.

      Je ne sais si c'était de la part de ma tante résolution arrêtée ou insouciance, mais à sept ans je n'avais encore eu aucun professeur.

      Ma gouvernante m'avait appris à lire et à écrire; elle me faisait dire mes

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