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sa tombe.

      «C'est une chose à la fois étrange et magnifique, mon ami, que de voir combien les grands caractères, grands par le courage, grands par le cœur, prévoient sûrement ce qu'ils doivent ressentir.

      «Il y a trois ans, Emma vous disait: «Si vous me perdiez, que deviendriez-vous?» Je vous entends encore, mon ami, lui répondre avec ce sourire qui n'appartient qu'à vous et sans cacher les larmes qui vous vinrent aux yeux: – «J'irais où vous seriez, je vivrais dans l'isolement… je ne me consolerais jamais… Peut-être n'aurais-je pas le courage de revoir Mathilde… notre amie… notre sœur…»

      «Ces simples paroles, dites par tout autre, n'auraient semblé que tristes ou exagérées… dites par vous elles avaient un caractère de vérité désolante.

      «Emma et moi nous fondîmes en larmes, aussi effrayées que si la main de Dieu nous eût en ce moment dévoilé l'avenir.

      «A cette terrible promesse, non plus qu'à toutes celles que vous aviez faites, mon ami, vous n'avez pas manqué.

      «Je vous envoie ces papiers en toute confiance, sans crainte d'être importune; quand vous lirez cette lettre, c'est que vous vous sentirez le courage de penser à moi, qui étais si souvent avec elle.

      «Ce ne sera pas une preuve que votre désespoir s'affaiblit… Hélas! non… ce sera au contraire avec une sorte de joie cruelle que vous croirez aviver encore vos blessures déjà si douloureuses, en cherchant parmi ces pages celles qui parlent d'Emma.

      «Peut-être… d'ici à bien longtemps… ne lirez-vous pas cela… Peut-être ne le lirez-vous jamais… Alors… mon ami… vous recommanderez ces papiers à la fidélité de Stok, ainsi que le coffret que vous avez reçu… il y a deux mois… Je désire que tout soit anéanti.

      «Si vous lisez l'écrit que je vous envoie, vous saurez pourquoi je vous ai envoyé ce coffret.

      «Un remords éternel me poursuivra. Ce dépôt aurait pu vous être fatal… J'ai tout appris… Ce duel! Ah! Dieu m'est témoin que je croyais que personne au monde ne saurait que ces papiers étaient entre vos mains.

      «Par quelle fatalité ce secret a-t-il été découvert? Par quelle fatalité votre vie… celle d'une personne que je ne puis plus accuser… ont-elles été compromises? C'est ce que je ne saurai sans doute jamais.

      «Maintenant, un mot de moi, mon ami.

      «Depuis longtemps, depuis une année surtout, j'ai été bien malheureuse. Comparer mes chagrins aux vôtres serait blasphémer; pourtant la vie m'a été lourde et pénible… Lorsqu'il y a deux mois je suis venue dans cette retraite, où je finirai probablement mes jours, le souvenir du passé me causait un étourdissement douloureux.

      «J'avais un tel besoin de calme, ou plutôt d'oubli de tout et de tous, que ce bruissement lointain du temps qui n'était plus m'était odieux.

      «Alors j'ai fait cette réflexion bizarre: – On calme, on use des chagrins en les confiant. Peut-être en écrivant cette histoire de ma vie, me débarrasserai-je des souvenirs qui m'obsèdent, peut-être cette muette confession me rendra-t-elle le repos.

      «J'ai pensé aussi que je trouverais une sorte de joie amère à revenir une dernière fois sur le passé, à y choisir quelques fleurs précieuses encore, quoique desséchées, à jeter le reste au vent de l'oubli… à pouvoir enfin épancher les indignations que ma fierté avait jusqu'ici toujours contenues…

      «Je ne me suis pas trompée dans cette espérance, mon ami; ce loyal aveu de toute ma vie, nobles actions ou lâches erreurs, m'a soulagée; les fantômes dont s'effrayait mon imagination se sont évanouis.

      «En jetant un coup d'œil désabusé sur les temps qui n'étaient plus, en faisant le compte de mes larmes, en calculant froidement ce qui les avait causées, le dédain a remplacé la douleur; à de cruelles agitations a succédé un calme morne et triste. J'ai dit le bien sans orgueil, le mal sans fausse humilité; je n'ai pas dénigré mes ennemis, je n'ai pas loué mes amis; j'ai dit leur conduite envers moi. J'ai jeté sur ma vie un regard juste, sévère comme celui d'un juge.

      «Dans ma pensée, c'était à notre amie, à notre sœur, que je m'adressais; c'était à vous.

      «Je me souvenais que bien des fois vous et elle m'aviez dit, dans ce temps si heureux: Racontez-nous donc quelques pages de votre cœur. Je me souvenais que ma franchise vous charmait, vous effrayait tour à tour.

      «Si vous lisez ces pages, mon ami, vous ne m'aimerez pas plus, mais vous m'estimerez peut-être davantage.

      «Maintenant mon but est rempli: mon cœur est vide, mais tranquille. Le passé me répond de l'avenir. C'est à vous que je dois le repos que je goûte… Jamais je n'eusse fait à d'autres ces confidences. Et ces confidences ont calmé de bien vives douleurs.

      «Adieu, mon ami! adieu, mon frère! Souvenez-vous de Mathilde en lisant dans ces pages deux noms qui vivront toujours saintement unis dans mon cœur, comme ils l'ont été dans ce monde.

«Mathilde.»FIN DE L'INTRODUCTION

      MÉMOIRES D'UNE JEUNE FEMME

      CHAPITRE PREMIER.

      MADEMOISELLE DE MARAN

      Orpheline, j'ai passé mon enfance chez ma tante, mademoiselle de Maran, sœur de mon père.

      J'ai été élevée par madame Blondeau, excellente femme, qui lors de ma naissance était au service de ma mère depuis fort longtemps.

      Ma tante n'avait jamais voulu se marier; elle était contrefaite, infiniment spirituelle, et moqueuse à l'excès.

      Malgré sa difformité, malgré sa laideur, malgré l'extrême petitesse de sa taille, il était difficile d'avoir une physionomie plus imposante ou plutôt plus altière que mademoiselle de Maran. Elle n'inspirait pas sans doute la respectueuse déférence que commandent toujours la noblesse des traits, le grand air ou l'affable dignité des manières; mais à son aspect on ressentait de la crainte et de la défiance de soi.

      Mademoiselle de Maran n'avait jamais quitté mon père; vers le milieu de la révolution, elle avait émigré en Angleterre avec lui, après avoir partagé ses chagrins et ses dangers.

      Malgré le mal que m'a fait ma tante, je ne puis m'empêcher de reconnaître qu'elle aimait tendrement son frère; mais l'amour des méchants porte aussi leur cruelle empreinte: on dirait qu'ils chérissent une personne pour avoir le prétexte d'en haïr cent; ils vous aiment, mais ils détestent ceux qui ont droit à votre affection ou qui vous témoignent de leur attachement.

      Tel fut l'amour de ma tante pour mon père.

      Elle le dominait d'ailleurs complétement par la hauteur et par la fermeté de son caractère. Il ne faisait rien sans la consulter. Elle lui donnait toujours des avis remplis de prévoyance, de finesse et d'habileté. Haïssant Napoléon autant que la révolution, connaissant intimement plusieurs membres du cabinet anglais, pressentant la chute de l'empire, vers 1812, elle avait engagé mon père à aller habiter près d'Hartwell et faire assidûment sa cour à Louis XVIII.

      Elle-même vit souvent le roi, et lui plut par la vivacité caustique de son esprit, par la sûreté de son jugement et par la liberté de ses discours. Sachant le latin à merveille, elle faisait à ce prince des citations pleines d'à-propos et d'une flatterie d'autant plus délicate, qu'elle se cachait sous les dehors d'une brusquerie presque cynique.

      Déliée, adroite, pénétrante, redoutée par sa méchanceté sarcastique, qui, ne craignant rien, s'attaquait à tout, mademoiselle de Maran se faisait une arme ou une défense de sa laideur, de sa difformité, de sa faiblesse, pour braver les hommes et les femmes. Elle s'immolait elle-même au ridicule, pour avoir le droit d'y sacrifier les autres sans pitié. Elle usait avec un art infiniment dangereux des secrets qu'elle savait toujours surprendre aux étourdis ou aux gens sans défiance pour dominer plus tard les dupes de son astuce; connaissant le point vulnérable de chacun, elle ne reculait devant aucune raillerie, si amère qu'elle fût, suppliant à son tour qu'on ne l'épargnât pas.

      Elle

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