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restant de feu flambait dans la cheminée, et éclairait la chambre de sa lumière vacillante.

      A la lueur d'une veilleuse, je vis ma gouvernante; elle était auprès de mon lit; elle m'avait éveillée en voulant m'embrasser.

      N'osant faire un mouvement, je la suivis des yeux. Sa figure, ordinairement si douce, si calme, avait une expression sinistre qui me glaça d'épouvante.

      Elle me regardait en se parlant à elle-même à demi-voix et d'un air égaré.

      – Non, non, – disait-elle, – je ne puis supporter cela plus longtemps. Ce monstre perd mon enfant; elle l'a rendue indifférente… méprisante pour moi. Mathilde ne m'aime plus. Je ne lui suis plus bonne à rien, je n'ai pas besoin de rester plus longtemps… Aussi bien je ne le pourrais pas… Non, aujourd'hui j'ai trop souffert; on a comblé la mesure… De l'argent… à moi… Ah! j'en deviendrai folle… Je crois que je le suis déjà… Allons, finissons-en; un dernier baiser à ce pauvre petit ange endormi; il a prié pour moi, le bon Dieu me pardonnera.

      En disant ces mots, Blondeau me baisa au front et ajouta en sanglotant: – Adieu! adieu! tu ne sauras jamais le mal que tu m'as fait, pauvre petite… Ce n'est pas toi que j'accuse… oh non! c'est ce monstre qui a fait mourir ta mère de chagrin, et qui veut perdre ton âme… Adieu! encore adieu… O mes beaux cheveux blonds! que je les baise encore une fois. – Et je sentis sur mon front ses lèvres glacées.

      J'avais jusqu'alors fermé les yeux, quoique éveillée. Tout à coup je regardai; je vis ma gouvernante aller vers la fenêtre et l'ouvrir violemment; je devinai sa funeste pensée; je courus vers elle, et je l'arrêtai au moment où elle allait se jeter par la fenêtre.

      La pauvre femme resta stupéfaite; mes cris la rappelèrent à elle-même; elle tomba agenouillée, et s'écria: – Qu'allais-je faire? Seigneur mon Dieu, pardonnez-moi, j'étais folle; j'oubliais que j'avais juré à ta mère mourante de ne pas t'abandonner; mais je souffrais tant… aujourd'hui surtout; c'est le bon Dieu qui m'a envoyé cet ange pour m'empêcher de commettre un crime. Non, non, je resterai près de toi, mon enfant; je souffrirai, j'endurerai tout, je mourrai, s'il le faut, de chagrin, mais je mourrai près de loi, en te regardant; je l'ai promis à cette pauvre madame qui est dans le ciel et qui m'entend.

      Cette scène me laissa une impression si profonde, je fus si frappée du désespoir de Blondeau, que mes premiers germes d'ingratitude à son égard furent à jamais étouffés. Je redevins pour elle ce que j'avais été autrefois, au grand chagrin de mademoiselle de Maran, qui avait un instant espéré de me priver de cette affection si sincère et si dévouée.

      Peu de temps après, ma tante m'apprit qu'Ursule d'Orbeval, ma cousine et la fille de mon tuteur, allait enfin venir habiter avec nous, ajoutant – que j'étais beaucoup plus jolie, beaucoup plus instruite, beaucoup mieux mise qu'elle, et que par conséquent j'aurais infiniment de plaisir à lui faire ressentir toutes mes supériorités.

      Ainsi, mademoiselle de Maran ne me laissait pas un sentiment dans sa pureté, dans sa fleur! Déjà cette joie douce et candide de trouver une amie de mon âge était flétrie par l'arrière-pensée de lui inspirer de la jalousie, de l'envie, et nécessairement de la haine!

      Ma tante, avec une singulière sagacité, avait pour ainsi dire fait deux parts de ma jeunesse: jusqu'à neuf ans, j'avais eu à souffrir de la terreur, des privations, de l'abandon; je n'étais pas encore mûre pour d'autres projets.

      CHAPITRE IV.

      UNE AMIE D'ENFANCE

      Une ère nouvelle allait commencer pour moi.

      Jusqu'alors je n'avais eu que des sentiments incomplets; je craignais ma tante, mais son esprit m'amusait. Malgré quelques preuves de froideur et d'oubli, j'aimais tendrement ma gouvernante, mais il n'existait entre nous aucun rapport d'âge ou de caractère.

      Lorsque Ursule d'Orbeval arriva, j'étais si seule, j'avais fait de si beaux rêves sur cette affection promise, que je me sentais déjà reconnaissante envers ma cousine, qui allait me mettre à même de réaliser ces douces espérances. J'oubliai complétement les perfides conseils de ma tante; au lieu de songer à humilier Ursule, je ne songeai qu'à l'aimer.

      Elle avait une année de plus que moi. Par une bizarre singularité, ses cheveux étaient noirs, et ses yeux bleus, tandis que l'avais les yeux noirs et les cheveux blonds. Nous étions à peu près de la même taille; les traits d'Ursule étaient loin d'être réguliers, mais on ne pouvait imaginer une physionomie plus intéressante, un sourire plus doux et plus aimable.

      La première fois que je la vis, elle portait le deuil de sa grand'mère. Ses vêtements noirs faisaient encore plus ressortir la blancheur rosée de sa peau; je lui trouvai une expression si charmante, que je me jetai à son cou en l'appelant ma sœur.

      Malgré moi je pleurai; ces larmes furent les plus douces larmes que j'eusse encore répandues. Ma cousine accueillit mes caresses avec une grâce touchante, je l'emmenai dans ma chambre, et je mis à sa disposition tous mes trésors de toilette.

      Ursule ne montra ni embarras gauche, ni assurance indiscrète. Elle me dit, tout émue, qu'elle me demandait mon amitié; car elle était presque orpheline, son père étant pour elle d'une extrême dureté.

      Je sentis s'éveiller en moi un monde de sensations nouvelles; je compris le bonheur de se dévouer à une personne qu'on aime, de la protéger, de la défendre; je sus presque gré à Ursule d'être pauvre, puisque j'étais riche; d'être presque abandonnée, puisque mon cœur était tout prêt à aller au-devant du sien, et à lui offrir les affections qui lui manquaient.

      Dès que j'eus une amie à aimer, je crus n'être plus un enfant, je me sentis grande, comme disent les petites filles, je devins très-sérieuse, très-réfléchie; j'eus honte de ma coquetterie passée; je dis à Ursule en lui montrant toutes mes belles robes avec un superbe dédain: C'était bon quand j'étais seule.

      Ma cousine portait le deuil; je voulus être vêtue de noir.

      Toute la nuit je roulai mon projet dans ma tête. Le matin venu, j'entrai résolument chez mademoiselle de Maran.

      – Ma tante, je voudrais être habillée de noir comme Ursule, et autant de temps qu'elle le sera.

      – Mais vous êtes folle, ma chère petite; Ursule est en deuil, et vous n'avez aucune raison pour porter le deuil, – me dit ma tante avec étonnement.

      – Mais le deuil de ma mère? – répondis-je en baissant tristement les yeux.

      Ma tante éclata de rire, et s'écria:

      – Est-elle donc divertissante avec ses imaginations funèbres! Mais vous l'avez porté il y a sept ans, le deuil de votre mère; c'est bien assez comme ça.

      – Je l'ai porté sans savoir que je le portais, ma tante, dis-je en sentant les larmes me venir aux yeux. L'éclat de rire de ma tante m'avait douloureusement blessée.

      – Ah! mon Dieu! que cette petite a donc de drôles d'idées, – reprit mademoiselle de Maran en riant de nouveau et en me prenant le menton. – Allons… allons.. follette, on vous passera ce beau caprice-là; c'est-à-dire que vous serez vêtue en noir, mais non pas en noir de deuil, s'il vous plaît; ce serait par trop ridicule… Mais vous aurez de belles robes de moire et de soie, pendant que cette pauvre Ursule n'aura que des robes de laine… ce qui la fera bien enrager.

      – Je voudrais n'être jamais mise autrement que ma cousine, ma tante.

      – Comment! c'en est déjà à ce point-là? s'écria mademoiselle de Maran en attachant sur moi ses yeux perçants. – Mais c'est encore bien mieux que je ne le pensais. Allons… allons… rassurez-vous, une fois le deuil fini, vous serez toujours mises comme les deux sœurs; vous êtes assez riche pour faire de temps en temps cadeau d'une belle robe a votre cousine, qui n'a pas le sou.

      – Ma tante, vous ne me comprenez pas – m'écriai-je avec impatience; – puisque Ursule est pauvre, je voudrais être mise comme elle et non pas qu'elle fût mise comme moi.

      Mademoiselle de Maran me regarda encore

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