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front, et pourquoi l'autre le baisse modestement.

      La comparaison de M. de Versac, la méchante remarque de mademoiselle de Maran, et peut-être la vue d'Ursule, que je n'avais jamais vue si jolie, m'inspirèrent, pour la première fois de ma vie, une pensée de jalousie, qui se changea bientôt en dépit contre moi-même.

      Ne doutant pas de ce que disait ma tante, je me crus l'air orgueilleusement satisfait que donne la richesse, et j'enviai l'intéressante modestie d'Ursule, qui jetait sur ses traits un charme si touchant.

      Sans doute, cette pensée mauvaise dura peu; sans doute, j'eus honte de moi-même, en songeant que j'avais assez peu de générosité pour jalouser à ma cousine, à mon amie la plus tendre, jusqu'à l'intérêt qu'inspirait sa pauvreté; sans doute, enfin, sans la maligne observation de ma tante, je n'eusse jamais ressenti ce mouvement d'envie, peut-être excusable, puisque riche j'enviais d'être pauvre. Néanmoins, cette impression me laissa un ressentiment amer.

      Au moment de partir, M. de Versac dit à mademoiselle de Maran:

      – Voyez un peu quel oubli! Gontran est arrivé d'Angleterre ce matin, et je ne vous en ai rien dit.

      – Votre neveu!.. eh bien! ce sera un danseur tout trouvé pour ces jeunes filles.

      Je regardai Ursule avec étonnement; jamais M. de Versac ni mademoiselle de Maran n'avaient prononcé devant nous le nom de ce neveu. Nous allions monter en voiture, lorsqu'un des amis les plus intimes de ma tante vint lui demander quelques moments d'entretien au sujet d'une affaire très-importante. Mademoiselle de Maran passa dans sa bibliothèque; M. de Versac prit le journal du soir.

      Sous le prétexte d'arranger une épingle de coiffure, j'emmenai Ursule dans la chambre de mademoiselle de Maran; là, lui sautant au cou, je lui avouai franchement mon mouvement de jalousie, et les larmes aux yeux je lui en demandai pardon.

      Ursule fut aussi touchée jusqu'aux larmes de ma franchise; elle me rassura par les plus tendres protestations.

      Je rentrai dans le salon le cœur calme et content, me promettant bien, ainsi que je l'avais dit à Ursule, de tâcher de ne pas avoir l'air d'une héritière.

      Nous partîmes pour l'ambassade.

      CHAPITRE VIII.

      LA PRÉSENTATION

      En entrant dans le premier salon de l'ambassade, accompagnée de M. de Versac, je sentis ma résolution m'abandonner. Il fallut l'accueil plein de grâce et de bonté de madame l'ambassadrice d'Autriche pour m'encourager un peu.

      Mademoiselle de Maran donnait le bras à Ursule.

      Plus que jamais je pus apprécier quelle était l'influence de ma tante, et combien on la redoutait. La femme la plus agréable, la plus à la mode, n'aurait pas été plus entourée, plus courtisée à son entrée dans le bal, que ne le fut mademoiselle de Maran; elle recevait ces respectueuses prévenances, ces hommages empressés, avec un très-grand air et une affabilité protectrice presque dédaigneuse.

      Nous allâmes du côté de la galerie où l'on dansait. M. de Versac, à qui je donnais le bras, me nomma différentes personnes qui méritaient d'être distinguées.

      Nous nous arrêtâmes un moment auprès d'une des portes de la galerie. J'entendis là les paroles suivantes, échangées entre deux personnes que je ne pouvais voir.

      – Eh bien! vous savez… Lancry est arrivé d'Angleterre… Je viens de le voir… Il est plus brillant que jamais…

      – Vraiment! il est de retour?.. – reprit l'autre personne. – La duchesse de Richeville doit être bien joyeuse, car elle avait été plus que triste de son départ… Pauvre femme!..

      A un mouvement assez brusque de M. de Versac pour nous frayer un passage dans la foule, je compris qu'il voulait distraire mon attention de cet entretien, qu'il n'était pas convenable que j'entendisse, et dont M. Gontran de Lancry, son neveu, était le héros.

      Je n'attachai alors aucune importance à cet incident, et je suivis M. de Versac. Avant d'arriver au bal, il me semblait que tout devait m'embarrasser: mon maintien, ma démarche, mon regard; mais ma première émotion passée, une fois au milieu de cette société à laquelle j'appartenais, je me sentis non pas rassurée, mais, pour ainsi dire, placée au milieu des miens.

      L'on n'est presque jamais gêné ou intimidé que lorsqu'on aborde une sphère au-dessus de celle à laquelle on appartient. Je recouvrai bientôt toute ma liberté d'observation.

      En entrant dans la galerie où l'on dansait, je fus presque éblouie de l'éclat, de la magnificence des toilettes. Madame de Mirecourt, amie de ma tante, et qui chaperonnait une jeune femme récemment mariée, offrit de nous ménager une place auprès d'elle. Mademoiselle de Maran accepta; Ursule et moi nous nous assîmes entre madame de Mirecourt et ma tante.

      M. de Versac nous quitta pour aller chercher son neveu, qu'il voulait nous présenter.

      – Eh bien! – dis-je tout bas à ma cousine, – ce n'est pas si effrayant, après tout; es-tu un peu rassurée?

      – Non, – me dit Ursule, – je ne puis vaincre mon émotion; je tremble; c'est à peine si je vois ce qui se passe autour de moi.

      – Moi, je vois fort bien, – lui dis-je gaiement; et, pour lui donner un peu de courage, j'ajoutai: – J'avoue que je trouve ce coup d'œil charmant. Quel dommage que tu ne puisses pas en jouir! Décidément, c'est une bien jolie chose qu'un bal.

      Comme je disais ces mots avec une joie naïve, ma tante, à côté de qui j'étais aussi, se prit à rire aux éclats.

      Plusieurs personnes qui étaient debout devant nous, pendant le repos d'une valse, se retournèrent. Madame de Mirecourt, qui se trouvait de l'autre côté d'Ursule, se pencha et dit à ma tante:

      – Qu'avez-vous donc à rire ainsi?

      – Est-ce qu'on peut y tenir, avec une petite moqueuse comme elle? – dit mademoiselle de Maran en me montrant à son amie. – Si vous entendiez combien ses remarques sont drôles, malignes… c'est à en mourir… Prenez bien garde à vous, car elle emporte la pièce d'abord! – Puis, se retournant vers moi, ma tante ajouta à demi-voix, d'un ton affectueusement grondeur: – Voulez-vous bien ne pas avoir autant d'esprit que ça, mademoiselle! on dira que c'est moi qui vous ai rendue si méchante.

      Tout ceci fut dit à voix basse, mais de façon à être entendu des personnes qui nous entouraient.

      Je regardai ma tante avec un profond étonnement. Ursule, se penchant à mon oreille, me demanda ce que j'avais dit de si plaisant à mademoiselle de Maran, et de quel ridicule je m'étais choquée.

      – Mais d'aucun, – lui répondis-je. – Je ne comprends pas un mot à ce qu'elle vient de me dire.

      Voici le mot de cette énigme. Ma tante voulait commencer à me faire cette réputation de méchanceté. Grâce à ses perfides paroles, plusieurs personnes placées devant nous (l'une d'elles, la bonne et charmante lady Fitz-Allan, me l'a répété plus tard) crurent être l'objet de mes moqueries.

      J'entrais pour la première fois dans le monde; pour plusieurs raisons je devais être assez remarquée. L'exclamation de ma tante sur mes observations malicieuses devait donc se répandre, et se répandit à l'instant.

      Il n'est pas, pour une femme, de plus funeste réputation que celle d'être même spirituellement moqueuse… Les sots la redoutent et la calomnient; les gens d'esprit la jalousent; les caractères bienveillants et généreux s'en éloignent. Aussi une demi-heure ne s'était pas écoulée depuis mon arrivée au bal, que j'avais déjà des ennemis.

      Lady Fitz-Allan m'a dit depuis que ma méchanceté fut un moment la nouvelle du bal. On s'entretint de l'ironie mordante de mademoiselle Mathilde de Maran. (On m'appela ainsi pour me distinguer de ma tante.)

      Personne n'avait entendu mes sarcasmes, il est vrai; mais, ainsi que cela arrive toujours, tout le monde en parlait.

      Ma tante voulut compléter son œuvre; quelques minutes après, au milieu d'un nouveau

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