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Mathilde. Эжен Сю
Читать онлайн.Название Mathilde
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Эжен Сю
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
J'étais tour à tour humble et orgueilleuse à l'excès, parce que, dans ma jeunesse, on m'avait tour à tour flattée jusqu'au ridicule, ou déprisée jusqu'à l'insulte; j'étais pieuse par conviction et par nature; j'éprouvais le besoin impérieux de remercier Dieu de tout ce qui m'arrivait d'heureux. D'abord je poussai ce sentiment, louable pourtant, jusqu'à une puérilité blâmable, plus tard jusqu'à une gratitude impie. J'étais généreuse autant que je pouvais l'être; mais j'avoue à ma honte que je ne me sentais jamais plus impitoyable envers les malheureux que lorsque je souffrais moi-même; j'allais alors avec empressement au-devant des douleurs d'autrui, pour tâcher de les consoler. Le bonheur, sans me rendre égoïste, m'absorbait entièrement; il fallait provoquer ma pitié pour me faire compatir à l'affection. Tendres ou cruels, mes ressentiments étaient plus durables que violents: je pardonnais un tort, une offense, mais je ne l'oubliais pas; non que je cherchasse jamais à nuire à qui m'avait blessée, mais je me vengeais pour moi par un mépris contenu. Vous le voyez, mon ami, il n'y avait rien de marqué, rien de bien tranché dans mon caractère.
Eh bien! du jour où je vis M. de Lancry pour la première fois, une passion que j'avais jusqu'alors complétement ignorée commença de poindre en moi: d'abord imperceptible, presque insaisissable, puisqu'elle se manifestait par une vague contrariété de voir un homme que je connaissais à peine valser avec une femme que je ne connaissais pas.
Hélas! je n'ai pas besoin de le dire, cette passion, qui devait un jour déchaîner toutes les autres, devenir presque le mobile de mon caractère, cette passion était la jalousie, la jalousie tantôt contrainte, cachée, niée par orgueil, tantôt avouée, éplorée, humble et suppliante jusqu'à la bassesse....
…Habituée dès mon enfance à beaucoup réfléchir et à me plier sur moi-même, ayant une imagination assez vive, un esprit assez pénétrant, je ne fus pas longtemps à résoudre cette question que ma cousine m'avait posée:
Pourquoi m'a-t-il été plus désagréable de voir M. de Lancry danser avec madame de Richeville qu'avec toute autre?
Pourtant, je le répète, en trouvant M. de Lancry très-agréable, je ne ressentais rien qui me parût ressembler à l'amour, à ces premières émotions qu'on rêve toujours si sereines et si douces.
Et puis d'ailleurs, je pensais qu'il me fallait peut-être lutter de toutes mes forces contre ce sentiment, s'il naissait en moi; il pouvait me rendre la plus malheureuse des femmes; car M. de Lancry ne le partagerait peut-être pas, ou, s'il le partageait, ses vues devaient peut-être déplaire à sa famille ou à la mienne.
Au milieu de ces préoccupations si graves pour une pauvre tête de dix-sept ans, je regrettais surtout la présence de mon seul ami, de M. de Mortagne, en qui j'avais une confiance instinctive. Malheureusement, les dernières paroles de mademoiselle de Maran firent évanouir les espérances que madame de Richeville avait éveillées en moi en m'annonçant le prochain retour de mon ancien protecteur.
Abandonnée au cours de ces réflexions, bien résolue à épier les moindres mouvements de mon cœur, j'attendis avec une sorte d'anxiété cette soirée, pendant laquelle je reverrais sans doute M. de Lancry pour la seconde fois.
Nous arrivâmes assez tard à l'Opéra; la salle était complétement et brillamment remplie. Madame la duchesse de Berry assistait à cette représentation.
On donnait le Siége de Corinthe.
En entrant dans notre loge, la première personne que je vis, presque en face de nous, fut madame la duchesse de Richeville; madame de Mirecourt, une des amies de ma tante, et M. de Mirecourt, l'accompagnaient. Un autre homme que je ne connaissais pas était aussi dans la loge de madame de Richeville. Sa figure basanée et assez austère, quoique très-jeune, me frappa.
On ne pouvait rien voir de plus élégant, de plus joli que madame de Richeville. Son turban de gaze blanche lamée d'argent allait merveilleusement à son teint un peu brun et à ses cheveux noirs comme du jais; elle portait une robe de velours cerise à manches courtes, et malgré ses gants longs on pouvait juger de la perfection de ses bras… Elle tenait à sa main un énorme bouquet de roses blanches, l'une des plus grandes raretés qu'on puisse, dit-on, se procurer en hiver.
Je fis tout au monde pour être au moins indifférente à sa beauté; je ne pus m'empêcher d'être attristée: l'air mélancolique de la valse de Weber, qu'elle avait valsée avec M. de Lancry, vint, pour ainsi dire, accompagner ces tristes pensées.
Madame de Mirecourt se pencha vers madame de Richeville, qui avait la vue très-basse, pour lui faire, sans doute, remarquer notre arrivée.
La duchesse prit vivement sa lorgnette, et me regarda avec beaucoup d'attention, mais non plus avec l'affectation hautaine et malveillante qui m'avait frappée la veille.
On leva la toile. J'aimais tant la musique, l'Opéra me semblait si beau, que j'écoutai, que je regardai tout avec une avidité de pensionnaire.
Pendant l'entr'acte, je vis M. de Lancry se présenter dans la loge de madame la duchesse de Berry, loge que la princesse n'avait pas quittée pour entrer dans son salon.
Madame parut accueillir M. de Lancry avec beaucoup de bienveillance, causa assez longtemps avec lui, et au moment où il allait, sans doute, se retirer par discrétion, madame daigna le retenir quelques moments encore.
Lorsqu'il quitta la loge royale, j'étais curieuse de savoir s'il viendrait nous faire visite, avant que d'aller saluer la duchesse de Richeville.
Pendant quelques minutes, cette curiosité fut pour moi presque de l'angoisse; mon cœur battit bien fort lorsque j'entendis ouvrir la porte de notre loge; je ne doutai pas que ce ne fût M. de Lancry.
C'était lui.
Je me sentais troublée, je n'osais pas retourner la tête. Il souhaita le bonsoir à mademoiselle de Maran et à Ursule.
Ma tante me toucha légèrement le bras, et me dit: – Mathilde! M. de Lancry.
Je me retournai et je m'inclinai en rougissant.
Peu à peu je sentis mon embarras diminuer, et je pris part à la conversation.
M. de Lancry fut très-aimable, très-spirituel. Il connaissait tout Paris, et tout Paris assistait à cette représentation. Je me souviens parfaitement de cet entretien, car M. de Lancry m'y apparut sous un jour tout nouveau, et tout à fait à son avantage.
– Voyons, Gontran, – lui dit mademoiselle de Maran, – vous qui allez partout, mettez-moi donc un peu au fait de tout ce beau monde-là, que je ne connais pas; j'y suis aussi étrangère que ces jeunes filles. Voilà plus de quinze ans que je n'ai mis le pied à l'Opéra. Il doit y avoir ici toute la fleur des pois de la banque? Vous devez connaître ça de nom ou de vue. C'est riche à faire peur aux honnêtes gens; ça a toujours une loge à l'Opéra, tandis que nous autres, nous profitons modestement des loges de la cour, qui sont les meilleures, Dieu merci.
– Je serais très-embarrassé, madame, – dit M. de Lancry; – car, pendant quatre mois que je suis resté en Angleterre, bien des loges de la Banque, comme vous dites, ont changé de maître. Je ne reconnais presque plus personne; la Bourse a tant de caprices, elle fait et défait tant de brusques fortunes!
– Il ne nous manquerait plus que de voir ces gens-là riches à perpétuité! ça serait d'un joli exemple pour les autres malfaiteurs, – dit mademoiselle de Maran. – Mais quelle est donc cette petite femme, aux secondes, en béret rose? Elle est jolie, n'est-ce pas?
– Très-jolie, – dit M. de Lancry. – Elle et son mari sont les héros d'une histoire bien simple et bien touchante, – ajouta-t-il avec un accent de mélancolie qui m'étonna et qui donnait beaucoup de charme à sa physionomie.
– Ah! mon Dieu! racontez-nous donc cela, Gontran! Comment s'appelle-t-elle, cette belle héroïne?
– Le nom de mes héros est très-insignifiant… ils s'appellent M. et madame Duval, – dit M. de Lancry en souriant.
– Duval! mais