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pas cette écriture; voyez si la Providence ne m'est pas venue en aide! Un de mes amis qui habite la province, et qui arrive bientôt à Paris… M. Éloi Sécherin… me prie de lui chercher un domestique de bonne maison.

      – Le mari d'Ursule? – m'écriai-je.

      – Madame connaît M. Sécherin? – me dit M. Duval d'un air étonné.

      – Pour l'amour du ciel! continuez, mon cher monsieur, – dit mademoiselle de Maran.

      – Hier donc, dit M. Duval, – un domestique se présente chez moi. Je lui demande ses certificats, il m'en montre plusieurs; le dernier lui avait été donné par M. le marquis de Rochegune; en l'ouvrant, l'écriture me frappe, je cours chercher ma lettre; plus de doute! monsieur, l'écriture était semblable, absolument semblable, impossible de s'y tromper. Dire ma joie, mon émotion, serait impossible. Je demandai au domestique quelques renseignements sur son maître. – Ah! monsieur, – me dit-il, – il n'y en a pas de meilleur, de plus charitable, tout le portrait de son père, qui a fait tant de bien… – Et pourquoi quittez-vous son service? – lui demandai-je. – Hélas! monsieur, M. le marquis va partir pour un long voyage, il ne garde que deux anciens serviteurs qui l'accompagnent. Je ne pouvais plus conserver le moindre doute. Je dis tout à ma femme. Je pars hier et j'arrive ici. M. de Rochegune était sorti, je reviens dans la soirée, il n'était pas encore rentré. Enfin, ce matin, après avoir encore en vain tenté de le voir, et craignant qu'il ne partît, je suis monté ici malgré le portier, et j'ai pu presser les mains de mon bienfaiteur. Oh! d'abord il a voulu nier, mais il sait trop mal mentir pour cela…

      – Monsieur, – dit M. de Rochegune avec un embarras croissant…

      – Oui, monsieur, – s'écria M. Duval, – vous ne savez pas mentir… je vous dis que vous mentez d'une manière pitoyable! et lorsque je vous ai proposé, pour vous confondre, de m'écrire absolument la même lettre que celle que j'avais reçue avec les cent mille francs, vous n'avez pas osé, monsieur, vous n'avez pas osé! répondez à cela… Voilà, madame, ce que monsieur a fait pour moi. Voilà ce que je suis glorieux d'accepter, non comme don, mais comme prêt; car je compte sur mon travail pour m'acquitter… Voilà la bonne et généreuse action que je raconterai partout; mais je n'en suis pas moins heureux d'avoir pu une bonne fois convaincre monsieur de son bienfait devant témoins; maintenant il n'osera plus le nier peut-être!

      – Si, monsieur… je le nierai, – dit M. de Rochegune, – car il m'importe que le véritable bienfaiteur soit connu. Quelque douce que me soit votre reconnaissance, je ne puis l'accepter; je n'ai fait, en agissant ainsi, qu'obéir aux derniers vœux de mon père, – dit M. de Rochegune d'un ton triste et pénétré.

      – Votre père, monsieur? – s'écria M. Duval.

      – Oui, monsieur! – encore une fois, – je n'ai fait qu'exécuter ses dernières volontés.

      – Mais je n'avais pas l'honneur d'être connu de lui, monsieur. Mais vous l'avez perdu bien avant l'époque où vous êtes si généreusement venu à mon secours.

      – Quelques mots vous expliqueront, monsieur, ce que je viens de vous dire. Mon père avait, dans sa jeunesse, placé une faible somme dans une de ces sociétés fondées au profit du dernier survivant. Il avait complétement oublié ce placement. Peu de temps avant sa mort, il reçut environ trois cent mille francs provenant de cette source. Un scrupule, dont j'apprécie toute la délicatesse, l'empêcha de profiter d'une somme due à la mort successive de plusieurs personnes. Cette somme fut, par lui, destinée à de bonnes œuvres. Pendant sa vie, il en employa une partie. Lorsque je le perdis, il me recommanda d'user du reste de cet argent dans le même but. J'ai appris, monsieur, avec quelle pieuse énergie vous aviez, pendant deux années, lutté contre le sort. J'ai appris combien votre conduite envers votre mère avait été admirable: je n'ai donc fait, monsieur, vous le voyez bien, qu'obéir aux ordres de mon père. J'avais cru que ceci demeurerait secret, comme tant d'autres généreuses actions de mon père. Le hasard a voulu qu'il n'en fût pas ainsi, monsieur. – Je vous avoue que maintenant j'en ai moins de regret, puisque je connais personnellement celui dont le courageux dévouement m'avait si vivement frappé; – et M. de Rochegune tendit cordialement la main à M. Duval.

      J'étais délicieusement émue; je me rappelais avec quelle grâce touchante M. de Lancry m'avait raconté à l'Opéra l'histoire de M. Duval; aussi le souvenir de Gontran se mêlait d'une manière charmante à toutes les grandes et généreuses pensées que cette scène soulevait en moi. Je regardai Gontran avec émotion. Il me sembla partager l'admiration que m'inspiraient le bienfaiteur et l'obligé.

      Mademoiselle de Maran avait plusieurs fois souri d'un air ironique. Je reconnus sa méchanceté habituelle au portrait qu'elle avait fait du père de M. de Rochegune, l'un des hommes les plus remarquables, les plus justement vénérés de son temps, et qui s'était illustré par une foule d'actes d'une philanthropie éclairée, et par de beaux et grands travaux d'intelligence.

      – Monsieur, – dit Gontran à M. de Rochegune avec une amabilité parfaite, je suis bien heureux du hasard qui m'a mis à même de reconnaître ce que je savais déjà par le bruit du monde, c'est que dans certaines familles privilégiées, et la vôtre est de ce nombre, monsieur, les plus nobles qualités sont héréditaires. – Puis, s'adressant à M. Duval, il ajouta: – Il y a deux mois, monsieur, qu'à l'Opéra j'avais l'honneur de raconter à ces dames votre belle conduite avec l'enthousiasme qu'elle m'inspirait; je n'espérais pas être un jour assez heureux pour vous témoigner à vous-même, monsieur, l'admiration que vous méritez.

      – C'était au Siége de Corinthe, n'est-ce pas, monsieur? – dit naïvement M. Duval. – Un jour où madame la duchesse de Berry assistait au spectacle… c'est bien cela. C'était la première fois que ma femme et moi nous allions au spectacle depuis deux ans; nous nous en étions fait une vraie fête.

      – Nous avons même remarqué, monsieur, le béret de madame Duval, qui lui allait à merveille, – dit mademoiselle de Maran; – elle était jolie comme un ange et n'avait pas du tout l'air, je vous l'assure, d'être réduite à travailler pour vivre.

      – Peut-être trouvez-vous, madame, que ma femme était mise avec trop d'élégance pour notre position? dit M. Duval avec une fierté douloureuse.

      – C'est qu'alors, madame, je croyais que cet argent était une restitution. Depuis que je sais que c'est un prêt, je me refuserai tout superflu, croyez-le bien.

      Gontran, désolé comme moi de la méchante remarque de mademoiselle de Maran, dit à M. de Rochegune pour détourner sans doute la conversation:

      – Mais j'ai eu aussi le plaisir de vous voir à cette représentation, monsieur de Rochegune, et j'étais bien loin de me douter que vous fussiez le bienfaiteur mystérieux dont j'entretenais ces dames.

      – Oui, je crois en effet que ce jour… j'étais à l'Opéra avec madame la duchesse de Richeville, – reprit M. de Rochegune d'un air embarrassé.

      Je levai par hasard les yeux sur lui; je rencontrai son regard, qu'il détourna aussitôt en rougissant.

      – Monsieur, – dit mademoiselle de Maran à M. de Rochegune en prenant un air de bonhomie qui me présagea quelque perfidie, – rien de ce que nous voyons ou de ce que nous entendons là ne peut nous étonner; monsieur votre père avait habitué tout le monde à l'admiration de ses bonnes œuvres.

      – Madame… – dit M. de Rochegune en s'inclinant avec une sorte d'impatience pénible, soit qu'il n'aimât pas mademoiselle de Maran, soit que sa modestie souffrît de la prolongation de cette scène.

      – Pardonnez-moi, monsieur, c'était un homme admirable, – reprit mademoiselle de Maran. – Je disais encore tout à l'heure à ma nièce que rien n'est plus touchant que ses visites dans les prisons… que la bonté avec laquelle il traitait les pauvres de son hospice; c'était comme une manière de saint Vincent de Paul ou quelque chose d'approchant.

      – C'était simplement un homme de bien. Il n'a jamais prétendu autre chose,

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