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et dont on entend les gémissements du milieu de la chaussée.

      André, d'après ce que savait Paul, qui ne lui connaissait même pas d'autre nom et qui jamais n'avait été chez lui, André était artiste et avait plusieurs cordes à son arc.

      D'abord, il était sculpteur ornemaniste, c'est-à-dire qu'il exécutait, à la journée ou à la tache, ces motifs si souvent ridicules dont les propriétaires ont bien le droit d'orner leurs bâtisses, mais qu'ils ont le tort de faire payer à leurs locataires.

      C'est un métier assez pénible que celui de sculpteur-ornemaniste.

      Le plus souvent, il faut travailler à des hauteurs vertigineuses, sur des échafaudages que fait osciller le plus léger mouvement; il faut se confier à des planches étroites ou se risquer au sommet d'échelles branlantes. De plus, à de rares exceptions, on est exposé à toutes les intempéries, gelé en hiver, grillé en été, sans autre abri contre la pluie qu'une toile déchirée. Il est vrai que si l'état est dur, il est lucratif.

      Donc, André devait vivre assez bien de ses figures et de ses guirlandes.

      Seulement, pendant bien des années, ce qui lui était venu par le maillet et le ciseau s'en était allé par les pinceaux et par les couleurs.

      Car il était peintre aussi, mais alors pour son plaisir, pour la satisfaction de son ambition, pour obéir à une vocation irrésistible.

      Il avait beaucoup étudié, beaucoup travaillé chez plusieurs maîtres, puis enfin, un beau jour, se sentant assez fort pour marcher seul, il avait pris un atelier.

      De ce moment la peinture ne lui coûta plus rien. Deux fois déjà il avait exposé et les marchands commençaient à apprendre le chemin de sa maison.

      On tenait André en haute estime à l'Épinette. On disait qu'il avait un talent très réel, une originalité saisissante et que certainement il arriverait, étant, de plus, un forcené «bûcheur.»

      Paul ne s'était pas trouvé vingt fois à la même table que lui, lorsqu'un soir, comme ils se retiraient ensemble, pressé par la misère, il lui avait emprunté vingt francs, promettant de les lui rendre le lendemain.

      Mais le lendemain, Paul et Rose s'étaient trouvés plus pauvres que la veille, leurs affaires avaient été de mal en pis, puis ils avaient déménagé, ils étaient allés s'établir de l'autre côté de l'eau… Bref, il y avait huit mois que Paul n'avait revu André.

      Le fiacre, en ce moment, s'arrêtait rue de La Tour-d'Auvergne, devant le Nº…

      Paul sauta sur le trottoir, jeta deux francs au cocher et s'engagea dans l'allée très large et très bien tenue de la maison.

      Au fond de l'allée, une vieille femme grasse, fraîche, proprette, avec un bonnet à papillons, bien blanc, polissait les poignées de cuivre de la porte de la cour.

      Ce ne pouvait être que la concierge.

      – Monsieur André? demanda Paul.

      – Il est chez lui, monsieur, répondit la vieille femme avec une volubilité extraordinaire, et même, sans manquer à la discrétion qui distingue tout concierge qui se respecte, je puis dire que c'est un miracle. Toujours dehors, M. André! Ah! c'est que, voyez-vous, il n'a pas son pareil comme travailleur.

      – Mais, madame!..

      – Et rangé donc qu'il est, continuait la vieille femme, et économe! Je ne lui connais pas un son de dettes. Jamais je ne l'ai vu gris qu'une fois. Je dirais même: et pas de connaissance!.. n'était une jeune dame qui, depuis un mois… J'ai même eu assez de mal à la voir, rapport à son voile. Mais cela ne me regarde pas, n'est-il pas vrai? Moi, je la trouve très bien, elle a toujours une femme de chambre avec elle, et certainement quelque jour…

      – Morbleu! interrompit Paul impatienté, m'indiquerez-vous enfin l'atelier de M. André?

      Cette violente interruption sembla choquer affreusement la concierge.

      – Quatrième… porte à droite! répondit-elle d'un ton sec.

      Et pendant que Paul montait lestement elle grommelait:

      – Vilain mal élevé! couper la parole à une femme d'âge!.. Mais laisse faire, mon joli garçon, si jamais tu te représentes, je te reconnaîtrai, et tu ne trouveras pas souvent M. André chez lui.

      Paul était déjà au quatrième étage, – le dernier.

      Au milieu de la porte de droite, une carte de visite était clouée. Paul s'approcha et lut: André. Il ne risquait pas de se tromper.

      Comme il n'apercevait pas de sonnette, il frappa, prêtant ensuite l'oreille, comme on fait toujours, machinalement, en pareil cas.

      Aussitôt il entendit un piétinement, puis le bruit d'un meuble qu'on roulait, puis le grincement d'anneaux de cuivre glissant sur une tringle de fer.

      Enfin, une voix jeune et bien timbrée cria:

      – Entrez!

      Le protégé de B. Mascarot ouvrit et entra.

      Il se trouvait dans un atelier éclairé d'en haut par un large vitrage, assez vaste, modeste, mais d'une propreté poussée jusqu'à la minutie.

      Des esquisses, des dessins, des tableaux inachevés garnissaient entièrement les murs. A droite se trouvait un divan très bas, recouvert d'un tapis tunisien. Au fond, au-dessus de la cheminée, était une glace à bordure de bois qu'un amateur eut incontinent marchandée. A gauche, se dressait un très grand chevalet à manivelle, mais un rideau de serge verte cachait le tableau qu'il supportait, et dont on n'apercevait que la bordure, une bordure d'un grand prix.

      Au milieu de l'atelier, sa palette dans le pouce, des pinceaux à la main, un jeune homme se tenait debout: André.

      C'était un grand garçon, admirablement campé, très brun, ayant les cheveux coupés courts, portant toute sa barbe, une barbe aristocratique, fine, soyeuse, bouclée, noire, avec des reflets bleuâtres.

      Comparé à Paul, André certainement était laid.

      Mais le jeune peintre avait ce qui manquait au protégé de B. Mascarot: une de ces physionomies qu'on n'oublie pas.

      Le voir, d'ailleurs, c'était le connaître. Son front large et fier, sa bouche du dessin le plus ferme, son sourire, ses yeux noirs pleins d'éclairs disaient du premier coup sa nature mâle et loyale, son intelligence, la bonté de son cœur et l'énergie de sa volonté.

      Détail singulier et qui frappa Paul tout d'abord, André, qui était en train de peindre, on le voyait à sa palette et à son pinceau, n'avait point un costume d'atelier.

      Il était vêtu non à la mode, mais avec une recherche extrême.

      A la vue de Paul, André déposa sa palette, et s'avança, la main largement tendue.

      – Eh!.. vous voici donc, s'écria-t-il, de sa bonne voix sympathique et loyale, qu'êtes-vous devenu, depuis qu'on ne vous voit plus?

      Cet accueil si amical ne laissa pas que de gêner un peu le protégé de B. Mascarot.

      – J'ai eu des déceptions, commença-t-il, mille soucis…

      – Et Rose? interrompit André, vous allez, j'espère, m'en donner les meilleures nouvelles. Est-elle toujours aussi jolie?

      – Toujours, répondit Paul d'un air pincé. Mais vous m'excuserez, reprit-il très vite, d'avoir disparu si longtemps. Je viens vous remercier et vous rendre ce que je vous dois.

      Le jeune peintre eut un geste insouciant.

      – Bast! fit-il, de nous deux vous seul pouviez vous souvenir de cette bagatelle. Pas de façons avec moi, n'est-ce pas? si cela vous gênait le moins du monde…

      Cette phrase sonna mal aux oreiller du vaniteux Paul. Il crut y démêler, sous une feinte générosité, l'intention de l'humilier.

      Jamais plus magnifique occasion d'attester sa supériorité ne s'était présentée.

      – Oh! dit-il de l'air le plus fat, cela ne me gêne

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