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mon âge, c'est joli.

      – C'est-à-dire que c'est superbe. Et que faites-vous, sans indiscrétion?

      Cette question était amenée par les circonstances mêmes. Cependant, comme Paul n'y pouvait répondre, ignorant quel emploi lui était destiné, elle le blessa autant qu'une insulte préméditée.

      – Je travaille, prononça-t-il en se redressant.

      Son air, en lançant ce mot, était si singulier, qu'André, qui était à mille lieues des sensations, parut tout surpris.

      – Il m'arrive rarement de rester à rien faire, dit-il.

      – Oui, mais moi je suis forcé de travailler plus qu'un autre, n'ayant personne qui s'inquiète de mon avenir, ni parent, ni protecteur.

      L'ingrat, il oubliait l'honorable B. Mascarot.

      Cependant, son ton emphatique sembla réjouir considérablement le peintre.

      – Parbleu! répondit-il, vous imaginez-vous que l'administration des hospices fournit des protecteurs à ses enfants-trouvés!

      Paul ouvrit de grands yeux.

      – Quoi! commença-t-il, vous seriez…

      – Précisément, et je n'en fais pas mystère, estimant qu'il y a là de quoi pleurer, peut-être, mais non de quoi rougir. Tous mes camarades, même ceux du chantier, le savent, et je m'étonne que vous l'ignoriez. Je suis tout simplement un enfant de l'hôpital de Vendôme, où même, entre parenthèse, j'ai dû laisser le renom d'un détestable garnement.

      – Vous?..

      – Moi-même, et franchement je n'ai pas le plus léger remords. Je m'explique. Jusqu'à douze ans, j'avais été le plus heureux des gamins, la sœur-professeur était enchantée de ma mémoire; le jour, je travaillais au grand jardin qui s'étend le long du Loir; le soir, je barbouillais d'immenses quantités de papier; je voulais être peintre. Hélas! rien n'est durable ici-bas! J'eus douze ans, et la supérieure eut l'idée de me placer en apprentissage chez un corroyeur.

      Paul s'était assis sur le divan, et tout en écoutant, il avait roulé une cigarette.

      Il allait l'allumer, quand André le retint en lui disant:

      – Vous me feriez vraiment plaisir en ne fumant pas.

      Sans trop se rendre compte du caprice, car le peintre fumait beaucoup d'ordinaire, Paul jeta son allumette.

      – J'obéis, fit-il, mais il me faut la fin de l'histoire.

      – Oh!.. volontiers, d'autant qu'elle est courte. Du premier coup, ce métier de corroyeur me déplut. Pour comble, dès le second jour, un ouvrier maladroit me renversa sur le bras un seau d'eau bouillante qui me brûla si cruellement que je faillis en mourir et que j'en porte encore les traces.

      Il relevait en même temps sa manche droite et montrait une large cicatrice qui, partant de la saignée, remontait vers l'épaule.

      – Dégoûté et échaudé, je conjurai la supérieure, une terrible femme à lunettes, de me faire apprendre un autre état. Prières vaines, elle avait juré que je serais corroyeur.

      – C'était dur.

      – Plus que vous ne croyez. Aussi, de ce jour mon parti fut pris. Décidé à fuir dès que j'aurais amassé une petite somme, je devins le plus soumis et le plus appliqué des apprentis. Au bout d'un an, grâce à des prodiges de travail et de dégoût vaincu, j'avais économisé sou à sou quarante francs. Je me dis que c'était assez, et par un beau matin d'avril, muni d'une chemise, d'une blouse et d'une paire de souliers de rechange, je prenais à pied la route de Paris.

      – Et vous n'aviez que treize ans!

      – Pas même. Seulement, j'ai reçu du ciel une assez forte dose de cette volonté raisonnée que les imbéciles appellent de l'entêtement. J'avais juré que je serais peintre…

      – Vous l'êtes.

      – Non sans peine, allez. Ah! je vois encore l'auberge où j'ai couché la première nuit de mon arrivée à Paris; elle était située tout en haut du faubourg Saint-Jacques. J'étais si las, que je dormis seize heures de suite. A mon réveil, je déjeunai d'abord fort bien; puis, ayant reconnu que mes fonds baissaient terriblement, je me dis: «Il s'agit, mon garçon, de trouver de l'ouvrage tout de suite.»

      Un sourire monta aux lèvres de Paul.

      Il se rappelait ses premières déconvenues, en arrivant à Paris, et lui, cependant, il n'avait pas treize ans, mais vingt-deux ans; il ne possédait pas quarante francs, il en apportait trois mille.

      – Vous espériez, interrogea-t-il, trouver des travaux à faire?

      – Non, répondit l'artiste, j'étais plus fort que cela. Je me disais que pour savoir une chose, il faut l'avoir apprise, et si je désirais si passionnément gagner de l'argent, c'était afin de pouvoir payer mes études.

      Il y avait cent raisons pour que Paul ne soufflât mot.

      – Heureusement, continua André, près de moi, pendant que je mangeais, un gros homme déjeunait:

      «Monsieur, lui dis-je, regardez-moi, j'ai treize ans, mais je suis fort comme si j'en avais seize, je sais lire et écrire, j'ai du courage, une bonne volonté sans pareille, que dois-je faire pour gagner ma vie?» Il me toisa une bonne minute, et d'une voix rude me répondit: «Va demain matin à la Grève, tu trouveras quelque maître maçon qui t'embauchera.»

      – Et vous y êtes allé?

      – Heureusement pour moi. Dès quatre heures, le lendemain, je me promenais autour de l'Hôtel-de-Ville. Je rôdais dans les groupes d'ouvriers depuis assez longtemps, quand, tout à coup, je reconnais mon gros homme de la veille. Lui aussi, m'aperçoit. Il vient droit à moi: «Garçon, me dit-il, décidément tu me plais. Je suis entrepreneur de sculptures, veux-tu être mon apprenti? tu aideras mes ouvriers ornemanistes, et ils l'enseigneront l'état?»… Apprendre la sculpture! Je crus voir les cieux s'entr'ouvrir. «Certes, je le veux,» répondis-je. Ce qui fut dit fut fait. Ce brave homme était Jean Lantier, le père de mon patron actuel.

      – Mais votre peinture?

      – Oh!.. la peinture n'est venue que plus tard. Il fallait commencer par me donner une certaine éducation. Tout en m'appliquant à mon apprentissage, je travaillais; je fréquentais les écoles du soir, je suivais des cours de dessin, j'achetais des livres, et le dimanche… je me payais un professeur pour moi tout seul.

      – Sur vos économies?

      – Mais oui. J'ai été bien des années avant d'oser m'offrir un verre de bière.

      – Six sous!.. Diable! c'était une somme. Enfin, le jour est arrivé où j'ai gagné quatre-vingts ou cent francs par semaine, comme les camarades, et c'est alors que je me suis mis à la peinture, mais les mauvais temps étaient passés…

      – Et vous n'avez jamais été tenté de retourner à Vendôme?

      – Si, mais je n'y retournerai que le jour où il me sera possible de constituer une rente de 500 francs pour un pauvre moutard abandonné comme je l'ai été.

      Si André, connaissant Paul, eut prit à tâche de le blesser et de faire saigner les plaies de sa vanité malade, il ne se fût pas exprimé autrement.

      Chacune de ses phrases était tombée sur le cœur du protégé de B. Mascarot, plus douloureuse qu'un soufflet sur la joue.

      Pourtant, Paul comprenait que la plus élémentaire politesse lui imposait une phrase flatteuse.

      Il se fit donc violence, et dit:

      – Quand on a votre talent on n'a besoin de personne.

      Aussitôt, comme s'il eût voulu chercher une confirmation de son opinion, il se leva et se mit à tourner autour de l'atelier.

      En apparence, il examinait les esquisses.

      En réalité, il était attiré par ce tableau à bordure si riche, placé en face de lui,

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