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qu'en ce moment.

      – C'est donc bien grave? demanda la comtesse, qui oublia d'être impertinente.

      – Peut-être. Si j'ai eu affaire à un fou, comme je l'espère encore… je n'aurai qu'à vous demander les plus humbles excuses. Si, au contraire, celui qui m'est venu trouver a son bon sens, si ce qu'il prétend savoir est vrai, s'il a entre les mains les irrécusables preuves qu'il affirme posséder…

      – Alors, docteur?..

      – En ce dernier cas, madame, je vous dirai: usez de mon dévouement, parce qu'il y a un homme qui, moralement, a sur vous droit de vie et de mort, un homme dont les volontés devront être les vôtres…

      La comtesse eut un grand éclat de rire, aussi faux qu'une larme d'héritier.

      – En vérité, docteur, dit-elle, votre mine funèbre et votre accent lugubre me feront mourir… de rire.

      Le docteur réfléchissait.

      – Elle rit trop fort, se disait-il; Baptistin ne m'a pas trompé. Soyons prudent.

      Puis, tout haut, il reprit:

      – Puissé-je aussi, moi, madame, rire bientôt de craintes chimériques. Mais quoiqu'il arrive, permettez-moi de vous rappeler ce que vous me disiez il n'y a qu'un instant: le médecin est un confesseur. Cela est vrai, madame. Comme le prêtre, le médecin sait oublier les secrets que sa mission lui révèle; il sait conseiller et consoler. Mieux que le prêtre, parce qu'il est mêlé plus directement aux intérêts et aux passions, il comprend et excuse les fatalités de la vie, les entraînements…

      – Docteur, interrompit la comtesse, vous oubliez de dire que, aussi bien que le prêtre, il prêche…

      Pour lancer ce sarcasme, elle était parvenue à donner à sa physionomie la plus comique expression de gravité.

      Mais elle n'arracha pas un sourire à Hortebize qui, de plus en plus, paraissait navré.

      – Tant mieux si je suis ridicule, dit-il, tant mieux si je n'avive pas quelque douloureuse blessure que vous aviez lieu de croire fermée…

      – Ne craignez rien, docteur.

      – Alors, madame, je commencerai par vous demander si vous avez gardé souvenir d'un jeune homme de votre monde, qui, vers les premières années de votre mariage, jouissait à Paris d'une grande réputation… Je veux parler du marquis Georges de Croisenois.

      Mme de Mussidan se renversa sur sa causeuse, les yeux fixés au plafond, le front plissé, comme si elle eût fait le plus énergique appel à sa mémoire.

      – Georges de Croisenois, murmurait-elle, il me semble… Attendez donc, docteur!.. Non, j'ai beau chercher… je ne vois pas.

      Le docteur crut de son devoir d'aider cette mémoire rebelle.

      – Le Croisenois dont je parle, insista-t-il, a un frère nommé Henri, que vous connaissez certainement, car je l'ai vu, cet hiver, chez le duc de Sairmeuse, danser avec Mlle Sabine.

      – C'est juste!.. Oui, docteur, vous avez raison, je me souviens maintenant…

      On eût parlé à la comtesse d'un indifférent qu'elle n'eût pas gardé un plus magnifique sang-froid.

      – Cela étant, reprit Hortebize, vous devez vous rappeler qu'il y a maintenant un peu plus de vingt-trois ans, Georges de Croisenois disparut tout à coup. Cette disparition fit un tapage affreux, ce fut presque un événement, le sujet d'une interpellation au ministère…

      – Oui, en effet.

      – La dernière fois qu'on aperçut Georges, ce fut au Café de Paris. Il y dînait en compagnie de quelques amis. Au coup de neuf heures, il se leva brusquement et s'apprêta à sortir. Un de ses intimes lui offrit de l'accompagner, il refusa. On lui demanda si on le reverrait dans la soirée, il répondit que oui peut-être, à l'Opéra, mais qu'il ne fallait pas compter sur lui. On supposa qu'il allait à quelque rendez-vous.

      – Ah! on supposa cela!

      – Oui, à cause de sa mise, qui était plus soignée que de coutume, bien qu'il fût tout à fait un élégant, un lion, comme on disait alors. Toujours est-il que Georges de Croisenois sortit seul, et qu'on ne l'a plus revu.

      – Plus jamais! fit la comtesse, un peu trop gaîment peut-être.

      Le docteur ne sourcilla pas.

      – Non, madame, répondit-il, jamais. Les deux ou trois premiers jours, cette disparition parut extraordinaire; au bout d'une semaine, elle inquiéta.

      – Oh! docteur, que de détails!..

      – C'est vrai, madame. Je les ai connus autrefois, je les avais oubliés, on me les a remis en mémoire ce matin. Ils se trouvent avec bien d'autres, dans les procès-verbaux d'enquête. Car il y eut une enquête, et des plus minutieuses. Les amis de M. de Croisenois avaient commencé des recherches; comme elles n'aboutissaient pas, ils s'adressèrent au préfet de police. Les plus habiles agents furent mis sur pied. La première idée fut celle d'un suicide. Georges pouvait fort bien être allé se tirer un coup de pistolet au fond de quelque bois. L'état de ses affaires aussi prospères que possible, sa grande fortune, son caractère gai, son constant bonheur, démontrèrent le peu de fondement de cette supposition. Alors, on songea à un crime, et les investigations furent dirigées en ce sens. Rien, on ne trouvait rien.

      La comtesse étouffa un bâillement d'une sincérité douteuse, et, comme un écho, dit:

      – Rien.

      – La police était aussi déconcertée que possible quand trois mois plus tard, un beau matin, un des amis de Georges reçut une lettre de lui.

      – Ah!.. il n'était donc pas mort.

      Le docteur nota l'air et l'accent de la comtesse pour les analyser à loisir.

      – Qui sait!.. répondit-il. Cette lettre était datée du Caire. Georges annonçait que, las de la ville de Paris, il allait essayer de pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique, et qu'on n'eût pas à s'inquiéter de lui. Cette lettre, vous le comprenez, parut suspecte. On ne s'embarque pas sans argent, et il a été prouvé que le marquis n'avait pas sur lui plus de mille francs, dont moitié en pièces d'or portugaises, gagnées au whist avant le dîner. On crut à une ruse de faussaire. Point. Les plus habiles experts déclarèrent reconnaître l'écriture de Croisenois. Vite, deux agents furent expédiés au Caire; mais, ni au Caire, ni le long de la route, personne n'avait vu celui qu'ils cherchaient. Depuis lors, pas un indice…

      Il parlait avec une lenteur savamment calculée, mais la comtesse était de bronze.

      – Quoi! fit-elle quand il s'interrompit, c'est déjà fini?

      Hortebize chercha du regard le regard de Mme de Mussidan, et c'est seulement quand il l'eut rencontré qu'il répondit:

      – Peut-être bien que non. Un homme, hier matin, est venu me trouver, qui prétend que vous savez, vous, madame, ce qu'est devenu le marquis Georges de Croisenois.

      L'homme le plus fort n'aura jamais l'énergie de résistance de la plus faible femme.

      Si solidement trempé qu'un homme soit, si endurci, si impudent qu'on le suppose, il laissera paraître quelque chose de ses intentions là où une femme jugée simple gardera le secret de ses tortures sous un visage riant.

      Sur le terrain de la dissimulation, une jeune fille battra toujours le diplomate le plus retors, réunît-il à lui seul l'astuce et le génie de Fouché et de Talleyrand.

      Quand, écrasé par l'évidence, l'homme tombe à genoux, la femme se redresse et lutte encore.

      Dieu dit à Caïn: «Qu'as-tu fait de ton frère Albel?» et Caïn est frappé de stupeur. Une femme, à sa place, eût ergoté, nié, cherché des raisons.

      Au seul nom de Montlouis, M. de Mussidan avait pâli et chancelé comme après un coup de massue.

      A l'accusation si formelle du docteur, la comtesse partit d'un grand éclat de rire, bien plein, bien sonore, qui, pendant près d'une minute,

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