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s'arrêta, comme confondue de ce qu'elle allait dire, et ajouta:

      – Maintenant, je ne suis plus qu'une étrangère pour M. de Mussidan. Et je ne puis me plaindre, je l'ai voulu… il est, lui, juste et bon.

      – On peut toujours essayer, gagner du temps…

      – J'essayerai, docteur. Mais, Sabine! qui nous dit que Sabine n'aime pas M. de Breulh?

      – Oh! madame, une mère a toujours une influence telle…

      D'un geste violent, la comtesse saisit la main du docteur, et la serrant à lui faire mal:

      – Faut-il donc, dit-elle d'une voix sourde, que je vous montre la profondeur de mes misères? Je suis une étrangère pour mon mari. Ma fille, c'est autre chose: elle me méprise et elle me hait…

      Beaucoup de gens pensent qu'il serait tout simple et très aisé de faire deux parts distinctes de la vie.

      On donnerait la première au plaisir, à l'assouvissement de toutes les fantaisies, puis plus tard, quand les tombées de cendre du temps ont amorti le feu des passions, on consacrerait la seconde au repos, aux joies pures de la famille.

      Il n'en peut être ainsi.

      Selon ce qu'a été la jeunesse, la vieillesse est la récompense ou l'expiation.

      Cela n'apparaît pas toujours clairement dans la vie. Il est tant de bonheurs mensongers!

      Mais tous ceux que leur mission conduit dans l'intérieur des familles, le magistrat, le médecin, le prêtre, savent que cela est.

      La comtesse de Mussidan expiait.

      Mais le docteur Hortebize n'avait pas le loisir de s'oublier en ces réflexions; le temps pressait; d'une minute à l'autre, le comte pouvait entrer, un domestique en tout cas allait paraître pour annoncer le dîner.

      Il renonça, quant au présent, à toute investigation, ne s'appliquant plus qu'à calmer le comtesse, à lui démontrer qu'elle s'épouvantait de chimères, qu'elle ne pouvait être une étrangère pour son mari, que sa fille ne pouvait la haïr.

      Même, il fut si insinuant, si persuasif, il étala si bien les grandes choses qu'on pouvait attendre de son dévouement qu'il fit pénétrer un rayon d'espérance dans l'âme désolée de la pauvre femme.

      – Ah! docteur, lui dit-elle d'une voie émue, c'est au jour du malheur seulement qu'on connaît ses véritables amis.

      De même que M. de Mussidan, la comtesse se sentait prise.

      Elle se rendait, après une bien plus longue résistance, mais, elle se rendait.

      Elle promit que dès le lendemain elle s'occuperait de rompre les engagements pris, et que, dès qu'elle trouverait une ouverture, elle mettrait en avant M. Henri de Croisenois.

      Que pouvait-on souhaiter de mieux?

      Le docteur en échange de ses promesses, jura qu'il saurait bien contenir Tantaine, le misérable, et le faire patienter. Il affirma aussi qu'il donnerait de fréquentes nouvelles…

      Il y avait bien deux heures qu'Hortebize était près de la comtesse, lorsqu'il put enfin se retirer.

      Il était brisé, on ne remporte pas impunément de pareils triomphes. Pour être associé de Mascarot, on n'en est pas moins homme.

      Bien qu'il fit très froid, l'air du dehors parut délicieux au docteur; il respirait à pleins poumons, ainsi qu'il arrive quand on vient d'accomplir une tâche difficile ou qu'on reconnaît s'être heureusement tiré d'un mauvais pas.

      Lentement il remonta la rue de Matignon, regagna le faubourg Saint-Honoré, et enfin entra dans le café ou il avait déjà attendu son associé, et où ils s'étaient donné rendez-vous une fois la bataille gagnée.

      L'honorable placeur était déjà arrivé.

      Assis dans un coin, devant une chope intacte, enfoui derrière un journal qu'il ne lisait pas, B. Mascarot se mourait d'impatience, tressaillant à chaque bruit de la porte.

      Mille appréhensions l'assaillaient. Comme Hortebize tardait! Avait-il donc rencontré quelque obstacle imprévu et insurmontable, cet imperceptible grain de sable qui disloque les plus solides combinaisons?

      Dès que le docteur parut:

      – Eh bien! demanda-t-il, non sans un chevrotement dans la voix.

      – Victoire!.. répondit Hortebize.

      Et il se laissa tomber sur un tabouret, en ajoutant:

      – Ouf!.. C'a été dur!

      VII

      Après avoir pris congé de B. Mascarot, désormais son protecteur, c'est du pas mal assuré d'un homme pris de boisson et en se tenant à la rampe, que Paul Violaine descendit le sale escalier de la maison de placement.

      Cette fortune subite, inattendue, qui lui arrivait comme une tuile sur la tête, l'avait absolument enivré, étourdi.

      En un moment, sans transition, d'une position si horrible qu'en traversant les ponts il regardait la Seine d'un œil enfiévré, il arrivait à une situation de douze mille francs par an…

      Car c'était bien là le chiffre fantastique, inouï, que le placeur avait fait miroiter à ses yeux.

      Il avait bien dit: Douze mille francs par an, mille francs par mois, et il avait offert d'avancer le premier mois.

      C'était à devenir fou, et Paul l'était presque.

      Ses idées étaient à ce point troublées, que hors le fait merveilleux il n'apercevait rien; qu'il ne cherchait aucunement à se rendre compte des incidents divers.

      Non, il trouvait toute naturelle cette succession d'événements bizarres: Ce vieux clerc d'huissier apparaissant à point pour lui prêter 500 francs; ce placeur qui connaissait aussi bien que lui sa vie entière, et qui là, tout à coup, sans marchander, lui proposait les appointements d'un chef de section du ministère.

      Cependant, une fois dans la rue, sous l'empire de sensations délirantes, Paul n'eut pas l'idée de courir à l'hôtel du Pérou pour y porter la grande nouvelle.

      Rose devait l'y attendre, il n'y songea pas, justifiant ainsi les pronostics du docteur Hortebize.

      Après cette première gorgée de prospérité, il était pris d'un irrésistible désir de mouvement. Il ressentait un impérieux besoin de dépenser, d'épandre son exaltation. Il lui semblait que sa joie serait doublée s'il pouvait raconter son bonheur, le dire, le clamer.

      Mais où aller par le temps qu'il faisait. Et il n'avait pas d'amis à désoler de son succès.

      En cherchant bien, pourtant, il se souvint qu'aux jours de ses premières misères à Paris, il avait emprunté quelqu'argent, oh!.. bien peu, vingt francs, à un jeune homme de son âge, nommé André, qui ne devait guère être plus riche que lui.

      Il lui restait plus de la moitié du billet du vieux clerc d'huissier, une quinzaine de louis environ qui frétillaient dans sa poche, il se sentait des billets de mille francs sur la planche, n'était-ce pas le cas de s'acquitter, en même temps qu'une occasion superbe d'afficher une immense supériorité?

      Le malheur est que ce jeune homme demeurait fort loin, tout en haut de la rue de La Tour-d'Auvergne.

      La distance effrayait un peu Paul, et il hésitait, quand une voiture vide vint à passer. Il y monta, jetant l'adresse au cocher, du ton d'un homme qui n'est pas habitué à aller à pied.

      Le fiacre se mit en marche, et Paul se prit à songer à ce généreux créancier chez lequel il se rendait. André n'était pas un ami; à peine était-ce un camarade.

      Paul avait fait sa connaissance dans un petit établissement du boulevard de Clichy, le café de l'Épinette, où il allait souvent avec Rose, lorsque, nouveau venu à Paris, il habitait Montmartre.

      Le café de l'Épinette n'est guère fréquenté que par des artistes: peintres, musiciens, comédiens, journalistes, tous grands hommes en herbe, qui

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