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Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Ce qu'on exige de vous, madame la comtesse, reprit-il, est, selon qu'on l'envisage, peu de chose ou une énormité!
– Parlez, je suis forte.
– Ces lettres fatales vous seront toutes rendues le jour où Mlle Sabine épousera le frère de Georges… le marquis Henri de Croisenois.
La stupeur de Mme de Mussidan fut telle qu'elle demeura immobile comme foudroyée.
– On m'a chargé de vous dire, poursuivit le docteur, qu'on vous accordera le délai que vous demanderez pour modifier les projets existants. Mais voici où éclate l'odieux: on vous prévient que si Mlle Sabine venait à épouser tout autre que M. de Croisenois, les lettres seraient portées à M. le comte de Mussidan, votre mari.
Tout en parlant, Hortebize, du coin de l'œil, surveillait l'effet produit.
Il dépassa ses prévisions.
La comtesse se leva, si défaillante, qu'elle fut contrainte de s'appuyer au marbre de la cheminée.
– Voici donc que tout est fini! prononça-t-elle. Ce qu'on me demande, il est hors de mon pouvoir de l'accorder. Cela vaut mieux. Ainsi, je n'aurai ni les angoisses, ni la lutte. Désormais mon sort est fixé. Allez, docteur, allez dire au misérable, qui a réussi à s'emparer de mes lettres, qu'il peut les porter au comte.
L'accent de la comtesse accusait une résolution si irrévocablement arrêtée, que Hortebize ne savait que penser.
– Il est donc vrai, poursuivit-elle, qu'il existe des scélérats lâches et vils autant que les plus odieux assassins, qui font commerce des hontes et des douleurs qu'ils surprennent, et qui en vivent! On me l'avait affirmé, je refusais de le croire. Ce sont là, me disais-je, des imaginations malsaines de faiseurs de romans à court d'inventions. Je me trompais. Pourtant qu'ils ne se hâtent pas de se réjouir, les infâmes qui pensent me tenir en leur pouvoir. Ils ne profiteront pas de leur ignominie. Il est un refuge où ils ne sauraient m'atteindre…
– Madame!.. suppliait le docteur, madame la comtesse…
Il suppliait en vain.
Elle était hors d'état de l'écouter ou même de l'entendre.
Elle continuait avec une violence croissante, s'exaltant au souvenir des souffrances endurées:
– Pensent-ils donc, les misérables, que je crains la mort? Ah! il y a des années que je demande comme une grâce, à Dieu qui me châtie, le calme, le néant de la tombe. Cela vous surprend, n'est-ce pas, de m'entendre parler ainsi, moi qui ai été la belle, l'adorée Diane de Sauvebourg, comtesse de Mussidan. Voilà comment le monde juge…
Au temps de mes plus belles fêtes, quand mon bonheur faisait envie, j'avais épuisé toutes les tortures d'ici-bas, et sué toutes les agonies de la passion. Et depuis…
Maintenant, mes meilleures amies, examinant et jugeant ma conduite, se demandent si je ne suis pas folle. Folle!.. Que ne la suis-je, en effet!
Ils ne se doutent pas, ceux qui s'étonnent de mes inquiétudes fiévreuses, de mes agitations, de mes jours emplis de tumulte; ils ne comprennent pas que je fuis le fantôme du passé qui me poursuit partout. Ils ne peuvent deviner que la solitude m'épouvante, que je me fuis moi-même, que je cherche l'oubli. Malheureuse!.. je devais pourtant le savoir, tout le fracas de l'univers n'étouffera jamais le murmure de la conscience.
Elle parlait en femme dont le sacrifice est fait, qui n'a plus rien à ménager ni à redouter.
Sa voix vibrante emplissait l'immense salon.
Et le docteur blêmissait, lui qui entendait à côté, dans le vestibule, les allées et les venues des valets que l'heure du repas mettait en mouvement.
– Comment ai-je pu vivre ainsi? disait la comtesse. C'est que toujours dans les brumes de l'avenir lointain, tremblote la chétive lueur de l'espérance. Et on va vers cette lumière décevante; on tombe, on se relève meurtri, mais on marche quand même…
Aujourd'hui, cependant, tout espoir s'évanouit. Je n'aperçois plus que ténèbres. Oh! non, la force ne me manquera pas pour anéantir l'implacable pensée. Cette nuit, pour la première fois depuis bien des années, Diane de Mussidan dormira d'un sommeil profond et sans rêves!..
La comtesse était à ce point hors d'elle-même, que le docteur se demandait avec effroi comment contenir cette explosion qu'il n'avait pas prévue.
Ces éclats de voix pouvaient appeler les domestiques, amener le comte en ce moment sous le couteau de B. Mascarot.
Alors, qu'arriverait-il? Le complot se découvrirait, tout serait perdu.
Voyant bien que Mme de Mussidan allait s'élancer dehors, que des paroles vaines ne l'arrêteraient pas, Hortebize osa lui saisir les poignets et presque de force la renversa sur la causeuse.
– Au nom du ciel, madame, lui disait-il de sa voix la plus onctueuse, au nom de votre fille, daignez m'écouter. Ne vous abandonnez pas ainsi. Serais-je ici, me serais-je résigné à ce rôle d'intermédiaire de misérables qui me font horreur, si je croyais tout perdu? Mon dévouement vous reste? c'est celui d'un homme de cœur et d'expérience. Ne pouvons-nous lutter ensemble, conjurer l'orage?
Le docteur parla longtemps, d'un air pénétré, faisant autant d'efforts maintenant pour rassurer la comtesse, qu'il en avait fait le moment d'avant pour lui bien démontrer l'immensité du danger.
Hortebize est médecin. Il sait, lorsqu'il s'est décidé à une opération indispensable, calmer les élancements de la blessure, et la guérir.
Au moins eût-il la satisfaction de constater promptement que ses peines n'étaient pas perdues.
Aux flots de cette éloquence émoliente, qui tombait comme une douche sur son désespoir, Mme de Mussidan se sentait prise d'engourdissement.
Elle était accablée de cette prostration qui suit les grandes crises, lorsque les nerfs, bandés à se briser, tout à coup se détendent et deviennent lâches.
Après un quart d'heure, grâce à des prodiges d'habileté, le docteur l'avait amenée à regarder la situation en face et à la discuter.
Alors seulement il respira et s'essuya le front.
Il savait que qui discute est vaincu.
Accepter la discussion, c'est tout au plus demander à son adversaire un appoint de bonnes raisons pour céder.
– C'est odieux, répétait la comtesse, c'est odieux!
– D'accord, madame. Cependant examinons le fait en lui-même. Avez-vous contre M. de Croisenois quelque motif personnel d'exclusion?
– Aucun.
– Il est de bonne maison, aimé et estimé, il est fort bien de sa personne, il a trente-quatre ans à peine, car il était de quinze ans au moins plus jeune que son frère… N'est-ce pas un parti sortable?
– Oui, mais…
– Il a fait des folies? Quel jeune homme n'en a pas fait? On le dit criblé de dettes, ruiné. C'est faux; mais, en ce cas, Mlle Sabine est assez riche pour deux. D'ailleurs, Georges de Croisenois a laissé une fortune considérable, deux millions, je crois; il est impossible que Henri n'obtienne pas, un jour où l'autre d'être envoyé en possession de l'héritage de son frère.
Mme de Mussidan était encore trop sous le coup d'une épouvantable émotion pour songer aux objections si fortes qu'elle eût pu présenter au docteur. C'est à peine si, en se faisant une violence inouïe, elle pouvait rassembler ses idées confuses.
– Je dirais oui, reprit-elle, que cela ne servirait de rien. M. de Mussidan a décidé que Sabine serait la femme de M. de Breulh-Faverlay. Je ne suis pas la maîtresse.
– Vous pouvez tout sur votre mari, et si vous le voulez bien…
La comtesse, à plusieurs reprises, secoua tristement la tête.
– Autrefois, dit-elle, c'est vrai, j'ai régné en souveraine sur le cœur et sur l'esprit d'Octave,