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Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Il n'y a que vous, vraiment, docteur, reprit-elle, pour savoir ainsi choisir les moments. Je me mourais d'ennui. Les livres m'excèdent. Tout ce que je lis, il me semble que je l'ai déjà lu quelque part. Pour arriver si à propos, il faut que vous ayez signé un pacte avec le hasard.
Le docteur avait bien signé un pacte, en effet; en se présentant il était sûr de trouver la comtesse, seulement son hasard se nommait B. Mascarot.
– Je reçois si peu, poursuivit Mme de Mussidan, qu'on ne daigne plus se déranger pour me venir visiter. Décidément je veux prendre une après-midi par semaine pour mes amis. Dès que je reste chez moi, ma solitude est affreuse. Or, voici deux mortels jours que je n'ai mis les pieds hors de l'hôtel. Je soigne M. de Mussidan.
L'assertion était assez hardie et assez singulière pour surprendre un homme bien informé.
Cependant le docteur ne sourcilla pas, et même la façon dont il dit: – «Ah! vraiment!..» valait une phrase de félicitations.
– Oui, continua la comtesse, M. de Mussidan a glissé dans l'escalier avant-hier et il s'est blessé. Notre médecin assure que ce ne sera rien, mais je n'ajoute guère foi à ce que les médecins disent.
– Je sais cela par expérience, madame la comtesse.
– Oh!.. vous, docteur, c'est autre chose. Je vous jure que j'ai eu très confiance en vous, autrefois. Vous quitter m'a fait beaucoup de peine. Seulement, après votre conversion subite à l'homœopathie, je le confesse, j'ai eu peur.
Hortebize eut un geste insouciant.
– Bast!.. fit-il, cette école vaut bien l'autre.
– Vous croyez?
– Comment, si je le crois? C'est-à-dire que je le parierais.
Mme de Mussidan daigna sourire.
– Puisqu'il en est ainsi, reprit-elle, j'ai bien envie de vous demander une petite consultation.
– Vous êtes indisposée, madame la comtesse?
– Moi!.. non pas, Dieu merci! Il ne manquerait plus que cela. Mais vous me voyez très inquiète de la santé de ma fille.
– Ah!..
Cette maternelle inquiétude était le pendant du dévouement conjugal de tout à l'heure, aussi le «ah!» du docteur valut son «vraiment.»
– C'est ainsi, docteur. Il est bon que vous sachiez que depuis plus d'un mois j'ai à peine vu Sabine. J'ai tant d'occupations! Hier, je l'ai regardée et je l'ai trouvée bien changée.
– Lui avez-vous demandé si elle souffrait?
– Certainement. Elle m'a répondu que non, et qu'elle se portait à merveille.
– N'aurait-elle pas eu quelque petite contrariété?
– Elle, docteur! Ignorez-vous donc que ma Sabine bien-aimée est la plus heureuse jeune fille de Paris! Au surplus vous allez la voir, car vous permettez, n'est-ce pas?
Elle sonna sur ces mots. Un domestique parut.
– Lubin, lui dit la comtesse, faites prier Mlle Sabine de descendre.
– Mlle Sabine est sortie, madame la comtesse.
– Ah!.. Y a-t-il longtemps?
– Mademoiselle est sortie un peu avant trois heures.
– Qui l'accompagne?
– Sa femme de chambre, Mlle Modeste.
– Mademoiselle a-t-elle dit où elle allait?
– Non, madame la comtesse.
– C'est bien.
Le domestique s'inclina et sortit.
L'imperturbable docteur ne laissait pas que d'être un peu étonné.
Quoi! Sabine de Mussidan, une jeune fille de dix-huit ans, était libre à ce point! Elle sortait sans prévenir, on ne savait où elle était allée, et sa mère trouvait cela tout naturel!
– Voilà un fâcheux contre-temps, reprit la comtesse. Enfin, espérons que l'indisposition que je crains n'empêchera pas une noce d'avoir lieu à l'hôtel de Mussidan.
Hortebize jouait de bonheur. Le sujet qu'il avait à traiter, qu'il ne voyait trop comment aborder, arrivait tout naturellement sur le tapis.
– Vous mariez Mlle Sabine, madame la comtesse? demanda-t-il.
Mme de Mussidan posa mystérieusement un doigt sur ses lèvres.
– Chut! fit-elle, c'est un grand secret, et il n'y a rien encore de décidé. Mais vous êtes médecin, c'est-à-dire aussi discret, par profession, qu'un confesseur, ou peut se fier à vous. Il est plus que probable qu'avant la fin de l'année, Sabine sera Mme de Breulh-Faverlay.
Il est certain que le docteur Hortebize est bien moins audacieux que B. Mascarot. Souvent, en face des conceptions de son ami, le docteur a pâli, reculé, demandé grâce.
Mais une fois engagé, quand il a dit: Oui, on peut compter sur lui. Il va droit au but, sans hésitations, sans faiblesses.
– Je dois vous avouer, madame la comtesse, dit-il, que j'ai ouï parler de vos projets.
– Vraiment, on s'occupe de nous?
– Beaucoup. Et tenez, permettez-moi, madame, de vous le dire, ce n'est pas le hasard, comme vous l'avez cru, qui m'amène chez vous, c'est ce mariage.
Mme de Mussidan aimait assez le docteur Hortebize et avait souvent pris plaisir à entendre sa conversation spirituelle et tous les petits cancans dont il était toujours largement approvisionné.
Elle ne voyait à le recevoir de temps à autre aucun inconvénient, et volontiers elle l'admettait à une sorte de familiarité banale.
Mais qu'il s'autorisât de ce qu'elle jugeait des concessions, pour oser s'occuper de sa fille, à elle, comtesse de Mussidan, née Diane de Sauvebourg, c'est ce qui lui parut intolérable.
– En vérité, docteur, dit-elle, c'est bien de l'honneur que vous nous faites, au comte et à moi, de vous intéresser à ce mariage.
Cette simple phrase fut soulignée d'un regard à faire bondir, comme sous un coup de fouet, l'homme le moins sensible aux blessures d'amour-propre.
Mais le docteur n'était pas venu pour se fâcher.
Il était venu pour dire quand même et d'une certaine façon certaines choses.
D'avance il avait étudié et préparé son rôle, et rien n'était capable de l'en détourner parce qu'il s'était préparé à toutes les répliques.
Sur ce terrain, il était supérieur à B. Mascarot, qui n'eût pas su, comme lui, nuancer, préparer les transitions, ménager des sous-entendus, tout dire enfin, sans blesser de puériles susceptibilités.
Cette supériorité d'Hortebize, B. Mascarot la connaissait, et s'il l'enviait, il ne la jalousait pas.
– «C'est affaire de naissance, disait-il à ce sujet, Hortebize appartient à une excellente famille, il a reçu une belle éducation; tout jeune il a été admis dans la meilleure compagnie, tandis que moi, ce que je sais, je me le suis appris seul; je suis le fils de mes œuvres!»
Hortebize courba donc la tête sous l'affront, – provisoirement.
– Croyez, madame, répondit-il, que pour accepter la mission que je remplis, il n'a pas fallu moins de toute la force de mon respectueux dévouement.
– Ah!.. fit la comtesse, traînant la voix et clignant des yeux de la façon la plus impertinente, ah!.. vous nous êtes dévoué?
– Beaucoup, oui, madame. Et je suis sûr qu'après m'avoir entendu vous n'en douterez pas.
Il dit cela d'un ton si sec que Mme de Mussidan tressaillit comme au contact d'une pile électrique.
– Voici vingt-cinq ans