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de Mussidan leva vivement la tête.

      Le comte était établi au fond de la pièce, et il lisait à la lueur des quatre bougies d'un candélabre d'un merveilleux travail.

      Laissant tomber son journal sur ses genoux, il posa son binocle sur son nez et considéra d'un air profondément surpris le placeur, qui, le chapeau à la main, la bouche en cœur, l'échine en cerceau, s'avançait balbutiant d'inintelligibles excuses.

      Cet examen sommaire ne lui apprenant rien, M. de Mussidan se leva à demi, et demanda:

      – Vous désirez, monsieur?..

      – Monsieur le comte, répondit B. Mascarot, daignera m'excuser si, n'ayant pas l'honneur d'être connu de lui, j'ai osé… je me suis permis…

      D'un geste brusque et impérieux, le comte lui coupa la parole.

      – Attendez!

      Cette fois, il se leva tout à fait, alla tirer violemment un des cordons de sonnette qui pendait de chaque côté de la cheminée, et revint prendre place dans son fauteuil.

      B. Mascarot, demeurait toujours au milieu de la bibliothèque, muet, un peu interdit, se demandant, car cela entrait dans ses prévisions, si on allait le faire reconduire jusqu'à la grille.

      Il s'était bien écoulé une minute lorsque, la porte s'ouvrant, le fidèle domestique qui avait introduit «son placeur» parut.

      – Florestan, lui dit le comte du ton le plus calme, voici la première fois que vous vous permettez de faire entrer quelqu'un ici, sans que je vous en aie donné l'ordre. Si cela vous arrivait une seconde fois, vous quitteriez mon service.

      – Je puis assurer à monsieur le comte…

      – Vous voilà prévenu, il suffit.

      Durant cette minute d'attente, pendant ce colloque rapide, B. Mascarot étudiait le comte avec toute l'intensité d'attention que communique un intérêt personnel en jeu.

      M. le comte Octave de Mussidan ne ressemblait en rien à l'homme qu'on se serait imaginé après avoir entendu les histoires de Florestan.

      Déjà, du temps de Montaigne, il ne fallait se fier qu'à demi au portrait d'un maître tracé par ses serviteurs.

      Le comte, qui avait alors cinquante ans à peine, en paraissait bien soixante. D'une taille un peu au-dessus de la moyenne, il était desséché plutôt que maigre. Ses cheveux sur son crâne étaient rares, et ses favoris, qu'il portait fort longs, étaient complètement blancs. Les chagrins ou les passions de sa vie s'accusaient en rides profondes sur sa figure tourmentée. L'expression amère encore plus que hautaine de sa physionomie trahissait l'homme qui, ayant bu l'existence jusqu'à la lie, ne souhaite plus que briser la coupe.

      Tels on se réprésente ces lords orgueilleux de l'Angleterre, qui ne vivent plus que par les excitations de la tribune ou la fièvre de leur ambition.

      Florestan sorti, M. de Mussidan se retourna vers l'intrus, et du même ton glacial, dit:

      – Expliquez-vous maintenant, monsieur.

      M. Mascarot s'est des centaines de fois, exposé à des réceptions fâcheuses, mais jamais il n'avait été reçu ainsi.

      Blessé dans sa vanité, car il est vaniteux comme tous ceux qui exercent un pouvoir occulte, il ressentit contre M. de Mussidan le plus violent mouvement de colère.

      – Misérable grand seigneur! pensa-t-il, nous verrons bien si tu seras aussi fier tout à l'heure.

      Mais son visage ne trahit rien de ses pensées. Son attitude resta servile, son sourire bassement obséquieux.

      – Monsieur le comte, commença-t-il, ne peut me connaître, et il me permettra de prendre la liberté de me présenter moi-même. Monsieur le comte a entendu mon nom. Pour ce qui est de ma profession, je suis placeur et aussi agent d'affaires, quand l'occasion se présente.

      La volonté, la pratique, ont donné aux imitations de M. B. Mascarot une perfection si rare, que son humilité, son ton de miel, trompèrent absolument son interlocuteur.

      M. de Mussidan n'eut pas un soupçon, pas un pressentiment, il ne devina pas sous ces lunettes bleues des regards menaçants.

      – Ah! vous êtes agent d'affaires, dit-il d'un air ennuyé. Ce sont alors mes créanciers qui vous envoient vers moi, monsieur…

      – Mascarot, monsieur le comte.

      – Mascarot, soit! Eh bien! monsieur Mascarot, ces gens-là sont absurdes, je le leur ai souvent répété. Comment sont-ils assez ridicules pour donner signe de vie, lorsque je ne chicane jamais sur le total d'une facture, quand je paye sans sourciller des intérêts extravagants? Ils savent qu'ils ne peuvent manquer d'être payés, n'est-il pas vrai? Ils n'ignorent pas que je suis riche, ils ont dû vous le dire. C'est vrai: j'ai une fortune territoriale des plus considérables. Si jusqu'ici je n'ai voulu ni vendre, ni emprunter, c'est que cela m'a convenu ainsi. Emprunter est ridicule, quand on ne se suffît pas avec ses revenus. On se grève d'intérêts qui s'accumulent et qui conduisent tout doucement à l'expropriation, qui est la ruine. Le Crédit foncier me donnerait un million demain, rien que de mes terres du Poitou, je n'en veux pas.

      La preuve que B. Mascarot avait bien recouvré son sang-froid, c'est qu'au lieu de chercher à ramener le comte à la question qui avait décidé sa démarche, il le laissait dire, écoutant bien attentivement, songeant à mettre à profit ce qu'il entendait.

      – Ce que je vous dis là, reprit le comte, rapportez-le textuellement aux gens dont vous êtes l'ambassadeur.

      – Je demanderai pardon à monsieur le comte, mais…

      – Mais quoi?

      – Je me permettrai…

      – Ne vous permettez rien, ce serait inutile. Ce que j'ai promis, je le tiendrai. Le jour où il me faudra doter ma fille, je liquiderai ma situation, pas avant. Seulement, je veux bien ajouter qu'il ne s'écoulera pas beaucoup de temps avant qu'elle épouse M. de Breulh-Faverlay. J'ai dit.

      Ce «j'ai dit» signifiait on ne peut plus clairement: «Retirez-vous!»

      Pourtant M. Mascarot ne bougea pas. D'un geste prompt comme celui d'un maître d'armes rajustant son masque, il ajusta ses lunettes sur son nez, et c'est sans tremblement dans la voix qu'il lui dit:

      – Eh bien, monsieur le comte, c'est justement ce mariage qui m'amène.

      Positivement, M. de Mussidan crut avoir mal entendu.

      – Vous dites? interrogea-t-il.

      – Je dis, insista le placeur, que je suis envoyé vers vous, monsieur le comte, au sujet du mariage de M. de Breulh et de Mlle Sabine.

      Lorsqu'ils parlaient de la violence du caractère de M. de Mussidan, ni le docteur ni Florestan n'exagéraient.

      En entendant le nom de sa fille prononcé par ce louche agent d'affaires, il devint fort rouge et un éclair de colère brilla dans ses yeux.

      – Sortez! dit-il d'un ton bref.

      Ce n'était certes pas l'intention du digne placeur.

      – Il s'agit de choses importantes, monsieur le comte, prononça-t-il.

      Cette insistance était faite pour exaspérer M. de Mussidan.

      – Ah! vous vous obstinez à rester! cria-t-il.

      Et en même temps, assez péniblement à cause de sa jambe malade, il se leva pour aller à la sonnette.

      Mais B. Mascarot avait deviné le mouvement.

      – Prenez garde, fit-il, si vous sonnez, vous vous en repentirez toute votre vie.

      Cette menace parut transporter de fureur M. de Mussidan. Laissant la sonnette, il saisit une canne déposée près de la cheminée et il allait châtier l'insolent, quand celui-ci, sans rompre d'une semelle, de la voix la plus ferme dit:

      – Des violences, monsieur le comte, souvenez-vous de Montlouis!..

      Lorsqu'aux prudentes recommandations

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