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à son greffier:

      – Urbain, commanda-t-il, allez chercher le témoin.

      Mme Delorge eût vu un fantôme surgir à la voix de M. Barban d'Avranchel, qu'elle n'eût pas été frappée d'une stupeur plus grande.

      – Ainsi, monsieur, commença-t-elle d'une voix troublée, la justice a retrouvé ce malheureux homme que sa femme croit mort, et dont elle porte le deuil, ce pauvre Laurent Cornevin…

      – Il ne s'agit pas ici de Cornevin, madame.

      – Grand Dieu!.. monsieur, mais c'est lui…

      – C'est lui que vous désignez dans votre plainte, comme ayant assisté aux derniers moments du général; c'est vrai. Seulement vous vous être trompée. Ce n'est pas lui qui s'empressa d'accourir à l'appel de M. de Combelaine, avec une lanterne. Et cela par une raison bien simple: Cornevin n'était pas de service ce soir-là…

      – Monsieur, je suis sûre de ce que j'avance.

      – Soit, madame. En ce cas, dites-moi sur quelles preuves votre certitude s'appuie.

      Aussitôt, et avec une véhémence extraordinaire, Mme Delorge entreprit d'exposer ses raisons…

      Mais, hélas! à mesure qu'elle parlait, les circonstances qui lui avaient paru le plus décisives se dérobaient pour ainsi dire.

      Pourquoi s'était-elle attachée à cette idée, que ce palefrenier ne pouvait être que Cornevin?.. Uniquement parce que ce malheureux s'était présenté à Passy le lendemain de la catastrophe et qu'il y avait laissé son adresse.

      Et surtout et avant tout, parce que Cornevin avait disparu…

      Toujours impassible, M. Barban d'Avranchel laissa la pauvre femme se débattre et se perdre au milieu de ses explications.

      Et seulement, lorsqu'elle eut fini:

      – Convenez, madame, prononça-t-il, qu'il n'y a rien dans tout ceci qui justifie votre assurance… Exaltée par votre douleur, vous avez pris pour la réalité les rêveries d'un homme que son âge eût dû rendre plus circonspect, d'un voisin à vous, bourgeois ignorant et frondeur, le sieur Ducoudray.

      A la façon dédaigneuse dont il laissait tomber ce nom, il n'y avait pas à s'y méprendre: le digne bourgeois lui avait souverainement déplu.

      – Ainsi, monsieur, reprit Mme Delorge s'irritant, à la fin, de son impuissance, ainsi nous avons rêvé que Cornevin a disparu!..

      – Madame!

      – Et l'infaillible justice ne voit aucune raison de s'émouvoir de cette mystérieuse disparition, non plus que de la misère de cette famille…

      Pour la première fois, l'immobile figure du juge trahit un sentiment humain: la colère.

      – Sachez, madame, interrompit-il, que la justice s'est inquiétée de Laurent Cornevin; des recherches ont été ordonnées.

      – Et elles ont abouti?

      – A démontrer que cet individu n'est point parmi les morts de… l'émeute du 2 décembre…

      – S'il est vivant, qu'est-il devenu?

      – Tout porte à croire qu'il est du nombre des perturbateurs qui ont été arrêtés à la suite… des troubles, et que pour dérouter la police, il aura donné un faux nom…

      – Dans quel but?

      – Peut-être a-t-il intérêt à dissimuler son passé?.. Mais qu'importe cet homme!

      – Comment! qu'importe!.. s'écria Mme Delorge.

      Et se soulevant sur son fauteuil:

      – Et si je vous disais, moi! poursuivit-elle, qu'il faut absolument que cet homme soit retrouvé pour que justice soit faite!.. Si je vous disais que seul il connaît la vérité que vous croyez savoir… Si, en mon nom et au nom de mes enfants, et au nom de la famille de Cornevin, je vous sommais de suspendre toute décision avant d'avoir retrouvé cet infortuné ou d'être fixé sur son sort!..

      C'en était trop pour la patience de M. Barban d'Avranchel.

      D'un geste impérieux, il imposa silence à Mme Delorge, la menaçant d'en rester là de ses communications.

      Puis d'un accent irrité:

      – Assez d'illusions comme cela, madame, prononça-t-il. Savez-vous ce que sont ces Cornevin, à qui vous vous intéressez si fort?.. La justice peut vous l'apprendre, si vous l'ignorez.

      Sur ces mots, il sortit d'un dossier deux feuilles de papier portant le timbre de la préfecture de police, et en présenta une à Mme Delorge:

      – Veuillez lire, lui dit-il, les notes qu'on me transmet sur vos obligés.

      Elle lut à demi-voix:

      «CORNEVIN (LAURENT), trente-deux ans, né à Fécamp. Domicilié, en dernier lieu, rue Marcadet, à Montmartre.

      «Époux de Julie Cochard. Cinq enfants.

      «Sans antécédents judiciaires.

      «Successivement valet d'écurie et cocher, Cornevin n'a pas laissé de bons souvenirs dans les diverses maisons où il a été employé. Il savait son métier et le remplissait exactement, mais il était emporté, insolent et brutal.

      «Poursuivi en 1846 pour coups et blessures, il n'obtint une ordonnance de non lieu qu'aux démarches réitérées du maître qu'il servait alors.

      «Lorsqu'il entra, en 1850, à l'Élysée, il quittait la maison du marquis d'Arlange, qui lui avait donné un bon certificat – mais on sait ce que valent ces sortes de pièces.

      «A l'Élysée, on n'eut qu'à se louer de lui dans les commencements.

      «Mais bientôt son déplorable caractère reparut, et si on le garda, ce fut uniquement à cause de son expérience et de son exactitude.

      «Vers le milieu de 1851, il changea tout à coup. Il s'était affilié à une bande de mauvais sujets et était devenu l'ami d'un orateur de cabarets, grâcié en juin et dernièrement condamné pour vol.

      «On était résolu à le renvoyer, lorsqu'il prit les devants et cessa son service tout à coup, sans prévenir.

      «Son mois lui est encore dû.»

      Mme Delorge ayant achevé, le juge lui tendit la seconde feuille de papier, et elle poursuivit sa lecture.

      «JULIE COCHARD, FEMME CORNEVIN, vingt-huit ans, née à Paris.

      «N'a pas subi de condamnations.

      «Passe dans le quartier pour une assez bonne ménagère; ses mœurs, dit-on, ne laissent rien à désirer, au moins depuis son mariage.

      «Il serait difficile de dire ce qu'était sa conduite avant, les mauvais exemples ne lui ayant pas manqué chez ses parents.

      «Son père a été condamné plusieurs fois pour vols, et sa mère a été poursuivie pour excitation à la débauche.

      «Sa sœur cadette, Adèle Cochard, ancienne figurante d'un petit théâtre, est célèbre dans le monde de la galanterie sous le nom de Flora Misri.»

      Si, en produisant ces notes de police, M. d'Avranchel avait compté détacher Mme Delorge de la famille Cornevin, sa déception dut être grande.

      Elle garda un silence glacial… et pour beaucoup de raisons:

      En premier lieu, l'intérêt qu'elle portait aux Cornevin était indépendant de toute espèce de circonstance.

      Laurent savait la vérité, il était victime de son empressement à venir la lui révéler: cela primait tout.

      Puis, malgré le parti pris que trahissaient les notes, que reprochaient-elles en somme à ces pauvres gens?

      On accusait le mari d'être brutal et grossier. Eh! s'il eût eu l'éducation et les façons d'un gentilhomme, il n'eût pas été palefrenier.

      On reprochait à la femme l'inconduite de son père, de sa mère et de sa

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