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nom, que Mme Delorge avait lu au bas de la citation, était celui du juge d'instruction devant qui elle allait comparaître.

      – Est-ce donc une chance malheureuse pour moi, monsieur? demanda-t-elle avec inquiétude.

      – Je ne sais, répondit Me Roberjot…

      Et après un moment de réflexion:

      – M. Barban d'Avranchel, continua-t-il, est certainement un orléaniste. Il doit être furieux du coup d'État.

      – En ce cas, monsieur, il me semble…

      – Oh! attendez, madame, avant de vous réjouir… L'ambition peut amener une conscience à d'étranges compromis… Cependant M. d'Avranchel passe pour un homme d'une probité antique…

      – Que puis-je souhaiter de mieux?..

      L'avocat branlait la tête.

      – Le danger est ailleurs, prononça-t-il. Comme magistrat, M. Barban d'Avranchel est peu et mal connu. Étant froid et raide comme un verrou de prison, il a joui jusqu'ici de la respectueuse estime que nous autres, Français, nous accordons sans examen à tous les hommes graves et taciturnes. Mais est-ce un juge d'instruction habile?.. D'aucuns le prétendent. Moi je jurerais que ce n'est qu'un solennel imbécile à qui on ferait voir des étoiles en plein midi… Nous en avons quelques-uns comme cela dans la magistrature…

      Mme Delorge sentait son cœur se serrer.

      De tous les malheurs, il n'en est pas de pire que de dépendre d'un homme inintelligent, entêté d'opinions préconçues…

      – Une autre chose encore me tourmente, monsieur, reprit-elle; cet ordre d'amener mon fils. Il est si aisé de tirer parti du propos inconsidéré d'un enfant…

      – Oh! ceci n'est rien, fit l'avocat.

      Et examinant le jeune garçon, dont l'œil brillait d'intelligence:

      – Monsieur Raymond, ajouta-t-il, est déjà trop fin pour M. d'Avranchel… Je vais d'ailleurs lui faire la leçon…

      Il lui prit les mains en lui disant cela, et l'attirant près de son fauteuil:

      – Êtes-vous brave, mon petit ami? demanda-t-il.

      – Je ne suis pas peureux, monsieur.

      – Alors, tout ira bien. Un interrogatoire, voyez-vous, ne doit effrayer que les gens qui ont quelque chose à cacher.

      Me Roberjot était redevenu lui-même et, son regard allant de Mme Delorge à Raymond, il était aisé de comprendre que c'était pour la mère, encore plus que pour le fils, qu'il parlait.

      – Donc, poursuivit-il, ne vous troublez pas quand vous serez en présence du juge, et, au lieu de baisser les yeux, regardez-le bien en face. Écoutez attentivement ses questions et, avant d'y répondre, prenez le temps de réfléchir… Si vous ne les comprenez pas parfaitement, faites-les répéter… N'allez jamais au devant, attendez… Et que vos réponses soient aussi concises que possible. Quand on vous demandera une chose dont vous êtes sûr, dites oui ou non, sans phrases, sans détails oiseux. Si vous doutez, dites simplement: «Je ne sais pas.» Point de si, ni de mais, ni de suppositions. Des affirmations, toujours. Et surtout, évitez les controverses et les discussions…

      C'est munis de ces enseignements d'un maître que Mme Delorge et son fils arrivèrent au Palais de Justice.

      Dès qu'elle eut montré sa citation à l'huissier de service à l'entrée:

      – Veuillez me suivre, madame, lui dit poliment cet homme, M. Barban d'Avranchel vous attend.

      Ainsi elle était l'objet d'attentions spéciales, d'une faveur… Était-ce d'un heureux ou d'un sinistre augure?.. Pour les condamnés aussi, on a des ménagements particuliers…

      Telles étaient ses pensées, lorsqu'elle entra dans le cabinet du juge d'instruction.

      La pièce était petite et triste. Un méchant tapis recouvrait le carreau. En face de la porte était un bureau d'acajou, et à droite une étroite table où écrivait le greffier.

      Près de la cheminée, un homme se tenait debout, le juge, M. Barban d'Avranchel…

      Comment M{me} Delorge ne l'eût-elle pas reconnu, après le portrait qui lui en avait été tracé par M. Ducoudray et par Me Roberjot?

      Il s'inclina tout d'une pièce, et montrant un fauteuil à Mme Delorge et une chaise à Raymond, il tint rivés sur eux, pendant plus d'une minute, ses yeux mornes et sans expression.

      Enfin:

      – Vous êtes Mme veuve Delorge, née de Lespéran? demanda-t-il à la pauvre femme.

      – Oui, monsieur.

      – Veuillez me dire vos noms de fille et de femme, vos prénoms, votre âge, la date et le lieu de votre mariage, combien vous avez d'enfants, et la date de leur naissance.

      Puis se retournant vers son greffier:

      – Écrivez, Urbain, lui dit-il.

      M. d'Avranchel avait regagné son fauteuil; tant que durèrent ces préliminaires obligés de tout interrogatoire, il ne prononça pas une syllabe.

      Mais dès que Mme Delorge eut donné les dernières indications:

      – Approchez-vous, mon petit ami, dit-il à Raymond… là, devant moi.

      Et le jeune garçon ayant obéi:

      – Votre papa, commença-t-il, souffrait donc beaucoup d'un bras?

      Placé de façon à ne pas voir sa mère, Raymond, instinctivement, se retourna vers elle… mais le juge le rappela:

      – Ce n'est pas dans les yeux de votre maman, prononça-t-il, que vous devez chercher vos réponses, mais bien dans votre mémoire… Vous m'avez entendu: parlez.

      – Eh bien! monsieur, papa souffrait beaucoup du bras droit.

      – Comment le savez-vous?

      – Il lui était impossible de s'en servir… Quand il me donnait des leçons d'armes, c'était toujours du bras gauche.

      – N'était-ce pas pour vous apprendre à vous défendre, au besoin, contre un gaucher?.. C'est difficile, dit-on. Peut-être était-il gaucher lui-même?..

      – Non, monsieur, j'en suis sûr.

      – Et pourquoi?..

      Le jeune garçon réfléchit un moment. Il n'oubliait pas les conseils de Me Roberjot.

      – J'en suis sûr, répondit-il lentement, parce que cinq ou six fois papa a voulu se forcer et tenir le fleuret de la main droite, mais toujours il a été forcé de le reprendre de l'autre, en disant: «Je ne peux pas, ça me fait trop de mal!»

      – Très bien!.. Se mettre en garde et manœuvrer le fleuret du bras droit lui était une cruelle souffrance.

      – C'est cela.

      Où tendait le juge, Mme Delorge ne le comprit que trop, et vivement:

      – Permettez-moi, monsieur, commença-t-elle, de vous expliquer…

      Mais, non moins vivement, le juge l'interrompit.

      – Je vous prie, madame, de garder le silence, c'est votre fils que j'interroge et non vous.

      Et revenant à Raymond:

      – Donc, reprit-il, voici le fait: votre papa ne se servait pas habituellement du bras droit, parce qu'il en souffrait. Mais rigoureusement et en surmontant une certaine douleur, il eût pu s'en servir…

      La conclusion, le jeune garçon la devinait… Il lui parut que le juge tirait de ses réponses un sens qui ne s'y trouvait pas. Aussi, se révoltant:

      – Je n'ai pas dit cela, monsieur, fit-il.

      – Ah!..

      – Je n'ai pas dit que papa s'était servi de son bras devant moi, j'ai dit qu'il avait essayé de s'en servir et qu'il ne l'avait pas pu, ce qui n'est pas la même chose.

      M.

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