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exprimé avec cette résolution il y a huit jours… J'hésitais… vous êtes venue, et, sans le savoir, vous avez décidé de mon avenir…

      Il se leva, visiblement ému, et, après deux ou trois tours dans son cabinet:

      – Et cependant, reprit-il, nul n'avait autant de raisons que moi de se ranger dans l'armée, toujours docile, des satisfaits. Qu'ai-je à demander à la vie qu'elle ne m'ait généreusement donné!.. Je suis jeune encore, j'ai presque de la fortune, j'ai réussi au barreau bien au delà de mes espérances…

      Mais Mme Delorge était hors d'état de remarquer l'étrange agitation de l'avocat.

      Et toute entière à l'idée fixe qui devait obséder sa vie:

      – Enfin, que faire pour le moment? interrogea-t-elle.

      Si Me Roberjot fut un peu choqué d'être si brusquement interrompu, il eut le bon goût de le dissimuler.

      – En ce moment, rien! répondit-il… Il faut attendre.

      – Quoi?..

      – Cette occasion qui jamais ne fait défaut à ceux qui savent la guetter patiemment.

      Mme Delorge eut un geste désolé.

      – Hélas! dit-elle, chaque jour qui s'écoule emporte une de mes espérances… Hier, j'ai rencontré un ancien ami de mon mari, c'est à peine s'il m'a saluée. Dans six mois il ne me reconnaîtra plus. Dans un an, il dira: «Delorge!.. qui ça, Delorge?..» Mon mari fut un noble et vaillant soldat: est-ce cette renommée qui lui survivra?.. Non. Seules, les calomnies qui se sont débitées et que vous m'avez répétées, resteront comme autant de taches à sa mémoire. Dans dix ans d'ici, lorsque mon fils, que voici, devenu un homme, paraîtra dans le monde, si parfois on demande: «Qui donc est ce jeune Delorge?..» Il se trouvera toujours quelqu'un de ces gens qui prétendent tout savoir, pour répondre: «Eh bien! c'est le fils de ce général, vous savez bien, qui fut tué en duel, à propos d'une vilaine affaire d'argent…»

      Mais Raymond bondit à ces mots.

      – Non, mère, s'écria-t-il, je te le jure, personne jamais ne dira cela, lorsque je serai un homme!..

      L'avocat prit les mains de l'enfant, et les serrant dans les siennes:

      – Bien! mon ami; lui dit-il, c'est très bien, cela!..

      Puis revenant à Mme Delorge:

      – Vous vous trompez, madame, prononça-t-il gravement, c'est du temps que vous devez tout espérer… Mort, le général est plus redoutable que jamais…

      – Hélas! monsieur, je voudrais pouvoir vous croire…

      – Il faut me croire, madame, et, à l'appui de ce que je vous dis, il me serait aisé de vous citer des exemples… Le proverbe qui dit: «Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas,» est un proverbe absurde. En politique, il n'y a que les morts, au contraire, qui reviennent. Parbleu! il serait trop aisé de gouverner, si, pour se débarrasser des gens gênants, il n'y avait qu'à les porter en terre. Triomphant, redouté, reconnu depuis des années, un gouvernement brave toutes les oppositions et se rit de toutes les attaques: il a ses créatures, ses juges, ses gendarmes, son armée, il se croit et il trouve des gens pour le croire éternel… Mais voici qu'un beau matin un inconnu se rend au cimetière, épelle sur une tombe un nom oublié et le crie à pleine voix… Et il suffit de ce nom pour que ce gouvernement si fort s'écroule en quelques jours…

      Mme Delorge soupira.

      – Je ne verrai jamais ce que vous dites, fit-elle.

      – Qui sait? En vous disant qu'il n'y a rien à faire, je n'ai pas entendu vous conseiller une lâche résignation… Non. Il nous reste Cornevin…

      Ah! cette fois l'avocat n'était que l'écho des pensées de la malheureuse femme.

      – C'est vers cet homme, poursuivit Me Roberjot, que doivent tendre toute notre attention et tous nos efforts. A-t-il été assassiné? Je ne le crois pas. M. de Combelaine est trop habile pour risquer un crime qui n'est pas indispensable. Or, dans le tourbillon des événements, il lui était aisé de faire disparaître Cornevin. Donc, c'est ce moyen qu'il a dû prendre. Cornevin, arrêté, a dû être déporté quelque part… Où? c'est à nous de le découvrir.

      Le visage de Mme Delorge, illuminé un moment par l'espérance, s'était assombri de nouveau.

      – Moi aussi, monsieur, reprit-elle, j'ai songé à Cornevin… Moi aussi, je crois qu'il est vivant encore et qu'il peut me fournir les armes d'une revanche terrible.

      – Et alors?..

      – Alors, j'ai tout fait au monde pour m'attacher sa femme, pour l'intéresser à mes espérances.

      – Vous avez fait cela!..

      – Oui. Je me suis engagée à servir une rente à cette malheureuse, et l'ainé de ses fils sera élevé avec mon fils, et exactement comme lui…

      Me Roberjot paraissait si consterné qu'elle ajouta:

      – N'était-ce donc pas un devoir sacré?

      – Oui, répondit l'avocat, oui. Seulement il est des occasions, et celle-ci en est une, où le devoir devient une imprudence insigne…

      – Oh! monsieur, de telles paroles dans votre bouche! Et moi qui supposais…

      Mais il ne la laissa pas poursuivre, et vivement:

      – Croyez-vous donc que je blâme votre bonne action, madame! s'écria-t-il. Non certes! Mais il fallait vous en cacher comme d'une faute. Secourir la femme de Cornevin était votre devoir et votre intérêt, mais vous deviez la tenir à l'écart, ne la voir qu'en secret et employer, pour lui venir en aide, une main étrangère.

      – Et pourquoi cela, monsieur?

      – Pourquoi? répéta-t-il; pourquoi?..

      Et plus lentement:

      – Parce que Laurent Cornevin, abandonné de tout le monde, eût été vite oublié. Lui donner ouvertement votre appui, c'est rappeler l'attention sur lui. Pauvre, seul, sans amis, chargé de famille, il ne devait guère inquiéter des ennemis tout-puissants. Devenu l'allié de la veuve du général Delorge, il constitue un danger permanent. L'oubli était sa meilleure chance de salut et de liberté. On ne l'oubliera plus. Trois mots sur son dossier vont le condamner à une active et incessante surveillance. Le jour où vous avez admis sa femme chez vous, madame, vous avez donné un tour de clef de plus à la porte de sa prison…

      Mme Delorge baissait la tête, accablée d'un immense découragement.

      Qu'objecter à de telles raisons?..

      L'expérience de Me Roberjot en arrivait à la même conclusion que jadis les terreurs égoïstes du digne M. Ducoudray.

      Veiller toujours, mais dans l'ombre, s'effacer, s'appliquer à se faire oublier, patienter, attendre…

      Attendre!.. quand son sang bouillait dans ses veines, quand il y avait des instants où l'idée lui venait de s'armer d'un poignard et d'en frapper cet homme qui, avec la vie de son mari, lui avait pris sa vie, à elle, tout son bonheur, toutes ses espérances!..

      – Malheureusement, dit-elle, ma faute est irréparable. Changer quoi que ce soit à ce que j'ai décidé serait une faute de plus. Mais après…

      – Après?.. Nous chercherons autre chose. Un homme qui traîne un passé comme celui de M. de Combelaine, ne saurait être invulnérable… On peut le connaître, ce passé, si mystérieux qu'il soit… Ma position va me donner de grandes facilités… Avec un peu d'adresse… en risquant certaines démarches… Mais il me faudrait votre autorisation, madame, et je ne sais si je dois… si je puis…

      Tout avocat qu'il était, accoutumé à tout dire, il s'embarrassait dans ses phrases, il hésitait, il balbutiait.

      Mais Mme Delorge ne voyait rien de ce manège, pas plus qu'elle n'avait remarqué certaines phrases, cependant bien significatives.

      La femme était morte en elle, cette nuit fatale

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