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de demeurer stoïque, quoi qu'il pût arriver désormais.

      Lorsque M. Ducoudray entra, elle se souleva légèrement pour le saluer, et c'est du ton le plus calme qu'elle dit:

      – Eh bien! monsieur?..

      Lui restait interdit et quelque peu troublé, à trois pas de la porte.

      Jamais femme ne lui était apparue aussi imposante que cette veuve, en qui l'excès de la douleur semblait avoir anéanti toute sensibilité, et qui vivante avait le froid du marbre des statues.

      Comme elle répétait sa question, cependant, il s'avança en regardant Raymond, avec un clignement de paupières qui signifiait clairement:

      – Puis-je parler devant cet enfant?

      – Mon fils ne doit ignorer aucune des circonstances de la mort de son père, monsieur Ducoudray, dit Mme Delorge… Peut-être un jour sera-t-il appelé à le venger. Parlez donc sans crainte…

      Le digne rentier s'assit, et avec une volubilité extraordinaire, masque de son embarras, il se mit à narrer par le menu les événements de la journée, disant la physionomie de Paris, l'attitude de la foule, les dangers qu'il avait courus.

      – Mais Cornevin? interrompit Mme Delorge, ce garçon d'écurie de l'Élysée, l'avez-vous vu!..

      – Je n'ai rencontré que sa femme, répondit le bonhomme. Et tout de suite il exposa ce qu'il appelait l'affreuse vérité, hésitant, craignant d'effrayer Mme Delorge.

      Elle ne sourcilla même pas, et toujours de son accent glacé:

      – C'est un grand malheur! prononça-t-elle, mais je m'attendais à quelque chose de ce genre…

      Et comme le digne rentier s'empressait d'ajouter que certainement Cornevin ne tarderait pas à reparaître, qu'on ne supprime pas un citoyen…

      – Pourquoi, interrompit-elle, essayer de me donner un espoir que vous n'avez pas? Ce pauvre garçon était un témoin trop redoutable pour qu'on ne l'éloignât pas de façon ou d'autre… Plus il était honnête, plus il a dû paraître dangereux… On l'épiait sans doute, et en venant ici il s'est condamné… Les circonstances étaient trop propices pour qu'on n'en profitât pas. Qu'est un homme, je vous le demande, en ces jours de tourmentes politiques? Moins qu'un fétu que le vent balaie…

      M. Ducoudray se sentait blêmir…

      – …Moins qu'un fétu! pensait-il. Comme elle dit cela! brrr!..

      – Ce qui doit nous donner espoir et courage, madame, hasarda-t-il, c'est que ce coup d'État ne réussira pas…

      – Il réussira, monsieur…

      – Oh! permettez-moi, je viens de traverser Paris, et je me connais assez en révolutions pour être sûr…

      – Le coup d'État réussira, vous dis-je. J'ai appris bien des choses depuis que je ne vous ai vu… J'ai parcouru les papiers de mon mari. Ce qui arrive, il le prévoyait depuis longtemps, et c'est pour cela qu'il voulait donner sa démission plutôt que de venir à Paris. Une lettre inachevée que j'ai retrouvée dans son sous-main ne me laisse aucun doute. Malheureusement, j'ignore à qui cette lettre était destinée. «Mon ami, écrivait-il, tenez-vous sur vos gardes; tout est prêt pour le grand coup… Il peut éclater ce soir ou demain; peut-être éclate-t-il pendant que je vous écris. Ne perdez plus une minute. Les stupides divisions des honnêtes gens assurent le succès au premier homme à poigne qui osera s'emparer du pouvoir.»

      Immense était la stupeur de M. Ducoudray.

      – Et vous croyez à cela, madame? interrogea-t-il.

      – Comme à Dieu même!

      – Vous croyez que les ennemis du général, ses meurtriers peut-être, sont à la veille d'escalader les plus hautes situations?..

      – Je le crois.

      – Et vous ne renoncez pas à vos projets de… vengeance?

      Pour la première fois, la pauvre femme eut un tressaillement aussitôt réprimé.

      – Appelez-vous donc se venger demander justice, monsieur? prononça-t-elle. Un meurtre a été commis, je demande que le meurtrier soit poursuivi et puni. Est-ce trop exiger? Si on me repousse, cependant!.. Sera-ce me venger que d'essayer de me faire justice moi-même?

      Le digne rentier était abasourdi de l'entendre s'exprimer ainsi, et froidement, sans apparence de colère, elle que toujours il avait vue la douceur et la timidité mêmes.

      – Hélas! madame, fit-il, si le coup d'État triomphe, M. de Combelaine se trouvera bien au-dessus de votre portée…

      Mme Delorge hocha la tête et froidement:

      – Soit, dit-elle, je ne serai rien et il sera tout… Mais j'aurai pour moi Dieu, mon droit et l'avenir. C'est l'humble, c'est le chétif que le puissant dédaigne, qui bien souvent est cause de sa perte. Il suffit du déplacement d'un grain de sable pour que l'édifice le plus solide en apparence s'écroule. Le train express lancé à toute vapeur ne s'inquiète guère des paysans qui le menacent de leurs bâtons; qu'ils essayent donc de l'arrêter!.. Oui; mais à l'endroit le plus dangereux de la route, un enfant a placé un caillou sur le rail… et la puissante locomotive déraille et roule au fond de l'abîme, entraînant tous ceux qu'elle emportait… Je puis être ce caillou, monsieur Ducoudray, je puis être ce grain de sable…

      Cette phrase devait hâter la retraite de M. Ducoudray.

      Et, après quelques mots insignifiants, prétextant sa fatigue et le besoin qu'il avait de prendre quelque nourriture, il se retira.

      En réalité, le bonhomme était loin d'être à l'aise, ayant senti chanceler en lui la résolution de se dévouer corps et âme aux intérêts de la veuve de son ami le général.

      – C'est qu'elle parlait comme d'une chose toute simple de se faire justice elle-même! pensait-il en regagnant son logis. Dieu sait à quels actes de démence sa haine peut la conduire… et mener ceux qui lui obéiraient aveuglément.

      Il songeait à Cornevin, et l'exemple de cet infortuné lui paraissait éclairer les dangers de l'avenir comme un de ces phares qu'on allume sur les écueils.

      Il se disait:

      – Si le coup d'État fait fiasco, comme c'est probable, certes, je suis avec Mme Delorge contre le Combelaine… S'il réussit, au contraire… Hum! je suis bien vieux pour sacrifier mon repos à deux beaux yeux en larmes…

      Ce n'était pas d'ailleurs sans une certaine satisfaction de vanité qu'il voyait ses destinées dépendre de la révolution qui se préparait, et il n'était que plus impatient d'en connaître le résultat.

      Aussi, le lendemain, jeudi, 4 décembre, n'attendit-il pas le jour pour se lever et s'habiller.

      Il est vrai qu'il ne se mit pas tout de suite en campagne, ainsi qu'il avait annoncé à sa gouvernante qu'il le ferait. Le souvenir de la charge des lanciers de la veille refroidissait singulièrement les ardeurs de sa curiosité.

      Avant de s'aventurer, il eût voulu savoir ce qui se passait, et toute la matinée, on le vit errer dans le quartier, quêtant des nouvelles chez ses fournisseurs.

      Si loin que Passy soit du boulevard, l'émotion y était extrême. L'anxiété était dans tous les yeux, et sur toutes les lèvres cette phrase:

      – Comment cela va-t-il finir?

      Dans les groupes, fort nombreux déjà, on retrouvait un écho de toutes les rumeurs qui, le même jour et à la même heure, circulaient de la Madeleine à la Bastille.

      On parlait, tantôt de l'évasion des généraux arrêtés, qui auraient réussi à rallier quelques régiments dans un département voisin, et marcheraient sur Paris; tantôt de la résistance de plusieurs départements, triomphante, disait-on, à Reims et Orléans.

      Plus loin, c'était la nouvelle contradictoire, mais non moins avidement reçue, de l'exécution sommaire du général Bedeau et du colonel Charras.

      Vers

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