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foule s'ouvrait pour laisser passer les chevaux, et se reformait derrière eux aux cris de:

      – Vive la République! Vive l'armée!..

      La fièvre commençait à gagner M. Ducoudray… Il n'avait plus peur; le bourgeois des glorieuses journées de Juillet se réveillait en lui. Il oubliait Passy, Mme Delorge, son ami le général et M. de Combelaine.

      – Il faut que je voie la fin de tout ceci! se dit-il.

      Et il entra pour déjeuner dans un café du boulevard des Italiens.

      Là, les nouvelles affluaient; vraies ou fausses, absurdes parfois, mais toutes et toujours favorables à la résistance.

      On affirmait que les meneurs du coup d'État commençaient à perdre la tête… que M. de Maupas tremblait de peur à la préfecture de police… que le général Magnan hésitait… que Lamoricière venait de s'évader et de se mettre à la tête de quatre régiments…

      On assurait que dans les cours de l'Élysée, quatre voitures de poste venaient d'être attelées pour emporter bien vite et bien loin le président et ses complices… et quelques millions, ajoutaient les bien informés…

      En vrai Parisien qu'il se vantait d'être, l'excellent M. Ducoudray buvait comme du lait toutes ces nouvelles, les tenant pour assurées, puisqu'elles flattaient ses espérances et ses instincts.

      Et il n'était pas éloigné de croire le coup d'État décidément tombé dans l'eau, quand il sortit du restaurant, tout disposé à l'optimisme, tel qu'un homme qui, ayant bien déjeuné, vit en paix avec son estomac.

      Il ne tarda pas à reconnaître son erreur.

      Pendant le temps qu'il avait mis à prendre son repas, la mobile physionomie du boulevard avait changé.

      La foule y était plus compacte, s'il est possible, mais grave, désormais, et presque silencieuse. Plus de rires, plus de quolibets. Plus de ces cris de: «A bas Soulouque!» qui avaient fait ouvrir de si grands yeux aux soldats de la ligne.

      Évidemment, la situation s'était tendue.

      On eût dit que chacun comprenait que l'instant décisif arrivait où les plus grands événements ne tiennent qu'à un fil, qu'on en était à cette minute suprême d'où dépendent les opérations les mieux combinées.

      Les hommes à bâton, les décembrailliards, comme on les appelait alors, avaient disparu du trottoir. Mais les escadrons de lanciers étaient plus nombreux sur la chaussée. Ils ne cessaient d'aller et de venir de la Madeleine à la Bastille, maintenant en communication les troupes des Champs-Élysées et celles qui occupaient les quartiers du Temple et de l'Hôtel-de-Ville…

      – Se bat-on quelque part? interrogeait de ci et de là M. Ducoudray.

      – Oui. Il y a des barricades rue Transnonain, rue Beaubourg et rue Grenetat.

      – Et c'est la police qui les fait faire, ajoutait un voisin.

      Positivement l'estimable bourgeois commençait à ressentir quelque chose de son malaise du matin, lorsque tout à coup, vers quatre heures, circula à travers cette foule immense une rumeur profonde, rapide comme le frisson d'une décharge électrique.

      – Qu'est-ce encore? demanda M. Ducoudray à deux jeunes gens qu'il coidoyait.

      – La proclamation de Saint-Arnaud. L'avez-vous lue?

      – Non. Où la lit-on?

      – Au coin de toutes les rues, parbleu!

      Le digne rentier se trouvait à la hauteur du faubourg Poissonnière. Il tourna la première rue qu'il rencontra, et, au milieu des clameurs indignées de deux cents personnes rassemblées devant une affiche, il lut:

      «Habitants de Paris,

      Le ministre de la guerre,

      Vu la loi sur l'état de siège,

      Décrète:

      Tout individu pris construisant ou défendant une barricade, ou les armes à la main, sera fusillé.

Le général de division, ministre de la guerre,LE ROY DE SAINT-ARNAUD.»

      C'était bref, précis et significatif.

      C'était en six lignes toute la politique du coup d'État du 2 décembre 1851.

      – Oh! faisait M. Ducoudray consterné et révolté: oh!..

      Et cependant, bien loin d'éteindre la résistance, cette menaçante proclamation semblait l'attiser.

      – C'est ce qu'on veut, ricanait un homme à barbe blanche; il faut bien un prétexte pour engager les troupes!..

      Presque au même moment, et comme pour lui donner raison, une violente fusillade pétilla dans la direction du quartier des Gravilliers.

      Et peu après, un jeune homme passa haletant, qui criait:

      – C'est rue Aumaire, et on se cogne dur, allez; je vais chercher un fusil.

      Plus d'un devait avoir eu la même idée, car deux pas plus loin, M. Ducoudray vit un boutiquier fermer ses volets, et écrire dessus à la craie: «Armes données.»

      Pourtant la nuit était venue, la fusillade s'éteignait peu à peu, on n'entendait plus que des coups de feu isolés…

      A force de jouer des coudes dans la cohue qui roulait à plein trottoir, le digne rentier était arrivé au Château-d'Eau, lorsque soudain un cri terrible sortit de mille poitrines à la fois, immédiatement suivi d'un sourd roulement… et il se trouva entraîné par un irrésistible remous de la foule…

      Une femme dont le chapeau avait été arraché, et qui traînait une petite fille, s'accrochait à lui désespérément en criant:

      – Au nom du ciel! sauvez mon enfant!

      Il essaya de lui porter secours, mais un choc violent le jeta contre un arbre, un tourbillon passa devant lui, et il vit luire au-dessus de sa tête l'éclair d'un sabre… Il ferma les yeux.

      Quand il les rouvrit, plus rien.

      Le terrain était vide autour de lui, la foule fuyait éperdue dans toutes les directions, et quelques hommes ramassaient les blessés restés sur le carreau.

      Les lanciers avaient chargé.

      – Ah! cela ne se passera pas ainsi, grondait le digne bourgeois en crispant les poings, et demain… demain!..

      Tout, en effet, pour lui qui connaissait si bien son Paris, présageait pour le lendemain une journée de revanche.

      Jamais mouvement révolutionnaire ne lui avait paru si accentué ni si puissant que celui qui se prononçait en cette soirée du 2 décembre 1851.

      A tous les coins de toutes les rues qu'il traversait, des groupes se formaient, sombres, menaçants, d'où s'élevaient tantôt la voix d'un orateur, tantôt de véhémentes protestations. Et ce n'était plus seulement la bourgeoisie qui se révoltait, les blouses se mêlaient aux paletots, et les mains calleuses serraient les mains gantées. Puis, de distance en distance des ébauches de barricades s'élevaient…

      Mais sa hâte était grande de retrouver Mme Delorge, et un fiacre étant venu à passer, vide, il le prit…

      VIII

      La nuit était depuis longtemps venue, lorsque M. Ducoudray arriva à la villa de la rue Sainte-Claire, et pour la première fois, en tirant la chaîne de la cloche, il songea à la façon dont il rendrait compte de sa mission à la veuve de son ami le général.

      – Je n'ai rien à lui cacher, pensait-il, non, rien… sauf toutefois le sentiment de prudence qui m'a fait dissimuler mon nom, et qu'elle ne comprendrait peut-être pas, si naturel qu'il soit.

      Il s'attendait d'ailleurs à la trouver anéantie de désespoir, dévorée d'inquiétude à son sujet, et à peine en état de l'entendre.

      Il la trouva dans le salon, comme autrefois, du vivant du général, berçant sa fille sur ses

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