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d'un accent terrible.

      Elle faillit tomber à la renverse. Puis l'idée absurde lui venant que peut-être ce vieux se moquait:

      – Ce n'est pas possible! fit-elle.

      – Et cependant, répliqua-t-il, c'est vrai. Bedeau a été saisi ce matin comme un vil malfaiteur, dans son lit, par six agents de police sous les ordres d'un commissaire, et traîné de force, ou plutôt porté jusqu'à un fiacre qui stationnait devant la porte. Il se débattait furieusement, et criait à pleine voix: «A la trahison! Je suis le général Bedeau!.. A l'aide, citoyens! On arrête le vice-président de l'Assemblée nationale!..»

      – Oui, c'est exact, approuva un voisin, j'y étais… Et j'ai entendu le commissaire de police crier au cocher: «A Mazas!..»

      Il n'eut pas le temps d'en dire davantage.

      Un peloton de sergents de ville venait de déboucher de la rue du Bac, et arrivait au pas de course, l'épée à la main.

      En un clin d'œil, l'attroupement s'éparpilla dans toutes les directions, et c'est à grand'peine que Mme Delorge réussit à se réfugier sous une porte cochère.

      Mais la malheureuse femme s'était armée de trop d'énergie pour qu'une première déception, si terrible qu'elle fût, la décourageât.

      Le général Bedeau lui manquait, soit! Le général Lamoricière lui restait, et demeurait à deux pas.

      Elle se remit donc en route, remonta la rue de Bellechasse jusqu'à la rue Saint-Dominique, et bientôt arriva rue de Las-Cases.

      Là tout était calme, silencieux, désert… Personne, sinon un factionnaire, l'arme au bras, à chaque extrémité.

      La porte du numéro 11 était entre-bâillée; Mme Delorge la poussa et entra…

      Sous la voûte, au pied de l'escalier, une vieille femme, la portière évidemment, causait avec deux locataires de la maison, deux hommes jeunes encore.

      Mme Delorge s'avança, et d'une voix troublée:

      – Le général Lamoricière? demanda-t-elle.

      Les autres, à ce nom, reculèrent, l'examinant d'un air de défiance, et enfin la portière répondit:

      – Arrêté!..

      Cette fois, Mme Delorge dut s'appuyer au mur, pour ne pas tomber…

      – Quoi! lui aussi? balbutia-t-elle…

      – Oui, lui… ce matin, au petit jour. Ils étaient toute une bande pour le prendre, et, comme il appelait à l'aide, ils l'ont menacé de lui mettre un bâillon…

      Les yeux de la portière flamboyaient, et s'exaltant au son de ses paroles:

      – Quand ils se sont présentés, continua-t-elle, ils ont commandé à mon mari de les conduire à l'appartement du général… Plus souvent!.. Il a vu le coup tout de suite, et de toutes ses forces il s'est mis à crier: «Au voleur!» Et savez-vous ce qui est arrivé?..

      Elle ouvrit brusquement la porte de sa loge, et montrant dans le lit un pauvre diable qui geignait à fendre l'âme:

      – Voilà, poursuivit-elle, l'état où les brigands l'ont mis. Ils étaient plus de dix après lui, qui voulaient le tuer, et ils lui ont traversé la cuisse d'un coup d'épée. Mais, minute! Cela ne se passera pas ainsi, et nous verrons s'il n'y a plus de justice en France…

      Voyant l'affreuse émotion de Mme Delorge, les deux locataires pensèrent qu'elle devait être parente de l'illustre homme de guerre, et s'approchant d'elle:

      – Mais rassurez-vous, madame, lui dirent-ils, le général ne court aucun danger; personne n'oserait toucher un cheveu de sa tête. Il n'est d'ailleurs pas le seul arrêté: Cavaignac, Changarnier, Charras, M. Thiers doivent être à Mazas, à cette heure…

      Sans plus les écouter, Mme Delorge s'élança dehors.

      Ce qui arrivait, c'était l'écrasement de toutes ses espérances. A qui s'adresserait-elle, qui l'aiderait à se faire rendre justice, si les meilleurs et les plus dignes étaient ainsi jetés en prison!..

      Cependant elle atteignait le palais du Corps législatif. Tout autour de la place, des troupes étaient rangées, l'arme au pied. Sous le portique, elle apercevait comme une mêlée confuse de soldats et de bourgeois.

      Près d'elle, une voix dit:

      – Quoi! les représentants aussi!..

      – Les représentants surtout! répondit une autre voix.

      Ainsi, c'étaient les représentants du peuple que les soldats chassaient du palais! Quelques-uns se débattaient, refusaient d'avancer, et on les poussait, la crosse dans les reins.

      Deux ou trois essayèrent de haranguer les troupes. Ils furent aussitôt enveloppés et entraînés par la rue de Bourgogne.

      Perdue dans cette mêlée, Mme Delorge cherchait à se dégager et à gagner les quais, lorsqu'un homme vint à elle, qu'elle reconnut pour un représentant du peuple qu'elle avait vu plusieurs fois avec son mari.

      Il était fort rouge, agité d'un tremblement nerveux, et c'est d'un accent rauque qu'il lui demanda, sans même la saluer:

      – C'est bien à madame la générale Delorge que j'ai l'honneur de parler?

      – Oui, monsieur…

      – Eh bien! madame, vous voyez ce qui se passe… Le président de la République égorge cette République qu'il avait juré de protéger et de défendre… Il dissout l'Assemblée à coups de baïonnettes… Et penser qu'il a trouvé des généraux pour être complices d'un tel forfait… Mais le général Delorge, l'honneur et la loyauté mêmes, n'en est pas, lui, n'est-ce pas, madame? Sait-il ce qui arrive?.. De grâce, courez le prévenir, qu'il vienne, qu'il vienne bien vite…

      – Le général Delorge est mort, monsieur!..

      – Mort! balbutia comme un écho le représentant atterré…

      Et transporté de rage:

      – Mais nous le vengerons! madame, continua-t-il. Pauvre Delorge!.. C'est qu'il n'était pas de ceux qu'on achète, lui!.. Mais justice sera faite… Ce coup d'État n'est qu'une tentative insensée qui ne doit pas, qui ne peut pas réussir!..

      Mme Delorge rencontrait-elle donc un de ces hommes courageux et inflexibles que le crime révolte et qui se dévouent jusqu'à l'oubli d'eux-mêmes à la juste cause du faible et de l'opprimé?..

      Elle l'espéra… Mais lui, sans attendre seulement sa réponse, la quitta, et bientôt elle l'aperçut au milieu d'un groupe d'habits noirs, gesticulant avec une véhémence croissante…

      Pourtant elle essaya de le rejoindre. Un remous de la foule la repoussa bien loin. A ses côtés, des jeunes gens criaient:

      – La Constitution est violée!.. Louis Bonaparte s'est mis hors la loi!..

      Et encore:

      – Courons, c'est à la mairie du dixième que les représentants vont se réunir…

      Éclairée par les événements et aussi par les paroles du représentant, Mme Delorge commençait à entrevoir, croyait-elle, les raisons qui avaient armé les meurtriers de son mari.

      A ce complot, préparé de longue main et dans l'ombre, et qui éclatait en ce moment au grand jour, il avait fallu bien des complices. Un mot prononcé la veille eût tout fait échouer. Ce mot, le général avait dû le savoir, soit qu'il l'eût deviné ou surpris, soit qu'un complice le lui eût étourdiment confié.

      Donc, Mme Delorge voyait sa destinée liée à celle du coup d'État.

      Qu'il échouât!.. Ah! les vengeurs lui arriveraient en foule.

      Qu'il réussît, au contraire! Jamais sans doute justice ne serait faite…

      Mais un soudain souvenir l'arracha brusquement à ses sombres méditations.

      L'enterrement du général devait avoir lieu à trois heures, il

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