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– Monsieur, continuai-je, on nous l'a rapporté mort ce matin au petit jour, tué en duel, soi-disant… Mais on ne nous a dit ni le nom de son adversaire ni les noms de ses témoins… et nous voulons les savoir!

      Je parlais très haut, je gesticulais, les passants s'arrêtaient, mon homme se troubla.

      « – Plus bas, donc! me dit-il en regardant de tous côtés d'un air d'inquiétude, plus bas! Je suis un peu au courant de cette affaire: mais je ne vois nul inconvénient à vous dire ce que j'en sais… Hier soir, Mme Salvage, l'ancienne amie de la reine Hortense, et qui fait, vous ne l'ignorez pas, les honneurs de la résidence présidentielle, recevait quelques personnes… J'étais au nombre des invités. Vers minuit, je causais avec un ami dans le vestibule, quand j'entendis les éclats de voix d'une altercation violente, dans l'escalier… Deux hommes que je ne reconnus pas, et qui me parurent fous de colère, descendirent, et l'un d'eux disait: «Sortons, monsieur, sortons, le jardin est là, nous avons nos épées, un des hommes de l'écurie nous éclairera…» Ils sortirent, en effet, et ce matin, j'ai appris que ce pauvre Delorge avait été tué…

      Roide, et tout d'une pièce, Mme Delorge se dressa.

      – Mais l'autre, s'écria-t-elle, l'assassin… quel est son nom?..

      – Hélas! répondit M. Ducoudray, c'est ce que n'a pas voulu ou pu me dire cet homme que j'interrogeais… Et cependant je menaçais, et cependant je disais que ce vainqueur d'un duel sans témoins est un assassin… A cela, il a répondu que le duel avait eu un témoin.

      – Lequel?

      – L'homme des écuries qui a tenu la lanterne… C'est cet homme qu'il faut retrouver… Il sait la vérité, lui…

      Écrasée sous le sentiment de son impuissance, Mme Delorge se taisait. Veuve, sans amis, sans appui, abandonnée par le commissaire de police qui traitait ses soupçons de chimères, que pouvait-elle?

      – A votre place, madame, reprit M. Ducoudray, je m'adresserais à quelqu'un des amis du général… Il devait en avoir dans de hautes situations… et si je les connaissais…

      – Attendez!.. fit Mme Delorge.

      Et s'étant élancée dehors, elle ne tarda pas à reparaître avec le petit agenda où le général inscrivait l'adresse des personnes de ses relations…

      – Écoutez, dit-elle…

      Et elle lut: le comte de Commarin, rue de l'Université; le duc de Champdoce, rue de Varennes; le général Changarnier, rue du Faubourg-Saint-Honoré; le général Lamoricière, rue Las-Cases; le général Bedeau, rue de l'Université…

      – C'est assez, dit M. Ducoudray. Qu'un seul des généraux que vous venez de nommer consente à prendre en main votre cause, et si un crime a été commis, comme je le crois, le général Delorge sera vengé!..

      Elle réfléchit, puis d'une voix ferme:

      – Le devoir parle, dit-elle. J'agirai dès demain…

      VI

      C'était le deux décembre 1851, un mardi.

      Après une nuit d'agonie, passée à prier près du cadavre de l'homme qu'elle avait tant et uniquement aimé, Mme Delorge, sur les huit heures du matin, envoya Krauss lui chercher un fiacre et partit…

      Souvent son mari lui avait parlé du général Bedeau, comme du plus brave et du plus loyal soldat de l'armée; elle avait eu occasion de le voir, et même de le recevoir à sa table en Afrique…

      C'est donc chez le général Bedeau, rue de l'Université, qu'elle se fit conduire tout d'abord…

      Et pendant que sa voiture roulait lentement le long de la route de Versailles et du quai de Passy, elle s'inquiétait de la façon dont elle se présenterait au général et de ce qu'elle lui dirait pour l'intéresser plus vivement à sa cause…

      Un choc assez violent interrompit ses réflexions… Le fiacre venait de s'arrêter court, à la hauteur du pont d'Iéna.

      Surprise de ce brusque arrêt, et aussi d'un grand bruit qu'elle entendait, elle se pencha à la portière, pour en reconnaître la cause…

      C'était de l'artillerie qui défilait au grand trot.

      Il y avait bien trois ou quatre batteries, qui venaient de l'École militaire, qui traversaient le pont et qui, tournant à droite, remontaient le quai de Billy.

      De sa place, Mme Delorge distinguait très bien les canons et les lourds caissons, et les soldats drapés dans leurs longs manteaux bleus. Des officiers, le sabre à la hanche, galopaient tout le long de la colonne, criant leurs commandements d'une voix qui dominait le fracas des roues…

      Cependant le torrent s'étant écoulé, le fiacre se remit en route, mais non pour longtemps; car, vers le milieu du quai de la Conférence, il s'arrêta de nouveau, et Mme Delorge entendit son cocher échanger des injures avec quelqu'un qu'elle ne pouvait voir.

      Abaissant donc la glace de devant:

      – Qu'y a-t-il? demanda-t-elle au cocher.

      – Il y a, répondit cet homme, que les voitures ne passent pas. Regardez plutôt à votre gauche.

      Elle regarda, et tout le long du Cours-la-Reine jusqu'à la place de la Concorde, et de tous les côtés dans les Champs-Elysées, elle vit, rangés en ligne, des régiments de grosse cavalerie, carabiniers, cuirassiers et dragons.

      – Tant et si bien, gronda le cocher, qu'il nous faut retourner sur nos pas pour aller passer la Seine au pont d'Iéna. Comme c'est régalant!..

      Et faisant volter son cheval à grands coups de fouet, il le lança au galop en jurant:

      – Que le diable emporte les revues!..

      Mme Delorge, elle aussi, croyait à une revue, et si elle s'en inquiétait, c'est qu'elle y découvrait une raison de ne pas trouver le général Bedeau chez lui.

      Et, en effet, toute la garnison de Paris était en mouvement.

      Tout le long des quais de la rive gauche, des troupes étaient échelonnées, et trois régiments de ligne au moins étaient massés sur l'esplanade des Invalides et autour du palais du Corps législatif.

      De là pour la voiture de telles difficultés d'avancer, que Mme Delorge la fit arrêter, et descendit, résolue à gagner à pied la rue de l'Université…

      Mais à mesure qu'elle avançait, elle s'étonnait de ce grand déploiement de forces. Le quartier ne lui paraissait pas avoir sa physionomie accoutumée. Elle trouvait aux passants une figure et des allures étranges. De distance en distance, des pelotons de sergents de ville veillaient. Enfin, au coin de toutes les rues, des groupes se formaient devant des affiches imprimées sur papier blanc…

      Si étrangère quelle fût toujours restée aux intérêts et aux passions politiques de cette époque troublée, Mme Delorge ne pouvait plus ne pas comprendre qu'il se passait ou qu'il allait se passer quelque chose d'extraordinaire.

      Mais que lui importait! La douleur vraie est égoïste. Et il était impossible qu'elle discernât une relation quelconque entre cette agitation qu'elle remarquait et la mort de son mari.

      Tout entière à la préoccupation de la démarche qu'elle tentait, elle avançait sans détourner la tête, de ce pas roide et hâtif qui décèle un intérêt de vie ou de mort.

      – Que vais-je dire? pensait-elle. Par où commencerai-je?..

      Cependant, au coin de la rue de Bellechasse et de la rue de l'Université, force lui fut de s'arrêter.

      Le carrefour était absolument obstrué par une foule compacte, au milieu de laquelle un homme d'un certain âge parlait avec la plus extrême véhémence.

      Instinctivement elle approcha, écoutant. Des gens, la face empourprée de fureur, s'exclamaient:

      – C'est un crime inouï!

      – C'est monstrueux!

      – Arrêter un tel citoyen!..

      Ces

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