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et sa main en effet était rouge de sang, et même quelques caillots avaient éclaboussé la dentelle de ses manches.

      – Ah! mon mari a été lâchement assassiné! cria-t-elle encore.

      Celui des deux étrangers qui avait déjà parlé, le plus jeune, hochait la tête:

      – Non, madame, prononça-t-il, non! ce surcroit de douleur, du moins, vous est épargné. Le général Delorge a succombé en duel…

      – Et après un combat loyal, ajouta l'autre.

      Elle les regardait sans paraître comprendre, et c'est comme des mots vides de sens qu'elle répétait:

      – Un duel!.. un combat loyal!..

      Mais depuis un moment déjà les deux inconnus se consultaient et se concertaient du coin de l'œil… Le plus jeune s'avança, et s'inclinant profondément:

      – Nous étions chargés, madame, dit-il, d'une douloureuse et pénible mission… Nous l'avons remplie… Et, à moins que vous n'ayez des ordres à nous donner, à moins que nous ne puissions vous être utiles en quelque chose, nous vous demandons la permission de nous retirer…

      Il attendit respectueusement une réponse… Cette réponse ne venant pas:

      – Pour mon compte, madame, ajouta-t-il, je serai toujours à votre disposition; voici ma carte…

      Il déposa, en effet, une carte de visite sur la cheminée, fit un signe à son compagnon, et tous deux se retirèrent sur la pointe du pied, sans que personne songeât à les retenir…

      Mme Delorge s'était agenouillée près du lit, le front appuyé sur une des mains glacées du mort, et d'une voix haletante:

      – Pierre, disait-elle, Pierre, pardonne-moi!.. C'est par moi, qui t'aimais tant, que tu meurs… Oui, c'est moi qui te tue, ô mon unique ami!.. Cette mort horrible, tu la prévoyais peut-être, le jour où tu voulais te retirer à Glorière… Et c'est moi, insensée, qui n'ai pas voulu, c'est moi, misérable, qui ai abusé de l'indulgence de ton amour, pour t'amener ici, contre ton gré, contre toute raison, au milieu de tes ennemis!..

      Si déchirante était l'expression de son désespoir, que Krauss, demeuré jusque-là hébété de douleur près de la porte, eut peur et s'approcha…

      – Madame, fit-il en lui touchant l'épaule, madame!..

      Elle ne tourna seulement pas la tête. Suffoquant sous l'abondance de ses souvenirs, elle continuait:

      – A Glorière, c'était le bonheur qui nous attendait… Ici c'était la mort terrible, soudaine… Mais je sais mon devoir, ô mon bien-aimé!.. Dans la mort comme dans la vie, je t'appartiens uniquement, je suis à toi!.. Est-ce que je pourrais te survivre, alors même que je le voudrais!..

      Le bon, l'honnête Krauss sanglotait…

      – Mon Dieu! se disait-il, elle devient folle, elle veut se tuer. Qu'allons-nous devenir, les enfants et moi?..

      Et il demandait au ciel une inspiration, quand un cri, lamentable, désespéré, retentit…

      Frémissant, il se retourna…

      Raymond, enfin réveillé par les allées et les venues, accourait à peine vêtu…

      Il avait tout compris, le malheureux enfant, et il se jeta au cou de sa mère en s'écriant:

      – Mort!.. mon pauvre père est mort!..

      Peut-être fut-ce le salut de cette femme si cruellement éprouvée! L'étreinte de son fils, les larmes chaudes dont il inondait son visage, la rappelèrent à elle-même, à la raison, à la vie…

      Elle songea que si elle était épouse, elle était mère aussi, qu'elle ne s'appartenait pas, qu'elle n'avait pas le droit de mourir, qu'elle se devait à ses enfants…

      Elle se releva donc, s'affaissa sur un fauteuil, et attira Raymond contre sa poitrine, en murmurant:

      – Oh! mon enfant, nous sommes bien malheureux!.. Oh! oui, bien malheureux!..

      Ainsi, ils restèrent longtemps serrés l'un contre l'autre, mêlant leurs larmes, jusqu'à ce qu'enfin Mme Delorge se redressa, puisant dans le sentiment de ses devoirs une sombre énergie.

      – Maintenant, Krauss, commença-t-elle, je veux tout savoir… Je suis forte. Je puis tout entendre… parlez.

      Une immense stupeur se peignit sur le visage du vieux et dévoué soldat.

      – Qu'est-ce que madame veut que je lui dise? balbutia-t-il.

      – Comment le général est mort, Krauss. Où a eu lieu ce duel, à quel sujet, avec qui?

      – Hélas! madame, je ne le sais pas…

      – Quoi! ces hommes, qui étaient sans doute les témoins du général, ne vous ont rien appris?

      – Rien…

      Elle crut qu'il la trompait, qu'il pensait en se taisant ménager sa sensibilité, et d'un ton sec:

      – Je vous ordonne de parler, Krauss! commanda-t-elle.

      Le pauvre soldat semblait désespéré.

      – Sur mon honneur, madame, répondit-il, je ne sais rien… J'étais si troublé, que je n'ai pas adressé une seule question… Au surplus, madame va comprendre. Quand on a sonné, je me suis hâté d'aller ouvrir, car sans savoir pourquoi, j'étais dans une inquiétude mortelle. Devant la grille était une voiture. Deux hommes en sont descendus, qui m'ont demandé s'ils étaient bien à la maison du général Delorge. Naturellement, j'ai répondu: «Oui.» Alors, ils ont voulu savoir à qui ils parlaient. Et quand je leur ai appris que je suis au service du général et son ordonnance: «Alors, se sont-ils écriés, on peut tout vous dire… Un grand malheur est arrivé… le général vient d'être tué en duel!..» Moi, naturellement, ça m'a fait l'effet d'un coup de crosse sur la tête, et j'ai répondu: «Ce n'est pas possible!» Ils ont haussé les épaules et ont repris: «C'est tellement possible que son corps est là dans la voiture, et que vous allez nous aider à le porter sur son lit.» Ensuite, ils m'ont demandé si le général était marié. J'ai répondu que oui. Ils m'ont demandé si madame était couchée. J'ai répondu que madame attendait le général et qu'elle était debout. Alors, ils ont dit que cela peut-être valait mieux ainsi, que nous monterions le corps le plus doucement possible, et qu'après je les conduirais auprès de madame… C'est ce qui a été fait, et madame sait le reste.

      Pendant que parlait Krauss, l'indignation empourprait la joue pâle de Mme Delorge…

      – C'est bien tout? interrogea-t-elle.

      – Absolument tout, madame!

      L'infortunée eut un geste d'amère ironie, et d'une voix vibrante:

      – Voilà donc le monde! s'écria-t-elle. Un homme se bat, il succombe, et ses amis, ses témoins, ceux peut-être qui l'ont poussé sur le terrain, croient avoir tout fait lorsqu'ils ont reporté le corps du malheureux à sa maison… Ils arrivent au petit jour, ils tirent le cadavre du fiacre et ils le jettent à la veuve, en lui disant: «Voici votre mari… Notre mission est remplie… le reste ne nous regarde plus!..»

      Si l'honnête Krauss était digne de comprendre l'immense douleur de Mme Delorge, il était incapable de s'expliquer son indignation.

      Selon son jugement de vieux soldat, un duel malheureux rentrait dans la catégorie des accidents familiers et prévus, tels qu'une chute de cheval ou un boulet de canon. Et qu'on mourût sur le terrain, sur le champ de bataille ou dans son lit, au milieu des siens, il n'y voyait pas de différence appréciable, ni de raison de se plus ou moins désoler.

      Quant à la conduite des deux inconnus qui avaient rapporté le corps du général, et qu'il supposait avoir été ses témoins, il l'estimait si naturelle qu'il prit leur défense.

      – Excusez-moi, madame, fit-il, ces deux messieurs, avant de se retirer, vous ont demandé s'ils pouvaient vous être utiles.

      Elle ne discuta pas. Elle se souvenait de rien.

      – C'est

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