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Une de ses joies, car il en a d'autres, et je n'oublie pas qu'il est très complexe, est de scandaliser le peuple, les simples, représentés par Sganarelle. C'est ce qu'il a de particulièrement français.

      Le Français fait tout, ou il s'en faut de peu, par vanité. La vanité est son grand ressort. Toute l'immoralité qu'il peut avoir ou qu'il peut affecter tient à cela. L'étranger ne déteste pas être libertin sans qu'on le sache; le Français aimerait mieux se priver de voluptés de toute sa vie et passer pour un mauvais sujet, que posséder toutes les femmes et être aimé d'elles et être tenu pour coquebin. – Il y aurait un joli sujet de comédie: Don Juan blanc. Ce Don Juan-là, pour une raison qu'il faudrait trouver, ou même sans raison, n'aurait jamais aucun succès de galanterie; mais il aurait la réputation, habilement entretenue, soit par lui-même, soit par un autre qui aurait intérêt à cela, d'être logé à l'enseigne du «grand vainqueur» et de tenir toutes les promesses de son affiche. Cet homme-là, né français, serait le plus heureux des hommes.

      Dans ces conditions, on comprend assez que la moralité, encore qu'elle soit en usage chez les Français, n'y soit pas en honneur, et peut-être y soit aussi peu en honneur qu'elle y est en usage. Peut-être y a-t-il proportion juste, et s'il était ainsi, on ne saurait croire à quel point les Français seraient moraux; ils le seraient presque avec excès.

      Toujours est-il que l'affectation d'immoralité et toutes les habitudes d'esprit, de conduite et d'attitude que cette affectation entraîne détachent les Français de la religion, du sentiment religieux et de l'état d'esprit religieux. De très bonne heure et comme tout de suite, longtemps avant d'être devenu formellement catholique, l'illustre philosophe M. Brunetière avait horreur de la grivoiserie française, de la gauloiserie, et la considérait comme une plaie honteuse de la littérature française. C'était comme d'instinct, et celui qui avait en lui comme les germes et les semences de l'esprit religieux sentait bien que grivoiserie et gauloiserie n'étaient pas autre chose qu'à la fois les effets et les causes de l'irréligion et devaient être traitées non comme un travers désobligeant, mais comme une maladie profonde et d'autant plus funeste qu'elle est endémique.

      Telles sont, à ma connaissance, les causes psychologiques les plus générales de l'anticléricalisme en France. Sans atteindre la nation tout entière, elles sont répandues, et depuis très longtemps, inégalement, du reste, mais universellement, dans toutes les classes de la nation et dans toutes les régions du pays.

      Il peut être utile maintenant de considérer l'anticléricalisme français dans la suite de son histoire.

      CHAPITRE II

      L'ANTICLÉRICALISME AU XVIIe SIÈCLE

      D'une part, l'anticléricalisme a existé en France au XVIIe siècle; mais il y a été très faible et très peu répandu; d'autre part, aucun siècle n'a plus préparé l'anticléricalisme en France que le XVIIe siècle.

      Ce sont ces trois propositions que nous examinerons dans ce chapitre.

      L'anticléricalisme a existé en France au XVIIe siècle, surtout dans le premier tiers de ce siècle et dans le troisième. Dans le premier tiers il était représenté par un certain nombre d'écrivains, et c'étaient les Théophile de Viau et les Cyrano de Bergerac, nourris de Montaigne, mais plus audacieux que Montaigne; nourris de Lucrèce, mais moins systématiques que lui et se plaisant dans la négation pure et simple; qui, pour se plaire à eux-mêmes d'abord et pour plaire ensuite à quelques grands seigneurs licencieux, leurs protecteurs, faisaient comme marcher de pair le licencieux et l'incrédulité et flattaient ainsi deux passions basses assez répandues alors dans les hautes classes.

      Il ne faut pas oublier qu'à cette époque, le gouvernement étant aux mains de prêtres, Richelieu, Père Joseph, si peu prêtre, du reste, que fût l'un d'eux, c'était faire acte d'opposition ou d'indépendance ou de taquinerie, choses très chères aux Français, que d'affecter l'incrédulité et le libertinage. L'anticléricalisme a été, vers 1630, une attitude aristocratique; l'anticléricalisme a été, vers 1630, très grand seigneur.

      Il était grossier, du reste, et impudent. Il était immonde. Il se roulait dans les fanges des Parnasses satyriques. Il était, en très parfaite exactitude, à pieds de satyre. Il conduisait à la place de Grève en réalité ou en effigie. Il était en horreur à la majorité de la nation.

      Il fut à la fois plus décent et plus scientifique, un peu, dans le troisième tiers du XVIIe siècle, plus prudent aussi. L'influence de Gassendi fut très faible, je crois, et je ne serais pas très éloigné de penser qu'elle fut nulle, parce qu'elle ne trouva pas un homme de talent pour se mettre à son service et pour illustrer de littérature les idées du philosophe provençal. En France le génie réussit peu, ou tardivement; la force de pensée ne réussit pas sans le talent; mais la moindre chose réussit quand le talent s'y joint et se mêle de lui faire un succès. Gassendi est, toutes proportions gardées, du reste, un Auguste Comte qui n'a pas trouvé d'Hippolyte Taine.

      Mais trois influences, dans cette fin du XVIIe siècle, ont eu une certaine importance au point de vue de l'anticléricalisme, celle de Descartes, celle de Bayle et celle de Molière.

      Je place l'influence antireligieuse de Descartes au troisième tiers du XVIIe siècle, et je crois que je ne me trompe pas extrêmement. Dans le milieu du XVIIe siècle Descartes tout entier est trop présent aux esprits pour qu'il ait une influence antireligieuse. Il n'est pas assez loin pour qu'on ne se rappelle point que personnellement il est chrétien, très chrétien, aussi chrétien que possible, homme qui fait des vœux et des pèlerinages; que, comme philosophe, il a un système qui est tout plein de Dieu, jusque-là qu'on peut dire et, pour mon compte, c'est ce que j'ai dit, que Dieu est la pierre de fondation et la pierre clef de voûte de tout son édifice et que sans l'idée de Dieu le système de Descartes n'existe absolument pas. Descartes, en 1660, n'est pas assez loin pour qu'on ne se rappelle pas tout cela.

      Mais à mesure qu'il s'éloigne et recule dans le passé, ce qu'on se rappelle plus distinctement et peu à peu uniquement; d'abord parce que c'est en quoi il se distingue nettement de l'enseignement religieux traditionnel, et ce à quoi il a attaché son nom; ensuite parce que c'est une idée très simple, très précise et très accessible au moindre esprit; ce qu'on se rappelle plus distinctement et peu à peu uniquement, c'est sa méthode et le premier principe de sa méthode: il ne faut croire qu'à ce qui est absolument évident à l'esprit et ensuite à ce qui, par raisonnements justes, s'appuie sur cette première évidence.

      Peu à peu l'on ne se souvient plus que de cela. Or cela est le rationalisme pur et simple. Cela écarte et élimine le merveilleux, le mystérieux et le miraculeux. Cela est positiviste au premier chef. Et cela est cartésien et se revêt en quelque sorte de l'immense autorité de Descartes. Ce principe et l'autorité dont il se pare sont des éléments considérables d'incrédulité. La destinée curieuse de ce philosophe consiste en ceci qu'on a oublié son système pour ne se souvenir que de sa méthode et qu'on a pris sa méthode pour son système.

      Cela s'est passé surtout au XIXe siècle; mais cela n'a pas laissé, ce me semble, de commencer au XVIIe siècle, vers 1680. Remarquez que le très pieux Malebranche en est déjà, malgré sa piété, à affirmer très énergiquement, à maintes reprises, que Dieu n'agit jamais par des volontés particulières. Il trouve le moyen, ou il croit le trouver, de concilier cela avec la croyance aux miracles, de sauver le miracle, par je ne sais plus quel tour de force de dialectique; mais enfin il affirme et proclame que Dieu ne peut pas agir par volontés particulières.

      Or c'est un cartésien, et un cartésien fieffé, qui pose ce principe, et, à vrai dire, c'est bien un principe cartésien, si l'on veut; car le miracle n'est jamais évident, et il faut toujours de la foi pour y croire; et que Dieu n'agisse point par des volontés particulières, c'est une idée assez évidente aux yeux de la raison, aux yeux du moins de la raison systématique.

      On voit la pente. Descartes se transforme, vers 1680, en philosophe rationaliste, et le cartésianisme se fait rationalisme d'après le premier principe, non de lui-même, mais de la méthode qu'il a prétendu suivre et que, du reste, il n'a pas suivie du tout.

      Mais il est bien vrai qu'il avait ouvert cette

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