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enfin, pour Diderot, Dieu n'existe pas et n'est qu'une invention de ces sophistes oppresseurs, qui, pour dominer l'homme, ont créé un «homme artificiel».

      Voilà comme les Français, quand ils sont dégagés de la trame des liens traditionnels, inventent Dieu, conçoivent Dieu. Ils l'inventent, ils le conçoivent de la façon la plus superficielle du monde. Le profond sentiment religieux leur est à peu près inconnu.

      Je n'ai pas besoin, ou à peine, de dire que les réactions religieuses (toujours mis à part la religion traditionnelle et le domaine où elle agit et l'empire qu'elle exerce, et ici comme plus haut je ne parle que des Français inventant Dieu) sont aussi superficielles que les théodicées philosophiques. Les poètes qui, de 1802 à 1850, ont exprimé des idées religieuses, ont fait preuve d'un sentiment religieux extrêmement inconsistant et débile. Tous ont été frappés des «beautés» de la religion, et non de sa grandeur, et non du besoin, en quelque sorte, constitutionnel, que l'homme en a. Eux-mêmes semblent en avoir eu besoin pour leurs œuvres et non pour leurs cœurs. La religion fut pour eux un excellent répertoire de thèmes poétiques. Leur génie fut plus religieux que leur cœur, et même ce fut leur art qui fut plus religieux que leur génie. Musset, peut-être seul, et un seul jour, eut un cri où se sent le véritable, profond, absolument sincère sentiment religieux, ou besoin de sentiment religieux. – La légèreté française, même chez les plus grands Français, est décidément un obstacle assez fort à la pénétration du sentiment religieux; et l'état d'âme religieux n'est chose française que par exception et par accident.

      Outre le besoin de clarté apparente ou de clarté provisoire, outre la légèreté d'esprit, la vanité, très répandue chez les Français, ne va pas sans les écarter beaucoup des voies religieuses ou des chemins qui pourraient mener à la religion.

      La vanité française est chose très différente de l'orgueil tel qu'on le peut voir et constater dans d'autres nations. L'orgueil est national et la vanité est individuelle. L'Anglais, l'Allemand, l'Américain sont extrêmement orgueilleux; mais ils le sont surtout d'être américains, allemands et anglais. L'orgueil est volontiers collectif et, à être collectif, il est une force plutôt qu'une faiblesse. L'orgueil sous sa forme française, c'est à savoir la vanité, est tout à fait individualiste. Le Français s'admire en soi, de tout son cœur. Il se fait centre naturellement et se persuade très volontiers que la circonférence doit l'admirer.

      Les mots d'enfants recueillis par Taine sont bien à leur place ici: une petite fille à son oncle qui lui demande ce qu'elle est en train de faire: «Ouvre les yeux, mon oncle, tu le verras.» Elle n'est pas fâchée d'indiquer à son oncle qu'elle le considère comme un imbécile. – Une autre enfant remarque entre son père et elle-même un trait de ressemblance: «Tu tiens de moi.» Elle rapporte déjà tout à elle et a tendance naturelle à se tenir pour une cause et non pour un effet.

      Tout vieux professeur a remarqué des inclinations toutes pareilles chez les jeunes Français. Ils n'ont presque aucune méchanceté; mais leur amour-propre est immensurable. Deux traits essentiels: ils sont moqueurs et ils ne peuvent supporter la moquerie. C'est la vanité sous ses deux aspects. Ils se vantent à tout propos, ou, plus avertis, laissent seulement voir qu'ils se tiennent en haute estime. Tout petits, ils cherchent continuellement à attirer l'attention et ils semblent ne vivre que de l'attention qu'ils veulent attirer et ne vivre que quand ils l'attirent. Si parmi eux il en est un qui semble vivre d'une vie intérieure, qui soit réfléchi et méditatif et ne soit pas toujours comme en scène, il est traité de «sournois».

      Plus tard, adolescent, jeune homme, le Français, très souvent, est proprement insupportable. Il semble toujours avoir conquis le monde ou être sur le point de le conquérir, pourvu qu'il le veuille et qu'il fasse un geste pour cela. Il est tranchant, décisif et décisionnaire. Son opinion est la seule opinion qu'il considère et qui soit digne de considération. Il s'étonne qu'il puisse y en avoir une autre et qu'on fasse quelque attention à celles qu'il n'a pas. Surtout il croit toujours avoir inventé les idées qu'il a ou qu'il pense avoir. Il expose des opinions très connues comme des découvertes qu'il vient de faire et qui attendaient sa venue au monde pour y paraître elles-mêmes. Tout au plus, il associe un nom célèbre au sien, non pas comme le nom d'un maître à celui d'un disciple, mais comme celui d'un égal à celui d'un égal. Il dit: «Comte et moi.» Il dit: «Renan et moi.» Se mettre de pair avec un grand homme est jusqu'où sa modestie puisse atteindre.

      Tout jeune Français a inventé une philosophie, créé un art nouveau et improvisé un genre littéraire qui était inconnu.

      C'est ce qui fait qu'il n'y a pas de peuple au monde, excepté peut-être le peuple grec, où il y ait autant de déclassés. Le déclassé est un homme qui se sent tellement né pour les grandes choses qu'il ne peut prendre sur lui de faire les petites ou les moyennes. Reste qu'il ne fait rien et traîne d'expédients en expédients en rêvant toujours des grands rôles auxquels il était destiné et que les circonstances l'ont empêché de jouer. La France contient beaucoup de ces dévoyés qu'un peu de connaissance de soi aurait préservés.

      On s'étonne qu'il n'y en ait pas davantage; car tous les Français, à bien peu près, sont terriblement vains. Mais il faut reconnaître que, tout à côté de leur vanité, ils ont un certain sens pratique. S'ils ne se rendent pas compte d'eux-mêmes, ils se rendent assez bien compte des choses. Ils reconnaissent qu'il faut se résigner à la médiocrité de situation, tout en gardant la haute opinion de soi-même, qui console et qui réconforte. «Le mérite console de tout», disait Montesquieu. C'est la devise de la plupart des bourgeois français.

      De là tant de petits employés qui sont des poètes et qui lisent leurs vers en famille et à leurs amis, en se disant qu'il ne leur a manqué que quelque loisir et une petite fortune indépendante pour être des Lamartine; qui ont un système politique et toute une sociologie et qui gémissent de l'obscurité où ce système reste enseveli avec eux; qui font des romans et des pièces de théâtre et poursuivent toute leur vie le rêve d'être imprimés ou d'être joués; du reste, ponctuels à leur bureau, sinon zélés, et acceptant en maugréant, mais relativement avec patience, la vie terne que l'injuste destin leur a faite. La France est pleine de grands hommes inconnus de tous, mais très manifestes à eux-mêmes, que le silence accable, et de très honnêtes petits employés des contributions indirectes qui se répètent sans cesse à eux-mêmes: «Qualis artifex pereo!»

      Peut-être cela ne va-t-il point sans quelque inconvénient pour le métier que ces honnêtes gens exercent et les fonctions que l'État leur confie, et ce serait un point à considérer, mais qui nous écarterait de notre sujet.

      Pour n'en point sortir, considérez et ces hommes dont leur vanité fait des déclassés, ou des demi-déclassés, ou des inquiets et des neurasthéniques, légion qui en France est une armée; et ces autres hommes, moins privés du sens du réel et qui, à cause de cela, se classent, mais tout aussi vains, tout aussi prétentieux, tout aussi enivrés de sens propre; et voyez, au point de vue religieux, ce qu'ils peuvent être.

      Ils ont comme une tendance instinctive à repousser ce sentiment. Le sentiment religieux en général, le christianisme en particulier, le catholicisme plus particulièrement encore, est avant tout humilité. Il est avant tout reconnaissance et confession du peu que nous sommes pour connaître et pour agir. Et, pour ce qui est de la connaissance et pour suppléer à notre impuissance en cet ordre, les religions ont inventé la révélation. Et pour ce qui est de l'action et pour suppléer à notre débilité en cette matière, elles ont inventé la grâce. L'acte d'humilité est la première démarche religieuse; le premier mot de l'homme qui est attiré vers Dieu est: «Ma substance n'est rien devant vous.»

      Si l'humilité est le principe de toute religion, nos Français sont bien peu nés pour être religieux, et la religion, comme l'a très bien vu Pascal, est quelque chose comme leur ennemie personnelle. Ils la voient comme un personnage doucement ironique qui rabat leur superbe et qui se moque de leurs prétentions. Chacun la voit comme quelqu'un qui lui dirait: «Votre plus cher entretien est de vous croire quelque chose et vous n'êtes rien du tout.» Le Français est l'être du monde entier qui aime le moins qu'on lui dise cela. Contester à un Français sa puissance de savoir, de connaître et de décider, cela, pour

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