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L'Anticléricalisme. Faguet Émile
Читать онлайн.Название L'Anticléricalisme
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Faguet Émile
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Et certainement, pour ce qui est de l'effet produit, ce qui précède est peu contestable.
On peut donc dire que la vogue prodigieuse de Molière doit être comptée dès le XVIIe siècle comme influence anticléricale.
Donc l'anticléricalisme au XVIIe siècle a existé, surtout dans le premier tiers de ce siècle et dans le troisième. Mais il a été extrêmement faible. La masse de la nation, l'immense majorité de la nation n'en a pas été touchée. Cela se voit à la grande popularité des livres religieux, à la grande popularité des prédicateurs, aussi à la religion très fervente des esprits les plus disposés par leurs inclinations naturelles à l'indépendance, à l'irrévérence et au sarcasme.
La Bruyère est très bon chrétien; il fait un chapitre contre les esprits forts. Voyez-vous La Bruyère naissant trente ans plus tard; est-ce que vous le vous figurez très chrétien? Est-ce que vous le vous figurez autre que libre penseur ou tout au moins très détaché, à la manière des Lettres persanes? Que La Bruyère soit très chrétien, c'est une preuve que tout le monde l'était alors et jusqu'aux esprits naturellement satiriques et impertinents.
Songez encore que toute la bourgeoisie et tout le peuple, sauf les protestants, ont applaudi, tous jusqu'à un innocent païen comme La Fontaine, à l'exécrable révocation de l'Édit de Nantes. Il n'y a pas de signe plus frappant que celui-ci. La France de 1685 est profondément religieuse et profondément catholique. On n'a pas besoin de me prier pour me faire dire qu'elle l'est beaucoup trop.
Que ceci soit donc retenu. L'anticléricalisme existe au XVIIe siècle. Il est très faible. On peut aller jusqu'à dire qu'il est imperceptible, parce qu'il est encore latent.
Seulement aucun siècle plus que le XVIIe siècle n'a préparé merveilleusement et comme couvé l'anticléricalisme. Voici pourquoi et voici comment.
Au XVIIe siècle, tout au moins à partir de Louis XIV, le protestantisme est définitivement vaincu. Il n'est plus un péril; il n'est plus même une opposition gênante; il est absolument inoffensif. C'est le moment, bien entendu, que l'on prend et que l'on saisit pour le combattre avec sauvagerie et férocité. C'est d'ordre commun, particulièrement en France. Avoir vaincu cela ne donne que l'envie d'écraser. Plus on est sûrement maître, plus on veut être tyran. Car, je vous le demande, à quoi servirait-il d'être maître?
De même de nos jours, le catholicisme n'ayant plus ni ongles ni dents, que reste-t-il? A le tuer. Et c'est ce qu'on fait avec allégresse.
Donc, au XVIIe siècle, le protestantisme étant vaincu, on le combattit, et l'on fit le ferme propos de l'exterminer.
On y parvint à très peu près, dans toute la mesure du possible. La France en fut affaiblie; mais pour un parti il ne s'agit jamais de la France; et Louis XIV, en cette affaire, chose honteuse pour un roi, ne fut pas autre chose qu'un chef de parti. Il eut tout juste la largeur d'esprit et la portée d'intelligence d'un Combes. Il est honorable pour M. Combes de ressembler à Louis XIV; il est moins honorable pour Louis XIV de ressembler à M. Combes.
Donc on persécuta avec acharnement le protestantisme désarmé et inoffensif.
On persécuta plus inoffensif et plus désarmé encore, puisqu'on persécuta des gens qui, non seulement n'avaient plus d'armes, mais qui n'en avaient jamais eu. On traqua et l'on chassa à courre le janséniste, on sait avec quelle vigueur et avec quelle persévérance. C'est ici que se voit bien, peut-être, la pensée maîtresse du gouvernement de cette époque. Que l'on combatte à mort un parti qui a été puissant, cela se comprend encore. Ce peut être une illusion. Il se peut qu'on le croie encore vivant. Mais que l'on combatte une opinion qui comme parti n'a jamais existé, cela montre bien que c'est l'opinion que l'on combat, la manière de voir et rien de plus, et que l'on a pour principe que personne dans tout le pays n'a le droit de penser autrement que vous, et que tout homme dans le pays a le devoir strict de penser exactement comme vous pensez.
Je m'étonne que Louis XIV ait pu dire que Boileau s'entendait en vers mieux que lui. Au fond, je n'en crois pas un mot. Ou, s'il est vrai, on voit assez à quel point cela a stupéfié les contemporains, puisqu'ils ont rapporté cela comme un trait de libéralisme absolument extraordinaire.
En tout cas Louis XIV n'admettait pas que quelqu'un s'entendît en théologie mieux que lui, ni que quelqu'un s'y entendît d'une autre façon que la sienne.
Il est possible et même probable qu'il y eût autre chose encore dans la pensée ou dans l'arrière-pensée du gouvernement d'alors. Pour le gouvernement de Louis XIV, les protestants étaient des républicains et les jansénistes étaient des demi-protestants, et la guerre aux protestants et aux jansénistes c'était le royalisme qui se défendait, et les persécutions contre les protestants et contre les jansénistes c'était une expédition de Hollande à l'intérieur.
Tout n'était pas faux dans cette arrière-pensée du gouvernement; mais ceci est caractéristique d'une autre manie, très analogue du reste à la précédente, des gouvernements despotiques. Ils ont la manie de se chercher des ennemis et de tellement les chercher qu'ils en créent pour en trouver. Les gouvernements despotiques sont des femmes jalouses. Celles-ci veulent absolument que leurs maris les trompent; je veux dire qu'elles en ont tant peur qu'elles se figurent toujours que la chose est, et qu'elles semblent vouloir qu'elle soit, et qu'à force de la redouter il semble qu'elles la désirent.
Le gouvernement despotique veut avoir des ennemis; et il les suppose pour en avoir; et il en arrive ainsi, par procès de tendances à très longue trajectoire, à considérer comme républicains des gens qui le sont en puissance, c'est-à-dire qui pourraient l'être; et des gens aussi qui ne le sont point du tout, mais qui ressemblent un peu, à d'autres égards, à ceux qui pourraient le devenir. Le procès de tendances consiste à poursuivre des personnes, pour opinions, d'abord, et ensuite pour des opinions qu'elles n'ont pas, mais qu'il ne serait pas impossible qu'elles eussent si elles en avaient d'autres que celles qu'elles ont.
Tel est l'état d'esprit des gouvernements despotiques. Et c'est-à-dire, comme l'a démontré Platon dans une jolie page, que ce ne sont pas des gouvernements, mais des «factions». Ce sont des partis qui ont besoin d'avoir des ennemis; ce qui est précisément le propre des partis; et qui sentent continuellement ce besoin comme une condition et comme une nécessité de leur existence; et qui ont besoin d'opprimer quelqu'un pour se prouver à eux-mêmes qu'ils existent et qui, par conséquent, inventent des ennemis pour pouvoir se battre et des oppressibles pour pouvoir être oppresseurs.
Ce ne sont donc pas des gouvernements, puisqu'ils ne gouvernent pas à proprement parler, mais mènent les citoyens à la bataille les uns contre les autres; ce sont des factions au pouvoir. Louis XIV, pendant toute une partie de son règne, a été un factieux.
Quoi qu'il en soit, tel a été le XVIIe siècle au point de vue religieux. Il a été persécuteur de gens désarmés et conculcateur de gens à terre. Or un tel siècle prépare mieux à l'irréligion qu'un siècle de guerres civiles proprement dites.
Un homme naissant après le XVIe siècle, en France, peut se dire: «On s'est battu. On s'est battu pour cause de religion et sous prétexte de religion. On s'est battu pour que la messe fût dite en français et pour conquérir le pouvoir. C'est épouvantable. On ne devrait être que Français. Mais encore, on se battait à armes égales ou qui semblaient l'être, rendant coups pour coups et ne frappant que par souvenir d'avoir été frappé ou crainte de l'être. C'était la guerre. Que les religions soient cause de cela ou mêlées très intimement à cela, c'est très regrettable; mais encore ce n'est pas une raison pour détester toute religion ou se tenir éloigné de toute religion. La preuve n'est pas faite que les religions soient éternellement et indéfiniment persécutrices. Pour ce qu'elles ont de bon, on peut les garder, chacun la sienne et, tout compte fait, je garde celle dans laquelle on m'a élevé.»
Oui, un homme naissant après le XVIe siècle, en France, pouvait raisonner à peu près de cette façon.
Mais