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      L'arme haute, il fondit sur l'Homme Rouge.

      Celui-ci, stupéfait de cette brusque attaque, rompit d'un pas.

      L'autre Homme Rouge arrivait; Tony, bondissant en arrière, lui cingla le visage du revers de sa rapière, dont il se servait comme d'une cravache.

      Le nouveau venu poussa un juron énergique et dégaina à son tour.

      Le pauvre Tony était pris entre deux lames menaçantes.

      Il était perdu.

      Que pouvait-il faire, en effet, contre ces deux hommes que toute l'armée avait connus comme les plus habiles bretteurs de l'entourage du maréchal de Belle-Isle?

      Mais s'il fallait mourir, au moins Tony mourrait bravement, et en donnant, lui aussi, la mort. Se jetant dans une encoignure, il attendit de pied ferme l'attaque de ses ennemis.

      Il en vit venir en effet un encore, celui-là même qui tout à l'heure bâillonnait Joseph.

      Seulement l'arrivant, au lieu de sembler prêt à tirer l'épée, avait au contraire l'air consterné.

      Il dit:

      —On vient d'enlever la marquise!

      A ces mots, il y eut comme une trêve entre les trois adversaires abasourdis.

      —Enlever la marquise! s'écrièrent-ils ensemble.

      —Et dans ma propre voiture! répondit le nouveau venu.

      —L'enlever! mais qui donc alors? murmura Tony.

      Les Hommes Rouges étaient non moins stupéfaits que lui.

      Le carrosse qu'ils avaient amené pour enlever la marquise avait servi à un autre!...

      Quel pouvait être cet autre qui était venu ainsi se jeter si fatalement dans leurs brisées?

      Comment avait-il su que le carrosse était là tout prêt, tout disposé pour une longue route?

      Un instant, l'idée leur vint que ce courtaud de boutique, qui se mêlait de leurs affaires, était peut-être l'auteur de leur mésaventure.

      Mais il n'y avait qu'à regarder Tony pour se convaincre de sa parfaite innocence et même de l'abattement dans lequel l'avait plongé le mystère qui venait de s'accomplir. On ne joue pas ainsi, à un tel âge, le désappointement, le trouble, la peur de l'inconnu.

      Sans plus s'occuper de lui, qui semblait hébété sur le siège où la surprise l'avait cloué, les trois amis quittèrent donc cet hôtel où ils n'avaient que faire.

      Leurs chevaux, gardés par des palefreniers, les attendaient sur le quai, non loin de l'hôtel de Vilers.

      Les Hommes Rouges se mirent en selle.

      —Et maintenant avisons vite, dit Lavenay.

      —Séparons-nous et poursuivons le ravisseur, proposa Marc de Lacy.

      —Mauvais moyen, murmura Maurevailles.

      —Mais avec nos palefreniers, nous sommes six. En allant de six côtés différents...

      Maurevailles l'interrompit:

      —Peux-tu me jurer que le carrosse ne passe pas en ce moment par l'un des cent autres côtés? Or, dans notre situation, il ne faut point courir la chance; on ne l'attrape jamais.

      —Connaîtrais-tu donc le moyen certain de retrouver la marquise?

      —Hé! laisse-moi le chercher, fit Maurevailles avec impatience.

      Et, pendant quelques minutes, les trois cavaliers, dont les palefreniers se tenaient respectueusement à distance, se creusèrent le crâne pour y trouver l'expédient sauveur.

      Rien, ils ne trouvaient rien!

      Ah! Tony aurait beau jeu si, au lieu de rester anéanti sur son siège, dans la salle abandonnée de l'hôtel de Vilers, il se donnait la peine de chercher!

      Mais Tony, le pauvre Tony était comme mort, épuisé par tant d'événements divers.

      La veille seulement, à ce mot: «On enlève la marquise!» il n'eût pas hésité à s'élancer par la fenêtre. Guidé par le bruit des roues du carrosse, qui alors n'eût pas eu le temps de s'éloigner, il se serait cramponné à l'une des portières. Qui sait ce qu'il eût fait!

      Mais la force d'un enfant a des bornes et, tandis que la fatigue le domptait, les ennemis de la marquise délibéraient...

      Tout à coup Lavenay poussa un cri:

      —Nous n'avons qu'une chose à faire, fit-il.

      —Parle, dit Marc de Lacy.

      —Cet homme qui vient d'enlever la marquise, reprit Lavenay, ne restera pas à Paris...

      —Qu'en sais-tu?

      —D'abord, il doit évidemment nous connaître et il sait de quoi nous sommes capables. Nous avons retrouvé la comtesse Haydée, malgré toutes les précautions prises par Vilers. Ici nous la retrouverions encore, malgré tout le soin que cet inconnu pourrait mettre à la cacher. Donc il va quitter Paris et probablement la France.

      —Lavenay a raison, s'écria de Lacy, mais quel peut être cet homme?

      —Je n'en sais rien. Nous chercherons cela plus tard. Le plus pressé, c'est de le joindre. On ne fait pas un long voyage ainsi, surtout avec une femme, à l'improviste et sans bagages. Il ne faut pas oublier que le carrosse m'appartenait, il n'y a qu'un quart d'heure. Notre ennemi a dû toucher à son hôtel pour prendre quelques malles, puis il gagnera au plus vite l'une des portes de Paris. Si nous savions laquelle, il nous serait facile d'aller l'y attendre. Mais Paris a quinze barrières et nous ne sommes que six, dont trois imbéciles.

      —Que faire alors?...

      —Ma foi! prendre un grand parti: courir chez le lieutenant de police et l'informer de ce qui s'est passé. On connaît assez ses habitudes pour être sûr qu'il enverra immédiatement du monde à toutes les portes de Paris.

      Si le carrosse veut sortir, on l'arrêtera.

      S'il est déjà passé, on saura quelle direction il a prise.

      Et qu'on nous dise cela..., avec les chevaux que nous avons, nous l'aurons vite rattrapé.

      —Lavenay a raison, dit Marc de Lacy, mais je crois qu'il est bon de ne mettre qu'en partie le lieutenant de police dans la confidence.

      —C'est évident.

      —Peut-être aussi serait-il maladroit de nous montrer à lui tous les trois.

      —Certes, dit Lavenay, un seul doit se rendre à l'hôtel de la police.

      —Et celui-là?

      —Ce sera moi, si vous le voulez bien. Partons ensemble. Vous m'attendrez sur la place Vendôme.

      Et les Hommes Rouges partirent au quadruple galop.

      XIV

      OU LA POLICE FAIT PLUS QU'ON NE LUI DEMANDE

      L'hôtel de la police n'était pas situé à cette époque dans le quartier où il est aujourd'hui. Il touchait à l'enclos des Capucines, avec lequel il a depuis longtemps disparu.

      Le lieutenant général de police était alors M. Feydeau de Marville, ancien conseiller au Parlement de Paris.

      C'était un homme d'une équité sévère et qui n'avait ni l'âpreté, ni la verve inquisitionnelles de son prédécesseur, M. Hérault, celui que le fameux voleur Poulailler attacha un jour dans son propre cabinet, en dépit des gardes et des agents.

      M. de Marville, au contraire, s'appliqua à rendre ses fonctions utiles à tout le monde, aux petits comme aux grands, aux pauvres

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