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le gardien, et la gardienne, dans l'espérance de faire une bonne affaire en même temps qu'une bonne action, lui promirent tout ce qu'il voulut.

      —Alors une dernière prière, ajouta le jeune homme. Permettez-moi de le voir ce soir.

      —Ça, c'est plus facile que le reste, dit le gardien, qui commençait à exagérer l'importance de ses services pour être mieux récompensé.

      Et il fit pénétrer le jeune ami du marquis dans le Caveau des Morts.

      Sur une dalle de pierre, à côté de cinq ou six autres cadavres, reposait l'infortuné dont Tony possédait le secret.

      Pâle et blême, les yeux encore ouverts, le marquis avait, dans la mort, une expression de douceur et de beauté qui impressionna vivement le témoin de sa dernière heure.

      Tony, d'abord, lui ferma les yeux, puis l'embrassa et s'agenouilla.

      Quelle inspiration d'en haut lui vint pendant sa courte prière? Nous ne saurions le dire. La vérité est qu'en se relevant, le jeune homme s'écria:

      —Monsieur le marquis, je demandais qui protégerait votre veuve et qui vous vengerait. Eh bien, ce sera moi!

      Et Tony, étendant la main sur le cadavre, ajouta solennellement:

      —Je le jure!!!

      Puis il déposa un dernier baiser sur le front du gentilhomme, remercia de nouveau le gardien et sortit.

      Un quart d'heure après, Tony entrait chez mame Toinon et lui disait:

      —Je veux aller à l'Opéra!...

      La costumière jeta un cri de joie, sans avoir le soupçon des graves événements que cette soirée allait préparer, et se hâta tellement qu'elle ne vit pas même son commis serrer le coffret qu'il portait, dans un vieux bahut dont il avait la clef...

      X

      LE PREMIER BAL DE TONY

      Le bal de l'Opéra était, en ce temps-là, le rendez-vous de la cour et de la ville.

      Les femmes de qualité, les grands seigneurs s'y pressaient.

      Les abords de l'Opéra, alors situé où se trouve à présent le théâtre de la Porte-Saint-Martin, étaient, ce soir-là, dès minuit, encombrés de litières, de carrosses et d'une foule compacte de masques.

      Deux litières arrivèrent à peu près en même temps et s'arrêtèrent devant le péristyle.

      Deux jeunes femmes et un homme, ce dernier paraissant âgé et très embarrassé de sa personne, sortirent de l'une. Un jeune homme et une ronde commère sortirent de l'autre.

      Les deux jeunes femmes et leur suivant portaient des costumes villageois que reconnurent la ronde commère et le jeune homme qui l'accompagnait.

      Car ces costumes provenaient de la boutique de mame Toinon, et le jeune homme en question n'était autre que notre ami Tony.

      Mais Tony était métamorphosé. Au lieu de son habit de droguet et de ses bas de filoselle, Tony portait un habit de drap soutaché d'or, un beau gilet à ramages, une culotte et des bas de soie.

      Il était poudré à frimas, portait l'épée en verrouil, le tricorne sous le bras et avait tout à fait l'air et les façons d'un vrai gentilhomme.

      Pour tous ceux qui le virent entrer, Tony était un jeune seigneur débauché qui dédaignait de se déguiser et s'en venait promener à l'Opéra sa jolie figure, à seule fin d'y faire des conquêtes.

      Quant à la femme à laquelle il donnait la main, on a déjà reconnu mame Toinon.

      Mame Toinon s'était déguisée en marquise.

      Elle avait les bras nus ainsi que les épaules, un tout petit masque sur le visage, un masque qui, ne cachant presque rien, laissait admirer les dents, pétiller le regard, s'arrondir le sourire.

      Tony la conduisit triomphalement dans la salle.

      Mame Toinon le regardait et le trouvait charmant.

      —Tu es un vrai gentilhomme, lui dit-elle.

      Tony soupira.

      —Et je vais être fière de danser avec toi.

      —Déjà? fit-il naïvement.

      Ce mot impressionna douloureusement la sensible costumière.

      —Comment! dit-elle, tu veux me quitter?

      —Non, mais...

      —Ah! c'est que je suis un peu jalouse de mon cavalier, moi...

      Et mame Toinon montra ses dents blanches, épanouit son sourire, et, pour la première fois sans doute, enveloppa son ami d'une oeillade assassine.

      —Patronne, dit tout bas Tony, je suis prêt à vous faire danser... Tenez, justement on organise un menuet là-bas.

      Mame Toinon prit la main que lui offrait son commis et dit tout bas:

      —Garde-toi bien de m'appeler patronne; puisque nous jouons aux gens de qualité, il faut en avoir les façons. Tu m'appelleras baronne.

      —Et vous, comment m'appellerez-vous?

      —Moi, je t'appellerai chevalier. Viens.

      —Ah! pardon, dit Tony, je vous ai dit que j'allais vous faire danser...

      —C'est convenu.

      —Mais à une condition...

      —Comment, petit drôle? dit la costumière, tu me fais des conditions à présent...

      —J'ai un devoir à remplir.

      —Lequel?

      —Il faut que j'exécute un article du testament du marquis de Vilers.

      —Quel est-il?

      —C'est un secret, patr... baronne, je veux dire.

      La prétendue baronne n'eut point le temps de répondre, car l'orchestre la contraignit à se mettre en place.

      Précisément, l'une des deux bergères, qui étaient entrées au bal en même temps que Tony et madame Toinon, donnait la main à un officier des gardes-françaises et se trouva faire vis-à-vis à la costumière et à son commis.

      Le menuet commençait.

      Tout en dansant, Tony dévorait des yeux la danseuse et se demandait:

      —Est-ce elle ou sa compagne qui est la marquise de Vilers?

      Il lui vint une inspiration.

      Au moment où il dut, pour obéir aux lois du menuet, changer de danseuse et quitter mame Toinon pour sa cliente, il dit tout bas à cette dernière:

      —Vous souvenez-vous de Fraülen?

      Soudain l'inconnue tressaillit, se troubla, et Tony sentit sa main trembler dans la sienne.

      Il était fixé.

      —Fraülen, murmura la pauvre femme d'une voix émue. Vous avez entendu parler de Fraülen?

      —Et du marquis de Vilers...

      Elle tressaillit de nouveau et regarda cet adolescent au charmant visage, au doux sourire un peu triste, au regard plein de mélancolie.

      —Qui donc êtes-vous? fit-elle avec plus de curiosité que d'effroi.

      —Un ami...

      —Votre nom?

      —Le chevalier Tony, répondit le commis hardiment.

      —Vous connaissez mon mari?

      —Oui.

      —Est-il

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