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Elle n'a pu venir ici.

      La femme inconnue me prit alors par la main et me fît remonter les bords du Danube vers la ville, où nous pénétrâmes par une ruelle tortueuse et sombre.

      —Où me conduisez-vous? demandai-je.

      —Venez toujours, répondit la femme encapuchonnée.

      Nous cheminâmes ainsi de ruelle en ruelle pendant un quart d'heure environ.

      Puis, la femme s'arrêta.

      J'essayai alors de m'orienter, et je cherchai à savoir où je me trouvais. J'étais sur le seuil d'une porte bâtarde, sous les murs d'une maison noire et de sinistre apparence.

      Un moment je crus à un guet-apens.

      Mais je n'étais pas homme à reculer et me contentai de porter sous mon manteau la main à la garde de mon épée.

      La femme souleva un marteau qui rendit à l'intérieur un bruit sourd; une minute s'écoula, puis la porte s'ouvrit.

      —Venez, répéta l'inconnue.

      J'avais devant moi un corridor ténébreux.

      La femme encapuchonnée me prit par la main et m'entraîna. Je fis en ce moment une réflexion bizarre.

      Peut-être un rival malheureux avait-il entendu la comtesse Haydée lorsqu'elle m'assignait un rendez-vous, et, ivre de jalousie, me tendait-il un piège?

      Mais je serais allé au bout du monde et je n'en continuai pas moins à marcher.

      Tout à coup, à l'extrémité du corridor, nous atteignîmes une porte.

      La femme encapuchonnée poussa cette porte, et, lorsque celle-ci fut ouverte, je demeurai, ébloui.

      VII

      OU TONY EST INITIÉ A UNE SOMBRE HISTOIRE

       D'AMOUR

      Je me trouvai, disait encore le marquis de Vilers dans ce manuscrit si palpitant, à l'entrée d'un joli boudoir comme nos marquises de Versailles savent en avoir.

      C'était un boudoir à la française avec des meubles de Boule, des sièges en bois doré, recouverts de tapisseries des Gobelins; les murs étaient tendus d'une étoffe de soie d'un gris tendre à grands ramages.

      Ça et là, j'aperçus des tableaux, des bronzes, des statuettes d'un goût parfait.

      Je n'étais plus chez une Hongroise, j'étais chez une femme de qualité de Versailles.

      Ce boudoir était vide cependant.

      —Entrez, me dit la femme encapuchonnée, et attendez.

      Je fis quelques pas dans cette pièce que deux flambeaux à trois bougies éclairaient, et je m'assis sur un canapé auprès de la cheminée, où flambait un grand feu.

      —Si je suis tombé dans un piège, pensai-je, il faut convenir que celui qui m'y attire mène galamment les choses.

      Mais à peine avais-je fait cette réflexion, qu'une portière s'écarta dans le fond du boudoir.

      Je me levai précipitamment, et un cri de surprise et de joie m'échappa.

      La belle Hongroise pénétrait dans le boudoir et vint à moi.

      —Pardonnez-moi, me dit-elle, de ne m'être point trouvée moi-même au rendez-vous que je vous ai donné. Ce n'est point ma faute, en vérité; c'est celle des circonstances. J'ai craint que nous ne fussions surpris... et j'ai préféré ce lieu.

      —Qu'importe! lui répondis-je, puisque j'ai le bonheur de vous voir.

      Elle eut un sourire triste et me demanda:

      —Par où êtes-vous venu?

      —Par... là... fis-je en me retournant vers le mur, et en reconnaissant avec surprise que ce mur n'avait aucun indice de porte.

      Elle tira tout à fait la portière qu'elle avait soulevée pour entrer.

      —C'est mon boudoir, me dit-elle; il dépend de la maison de ville que nous possédons à Fraülen, mais au lieu d'y pénétrer par cette porte, vous y êtes venu par une autre, que moi seule et la femme qui vous a amené connaissons.

      —Mon Dieu, ajouta-t-elle avec tristesse, savez-vous que si on vous surprenait ici, vous seriez perdu?

      J'eus un fier sourire de dédain.

      —Et moi aussi peut-être, ajouta-t-elle en courbant le front.

      Alors seulement je frissonnai et jetai un regard inquiet autour de nous. La comtesse Haydée vint s'asseoir auprès de moi, prit ma main et me dit:

      —Monsieur le marquis, laissez-moi vous répéter que vous êtes le seul homme en qui j'aie foi.

      —Oh! répondis-je, permettez-moi donc alors d'être le plus fier des hommes.

      —J'ai osé venir à vous, me dit-elle, car vous êtes brave et loyal et me l'avez déjà prouvé.

      —Comtesse...

      —Ah! poursuivit-elle, tous ceux qui me voient jeune, belle, couverte de pierreries, adorée de tous, s'imaginent que je suis la plus heureuse des femmes. D'autres encore prétendent, en me voyant refuser tous ceux qui aspirent à ma main, que je suis une jeune fille sans coeur. Hélas! les uns et les autres se trompent. Vous seul saurez le secret de ma mystérieuse existence.

      La jeune fille parlait avec une émotion grave, pleine de dignité. Je pris sa main et la portai respectueusement à mes lèvres.

      —Madame, lui dis-je, quelque terrible que puisse être le secret que vous allez me confier...

      —Oh! dit-elle en m'interrompant, je sais qu'il sera gardé.

      —Parlez donc, madame, je vous écoute...

      —Monsieur le marquis, reprit-elle, je ne suis point la fille du comte.

      Je fis un geste de surprise.

      —Je ne suis pas Hongroise.

      A cette révélation, mon étonnement redoubla.

      —Je suis née à Paris, il y a aujourd'hui dix-neuf ans, et je ne suis point comtesse de Mingréli.

      Le comte de Mingréli n'est pas même mon parent, et cependant il m'aime avec une sauvage affection, avec une affection qui m'est odieuse et m'épouvante.

      —Mon Dieu! m'écriai-je en frissonnant, qu'allez-vous m'apprendre?

      Elle me comprit sans doute, car son visage eut une expression de défi, tandis qu'elle ajoutait:

      —Oh! rassurez-vous, je suis restée digne de moi-même. Le comte, après m'avoir aimée comme un père, m'aime à présent d'une autre affection; il voudrait m'épouser. Mais, je vous l'ai dit, ce vieillard à demi sauvage m'épouvante et, jusqu'à présent, j'ai refusé son amour... et j'ai pu le forcer à respecter ma résistance. Hélas! je ne sais ce que me garde l'avenir. Si on ne vient à mon aide...

      —Oh! m'écriai-je avec enthousiasme, je vous protégerai, moi, je vous défendrai.

      —Merci! me dit-elle. Écoutez encore...

      Je regardai la comtesse, dont la voix était émue.

      Elle reprit:

      —Voici mon histoire. Je m'appelle Haydée de Tresnoël, et je suis la fille cadette du comte Armand de Tresnoël.

      —L'ancien colonel de Royal-Cravate?

      —Oui.

      —Mais je me suis battu sous ses ordres!...

      —Je le sais, me dit-elle en souriant.

      —Oh! poursuivez, madame,

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